Springe direkt zu Inhalt

Sixième Leçon.

Manuel Des élèves du Cours de Grammaire-Générale Par Demandes et par Réponses.

Table des matières

 

|[42]

Sixième Leçon.

61.

D.

Jettons donc successivement un coup d’oeil sur ces différentes parties de la faculté de penser. Dites-nous quelle est la première faculté qui compose la faculté de penser ?

 

R.

La sensibilité est la première partie de la pensée ; ou, en d’autres termes, la faculté de percevoir des sensations est la première des facultés qui composent la faculté générale d’avoir des perceptions. Une sensation est uniquement une modification de notre être. Il y a des espèces de sensations que nous ne recevons que par un organe déterminé, c’est-à-dire, par un des cinq sens ; au contraire le chaud, le froid, le sec, l’humide, en un mot, les qualités tactiles, agissent sur toute la surface de notre corps.

62.

D.

Ne recevons-nous pas des sensations d’une autre manière ?

 

R.

Nous percevons aussi des sensations dans l’intérieur de notre corps – telles sont certaines douleurs, ou certains plaisirs. Celles-là pour la plus part n’ont point |[43] de noms ; mais elles n’en sont pas moins des vraies sensations.

63.

D.

Parmi nos diverses sensations, en pouvons-nous remarquer plus particulièrement quelques-unes ?

 

R.

Il en est une très-remarquable ; c’est celle que nous percevons, lorsque nous fesons un mouvement quelconque, et lorsque ce mouvement est arretté ou contraint. Elle n’a point d’organe déterminé ; nous la ressentons à l’intérieur et à l’extérieur de notre corps.

64.

D.

Voilà-donc le premier dégré de l’origine de nos pensées ?

 

R.

Ouï ; tel est le tableau de nos sensations, de nos modifications ou idées simples ; elles sont le fonds d’où nous tirons toutes nos connaissances, par les combinaisons que nous en fesons. Ce fonds est d’autant plus riche, que nous avons un plus grand nombre de sens, que leurs organes sont plus parfaits, que les perceptions de notre sensibilité sont plus variées, et plus multipliées.

|[44]

   

65.

D.

Quelle est la seconde faculté ?

 

R.

La mémoire est la seconde partie de la pensée. Les perceptions qu’elle nous procure s’appellent souvenirs. Elle est la faculté d’être affectée de nouveau d’une perception passée : elle ne peut donc s’exercer que sur les perceptions que nous avons déjà reçues, cela est certain. la mémoire est don

66.

D.

La mémoire est donc la faculté d’avoir la perception d’un souvenir ?

 

R.

Ouï ; mais cette faculté ne s’étend pas jusqu’à distinguer cette perception de celle de ?? d’une sensation. La mémoire est encore moins la faculté de reconnaître que la perception de se souvenir est la même que celle d’une sensation que nous avons déjà eprouvée ; car, pour avoir cette conscience, il faut percevoir un rapport d’identité entre la perception présente et la perception passée.

67.

D.

Quelle est la troisième faculté ?

 

R.

Le jugement est la troisième partie de la pensée ; c’est la faculté de percevoir des rapports, entre nos sensations, ou entre nos souvenirs, ou entre nos sensations et nos souvenirs, ou enfin entre ces |[45] perceptions simples et celles plus composées que nous formons de celles-là, au moyen des rapports que nous appercevons entre elles.

68.

D.

Quelle est la quatrième faculté ?

 

R.

Si nous supposons seulement une fois la perception simultanée de deux modifications qui ne se confondent pas, en un mot la possibilité d’une comparaison, d’une perception de rapport entre une affection de plaisir et une affection de peine, il s’ensuit aussitôt le désir d’éprouver l’une plutôt que l’autre. Ce désir est une perception différente d’une sensation, d’un souvenir ou d’un rapport.

Ainsi l’action d’un jugement dévéloppe en nous une quatrième faculté, que j’appellerai volonté, ou faculté d’appercevoir des désirs ; c’est la quatrième partie de la pensée. Elle ne peut naître que de sensations simultanées et distinctes.

69.

D.

Quelle /est/ la cinquième faculté ?

 

R.

Enfin vient la cinquième partie de la faculté de percevoir : c’est la motilité, ou faculté de nous mouvoir, à laquelle nous devons la perception du mouvement |[46] et celle de résistance, c’est-à-dire, qu’elle nous fait éprouver la sensation que nous appellons effort, suivie tantôt de succès, tantôt d’impossibilité.

70.

D.

Cette cinquième faculté est-elle bien nécessaire à la formation de la pensée ?

 

R.

Qu’il soit rigoureusement vrai ; que sans la perception, qui nous fait connaître l’origine et les canaux de la sensation, nous ne percevons aucun rapport, nous n’avons aucune espèce de connaissance, ou que nous nous réduisions à dire que dans ce cas, nous combinons encore un peu nos perceptions, il demeure toujours certain que, sans la motilité, nous n’avons aucun moyen de rapporter ces perceptions aux êtres qui en sont les causes, nous n’avons aucune connaissance des corps extérieurs, ni du nôtre.

Enfin nos connaissances sont, sinon absolument nulles, du moins si excessivem.t bornées, qu’elles méritent à peine d’être comptées.

71.

D.

Donnez-nous une nouvelle étendue à la preuve de la néc[e]ssité de cette cinquième partie ?

 

R.

Je vais plus loin : eussions-nous même la connaissance des corps sans motilité, nous n’aurions point de signes, et sans |[47] signes bien peu [de] d’idées. En tout, que ferions-nous, sans le pouvoir de remuer ? Notre existence, dans cette supposition, est à peine concevable.

D’un autre coté, il n’est pas moins vrai que sans supposer autre chose dans la faculté de penser que ceque nous y réconnaissons par expérience, c’est-à-dire, la faculté de percevoir des sensations, celle de percevoir des souvenirs, celle de percevoir des rapports, quand nous en avons eû un premier exemple, celle de percevoir des désirs en conséquence de ces rapports, et enfin la motilité, qui, par la sensation de mouvement, nous dévoile un rapport entre l’effort et la résistance ; il est certain, dis-je, qu’avec ces seules données, prises dans la nature, nous expliquérons facilement la génération de toutes nos idées composées, c’est-à-dire, de toutes nos connaissances, et de tous nos sentimens. Ces verités deviendront toujours plus évidentes à mesure que nous en ferons ?? d’applications.

|[48]

   

72.

D.

Déterminez, en vous résumant, en quoi consistent les facultés qui composent la faculté de penser ?

 

R.

Sensibilité, mémoire, jugement, volonté, motilité, voilà toute l’intelligence humaine ; mais ces cinq parties sont indispensables à son action. Par ce court exposé nous voyons déjà que toutes nos connaissances consistent à percevoir des rapports ; toutes nos découvertes à en saisir de nouveaux ; tout notre perfectionnement à rejetter ceux que nous aurions admis trop légèrement ; et à chercher ensuite à en deduire la meilleure méthode pour connaître ces rapports et établir entre nos idées la liaison la plus favorable à leur dévéloppement et à leur justesse.

73.

D.

Vous ne devez pas être surpris de me voir revenir aux sensations : les législateurs de la France en ordonnant que le Professeur de grammaire-générale aux écoles centrales s’occuperait spécialement de l’analyse des sensations, ont voulu substituer le bon sens et la raison d’un Locke, d’un Condillac aux subtilités d’une vaine philosophie. C’est d’après ces considérations que je vous demande de nous donner la détermination de ces mots : analyse des sensations ?

|[49]

R.

Tout être qui sent, analyse ses sensations ; il y est forcé par le plaisir et par la douleur, qui en sont inséparables. Si l’on pouvait séparer la faculté de sentir de celle d’analyser, l’être qui serait doué d’une pareille faculté ne distinguérait pas ses sensations les unes des autres ; il serait sans idées, sans mémoire, et sans la moindre connaissance. Il serait semblable à la surface d’un miroir, qui réfléchit les rayons sans en conserver l’empreinte.

Par les sens l’âme reçoit les impressions des objets ; elle les compare ; elle les juge ; et les recherche ; elle les suit ; elle en conserve le souvenir, lorsqu’ils sont absens, elle s’en forme des idées durables.

74.

D.

L’être sentant devient donc un être intelligent, moral et raisonnable. Comment s’opère ce prodige ? Comment la sensation s’est-elle transformée en intelligence, en moralité en raison ?

 

R.

C’est à la faculté de distinguer entre elles nos sensations et leurs objets, que nous devons celle d’avoir des idées, ou, pour mieux dire, ces deux facultés n’en font |[50] qu’une. L’homme passe de l’état d’être sentant, à celui d’être intelligent, il passe des sensations aux idées, lorsqu’il déméle ses sensations. Le sentiment se transforme en idée, lorsqu’il se fait remarquer entre plusieurs sentimens, avec lesquels il était confondu. L’idée est un sentiment distingué, une sensation démélée, distinguée.

75.

D.

Pouvez-vous donner une nouvelle face à cette réponse ?

 

R.

La voici : on a dit : appercevoir, c’est sentir ; il fallait dire, appercevoir, c’est sentir des rapports. Un être purement sensitif, et qu’on supposerait incapable de saisir le moindre rapport, serait dans l’impossibilité d’éprouver le sentiment de distinction ; il n’appercevrait rien, il serait sans idées.

76.

D.

Les philosophes sont-ils tous d’accord sur la manière d’expliquer cette transformation de la sensation, en idée ?

 

 

Non : Mallebranche a avancé que les idées sont l’essence même de la divinité qui se manifeste aux hommes, et que comme nous voyons tout dans les idées, nous voyons tout en dieu : mais on convient |[51] qu’il n’y a rien de semblable entre un sentiment de distinction que nous éprouvons, en nous-mêmes, et l’essence divine.

77.

D.

Quel est le sentiment de Buffon ?

 

R.

On serait d’abord tenté de croire que Buffon s’est plus approché du but, et que même il a frappé au but, lorsqu’il définit les idées, des sensations comparées. Mais remarquez que pour comparer deux sensations, pour sentir qu’on a deux sensations, il faut avoir deux sensations, il faut les avoir distinguées, l’une de l’autre, il faut en avoir idée : les sensations comparées supposent les idées.

78.

D.

A quel sentiment donc faudra-t-il se fixer ?

 

R.

Il parait que le caractère propre de l’idée, consiste dans la distinction que nous fesons des objets et de leurs différentes qualités ; et comme ce n’est que par nos sensations que nous sommes avertis de leur existence, c’est dans la distinction des sensations elles-mêmes qu’il faut chercher la première origine de nos connaissances. Un être qui ne démélerait rien dans ses sentimens, ne serait point appellé à recevoir |[52] la lumière de la raison ; il manquerait de ce germe précieux qui, fécondé par l’institution de la parole, fait toute la supériorité de l’homme, et lui assigne le premier rang parmi les oe[u]vres de la création.

79.

D.

Donnez-nous à présent quelques règles pratiques concernant les idées ?

 

R.

Les règles par le moyen desquelles on peut parvenir à rendre ses idées claires et nettes, sont la partie la plus essentielle de la logique.

1.o Quand il s’agit des objets sensibles, pour éviter l’illusion il faut ne les observer que d’une juste distance, et employer, autant qu’il est possible le témoignage de plusieurs sens.

2.o Il faut fixer assez longtems son attention sur ses idées, pour les approfondir et dévélopper les idées partielles dont elles sont composées.

3.o Il faut ranger avec ordre nos idées dans notre esprit, selon qu’elles sont plus ou moins générales ou qu’elles naissent les unes des autres ; L’esprit voit par ce moyen la liaison qui est entre les choses, et s’accoutume à suivre imperceptiblement les routes qui ménent de vérités en vérités.