Barthe
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LEÇONS
DE
GRAMMAIRE GÉNÉRALE,
PAR PAUL-BENOIT-BARTHE
évêque d’Auch, Professeur de l’école
centrale du Gers, ci-devant Profes-
seur de l’Université de Toulouse.
A AUCH,
Chez POURQUIÉS-ARMAGNAC, Imprimeur,
rue de la Treille, N°. 130.
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avant-propos.
L’IDÉE d’une grammaire générale, paroît à des personnes peu éclairées, ne présenter qu’un ensemble de notions presque futiles. Comme on attribue à juste titre des faux systèmes à la physique, des conjectures vagues à la médecine, des problèmes insolubles à la science des mathématiques ; de même aussi croit-on pouvoir prêter des théories minutieuses à une science raisonnée, qui n’étant au fonds que celle de l’analyse des opérations de notre ame, autant que de leurs expressions, doit être regardée comme la clef des sciences et des arts, et comme la base et la source de nos connoissances.
La seule série des objets que nous nous proposons de développer, démontrera la haute importance des spéculations utiles et des réflexions approfondies auxquelles on se livre en s’occupant de cette science intéressante.
Sensations, idées, attention, réflexion, comparaison, jugement, imagination, raisonnement, mémoire, opérations et facultés de l’entendement, actions et habitudes de la vo- |4 lonté, toutes les manières d’être de notre ame sont, rigoureusement parlant, l’objet d’un enseignement dont le but inévitable est d’apprendre à saisir et à rendre les rapports entre la pensée et le langage.
C’est donc dans ce même enseignement, que guidé par l’observation et l’analyse, cette méthode précieuse et unique que nous tenons de la nature, qu’appuyé du témoignage irréfragable de ce sentiment intime qu’éprouve l’être pensant en nous, un instituteur doit s’appliquer à faire connoître ce que c’est qu’une sensation, et à faire observer cet état passif de notre ame dans sa nature, dans son siége, dans ses milieux et dans ses effets. C’est dans cet enseignement aussi, que pour rendre ces connoissances utiles, il doit faire distinguer les différentes sensations que notre ame éprouve, afin d’en prévoir les illusions et les dangers et mettre à profit leurs avantages.
Là doivent être démêlées encore, les différentes espèces d’idées, la nature et la vraie consistance des abstraites, et la génération de celles des objets insensibles : là doit-on conséquemment traiter de l’idée de notre ame et établir son immatérialité : là doit-on traiter aussi de l’idée de Dieu, expliquer la formation |5 et la nature d’une idée aussi intéressante, et démontrer l’existence d’un être nécessaire, éternel, intelligent et souverainement libre, infiniment parfait et réellement distinct de la collection des êtres contingens. Ainsi nous sera-t-il aisé d’indiquer alors le principe et la source des idées morales et de montrer du doit les fondations indestructibles de la moralité, tracées et bâties au fonds de nos ames, de la main de l’architecte de l’univers, sans que nous adoptions pour cela, le système chimérique des idées innées. Alors après avoir établi, à l’aide de notre sens intime, la libre activité de notre ame, nous prouverons invinciblement par la seule raison, la nécessité d’une vie future et l’immortalité proprement dite des ames des hommes de bien.
Les bases précieuses de la moralité de nos actions, ces garants nécessaires de la prospérité des républiques, une fois découvertes à travers des déblais de décombres, resultats funestes des passions et des vices, nous inviterons les instituteurs de morale, en terminant notre première partie, à construire le reste de l’édifice de la moralisation républicaine, sur ces augustes et respectables fondemens.
Toutes ces vérités importantes établies et |6 les facultés de notre ame une fois démêlées, autant que l’exige le développement des ressemblances du tableau de la pensée avec son original, la grammaire générale traite avec beaucoup plus d’étendue encore, de ces principes généraux du langage qui tiennent à la nature de la pensée, qui en démêlent les rapports et en dirigent l’expression : elle retrace avec le plus grand soin ces règles de l’art de peindre la pensée, dont la vérité immuable est antérieure à toute convention arbitraire et commune à toute manière de s’énoncer. Notre premier soin sera donc d’indiquer aussi les sources du langage, d’en montrer l’origine du moins hypothétique et de peindre ainsi son histoire.
L’énergie, l’élégance, la beauté du langage d’action, fixeront d’abord nos regards. A l’aide des précisions analytiques, nous fairons distinguer les signes que l’art occupé à satisfaire des besoins survenus du moins à l’époque des premières associations humaines, entreprit de former d’après les instigations de la nature et ses propres observations ; nous les fairons distinguer ces signes fondés et fournis par les analogies, d’avec le langage d’action purement naturel. On admettra conséquemment alors un langage d’action artificiel, |7 sans admettre pour cela, des signes purement arbitraires. Ainsi verra-t-on à nud toute la transition du langage d’action, à celui des sons articulés, se faire tout naturellement ; et les signes de nos idées, modifiés par les articulations de la parole, analyser la pensée toute indivisible quelle est, et en montrer séparément les notions partielles qui en forment l’objet, et les divers rapports que l’esprit apperçoit entre elles.
Afin de diviser avec ordre tout ce qui peut concerner les langues parlées, nous rapporterons tout à différens points capitaux qui répandront de la clarté et mettront de la précision dans les matières à traiter. Pour rendre la pensée sensible par la parole, on est forcé de se servir de plusieurs mots comme de premiers élémens, auxquels on attache des sens partiels que l’analyse démêle dans la pensée totale : nous traiterons donc des mots, avant de traiter de leurs rapports entre eux. De-là l’explication des mots ou la Lexicologie et la Syntaxe.
La Lexicologie bien différente d’un simple vocabulaire, considère les mots comme isolés ou comme rassemblés, mais toujours génériquement et en détaillant sur ces objets, des principes raisonnés communs à toutes les langues[.] Pour en traiter avec méthode, nous considérerons le |8 matériel, la valeur et l’étymologie des mots en général.
C’est en parlant de la valeur des mots, que nous traiterons des tropes ou des différens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue : et c’est à l’occasion des étymologies, que nous réfuterons le trop hardi système de l’auteur du monde primitif.
L’office d’une syntaxe générale, est de développer tout ce qui concerne le concours des mots réunis pour exprimer une pensée : ce concours nécessaire à l’expression du jugement est la proposition. C[’]est à la syntaxe à en examiner la matière et la forme.
Les syntaxes particulières sont différentes, il est vrai, dans chaque langue pour leurs détails ; mais il est des règles générales de syntaxe, tout comme de construction, communes à quelques langues que ce soit.
Toutes les notions afférentes à la proposition développées, même celles qui appartiennent au choix des caractères et des lettres, ainsi qu’à la ponctuation, nous en viendrons à l’expression du raisonnement sans craindre de porter la faux dans le champ d’autrui. C’est là que démêlant tout l’artifice de cette importante opération de l’entendement, nous en réduirons tou- |9 tes les règles à un seul et même principe que contrarie toute espèce de sophisme.
Nous prouverons aussi que dans l’art de raisonner, comme dans l’art de calculer, tout se réduit à des compositions et décompositions analytiques des jugemens et des idées ; et que puisque la grammaire est la méthode par excellence d’analyser notre pensée, l’art de raisonner se réduit nécessairement à une langue bien faite.
Ici paroîtront au grand jour, l’insuffisance et le danger des formes sillogistiques : et on reconnoîtra enfin le vide et l’inexactitude de beaucoup de principes trop accrédités du péripatétisme qui avoit soumis l’art de raisonner juste, à des règles tecniques.
Nous espérons développer ensuite les opérations fécondes de l’analyse, dans la formation des langues dont l’origine se perd dans la nuit des tems et dans l’amélioration et le perfectionnement de celles des peuples de nos jours, qui sont civilisés.
Enfin notre traité sera terminé par une comparaison de ces dernières langues et par une appréciation impartiale et juste de cette langue vivante dont l’aménité, les graces, font les délices des savans de tous les pays et de presque toutes les cours policées. Ce parallèle se |10 faira rélativement à l’application des principes généraux que nous aurons exposés.
Puissent nos foibles efforts accélérer la composition d’un livre élémentaire, propre à propager de plus en plus une langue déjà si cultivée et si chérie à tant de titres, et à perpétuer, par une production aussi honorante qu’utile, ce haut dégré de gloire que la France s’est acquise sur les autres nations, par ses éclatantes victoires.
Il paroîtra régulièrement tous les huit jours un numéro contenant huit pages in 80, même papier et même format que celui du premier numéro.
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N°. Ier.
LEÇONS
DE
GRAMMAIRE GÉNÉRALE.
LA grammaire générale a nécessairement pour objet la pensée et son expression. C’est à elle qu’il appartient d’en saisir et démêler les rapports, et de les rendre avec justesse et précision. Ainsi son enseignement se divise tout naturellement en deux parties : la Ire. doit traiter de la pensée ; la 2e. de l’expression de la pensée ou de ses signes, c’est-à-dire du langage.
PREMIÈRER PARTIE
De la pensée.
PAR pensée nous entendons ici en général, toute manière d’être du principe ou sujet qui pense en nous.
Ce sujet est ce que nous appellons notre ame.
Or en observant ses différentes manières d’être, nous trouvons que sentir, connoître |12 et vouloir, constituent les différens états ou elle se trouve.
Aussi diviserons-nous cette première partie en trois sections : il s’agira dans la première, de la faculté de sentir, c’est-à-dire, des sens et des sensations.
La seconde section traitera de l’esprit ou entendement, de ses facultés et de ses opérations.
La troisième de la volonté, de ses actes et de ses passions.
Mais attendu que le but que se propose la grammaire générale, est d’apprendre à bien saisir et bien rendre les rapports entre la pensée et le langage ; nous ne traiterons des trois facultés ci-dessus, qu’autant qu’il sera nécessaire pour remplir cet objet. Nous abandonnerons donc bien des questions qui trouveroient leur place dans la Ire. section, aux physiciens et aux anatomistes ; et presque toutes celles de la 3e. section, à ceux qui enseignent la morale.
Les leçons de cette première partie ne seront rédigées que comme leçons préliminaires de la seconde : qu’on ne s’étonne donc point de leur brieveté.
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PREMIÈRER SECTION.
DES SENS ET DES SENSATIONS
CHAPITRE PREMIER.
Ce que c’est que sensation, et ce que sont les sens.
PAR sensation nous entendons l’impression que notre ame éprouve, lorsque des objets étrangers frappent nos sens.
Le mot sens est pris ici pour les parties de notre corps, qui reçoivent de ces objets une impression extérieure.
Ces parties sont les organes des sensations, ou les sens extérieurs. On en compte cinq, savoir les organes de la vue, de l’ouïe, du goût, de l’odorat et du toucher.
Nous sommes affectés par chaque sens extérieur, de manière que toute autre partie de notre corps ne nous affecte jamais de même. Ainsi nous ne voyons que par les yeux, et nous n’entendons que par les oreilles. Par l’organe de la vue, nous appercevons la lumière et les couleurs. L’ouïe est affectée par |14 les sons ; le goût par les saveurs ; l’odorat par les odeurs ; enfin le toucher par les différentes qualités tactiles des objets : telles sont la chaleur, le froid, la dureté, la mollesse, la propriété d’être ou de ne pas être poli, etc.
La structure de nos sens extérieurs est digne d’un philosophe : il suffira de remarquer ici, que les nerfs par lesquels toutes les sensations se font, ont deux extrémités, l’une extérieure qui reçoit une impression des objets et l’autre intérieure, qui la communique au cerveau ; car le mouvement qui nous rend sensibles, ne se fait pas seulement dans l’organe exposé à l’action des objets extérieurs ; il se transmet encore jusqu’au cerveau, c’est-à-dire jusqu’à l’organe que l’observation demontre être le premier et le principal ressort du sentiment, et qu’on appelle en latin sensorium commune, soit que cette communication se fasse par des vibrations de nerfs qui aboutissent au cerveau, soit qu’elle ait lieu par le moyen des traces que lui impriment les esprits animaux.
Le cerveau est une substance molle plus ou moins blanchâtre, composée de glandes extrêmement petites, remplies de petites veines capillaires. Cette substance est le réservoir |15 et la source de nos esprits animaux ; et c’est à elle qu’aboutissent tous les nerfs par lesquels nous recevons nos impressions.
Il ne nous est pas possible d’expliquer les causes physiques de notre faculté de sentir, c’est-à-dire de la sensibilité. Parmi ceux qui ont tenté d’en indiquer les causes, les uns se sont représentés les nerfs comme des cordes tendues, capables d’ébranlemens et de vibrations ; et ont prétendu rendre raison de nos sensations par l’analogie qu’ils supposent entre les fibres du cerveau et celle[s] des instrumens de musique.
D’autres ont dit que lorsque les objets extérieurs affectent la partie extérieure des sens, l’impression est portée au cerveau par les esprits animaux qui y font des traces. Ces dernières impressions demeurent plus ou moins de temps selon la mollesse ou la solidité de cette substance. Les esprits passent et repassent ; et lorsque ces traces sont réveillées par leur passage, nous nous rappellons nos premières sensations. Ainsi sommes-nous doués de sensibilité et de mémoire.
Ce n’est pas à nous à former des hypothèses sur cette matière : nous nous contenterons d’assurer d’après l’observation et l’expérience, que notre sensibilité physique dépend d’une com- |16 munication qui existe entre les organes et le cerveau.
En effet, si notre cerveau affaissé ou comprimé par quelque cause, ne peut point obéir aux impressions que transmettent nos organes, aussitôt nous perdons la sensibilité physique. La liberté est-elle rendue à ce principal ressort du sentiment ? alors les organes agissent efficacement sur lui ; il réagit de même sur eux ; et le sentiment se reproduit.
S’il arrive encore que quoique libre, le cerveau ait très peu, ou point du tout de communication avec quelque autre partie de notre corps ; une obstruction par exemple ou une forte ligature au bras, suspend-elle ou diminue-t-elle le commerce du cerveau avec la main, le sentiment cesse ou s’affoiblit dans la main.
Tous ces faits sont journellement constatés par une infinité d’observations. Il est donc certain que la variété des sensations qu’éprouve notre ame, dérive des différentes déterminations que les objets et le cerveau produisent dans le mouvement de nos différens organes.
Harmonisations
a (préposition) > à
où (conjonction de coordination) > ou
ou (pronom relatif) > où
Document conservé au Centre historique des Archives nationales, Paris,
Cote : F17/13442/1