Eilers, Vera/Zollna, Isabel
Vera Eilers/Isabel Zollna (Marburg) |
La Grammaire générale en Espagne : José Mamerto Gomez Hermosilla
Résumé
Les Principios de gramática general de Gómez Hermosilla sont considérés actuellement comme la réception la plus importante des idéologues français en Espagne, en particulier de la Grammaire (2ème volume des Elémens d’Idéologie) d’Antoine Louis Claude Destutt de Tracy. Gómez Hermosilla, certes, ne traduit pas littéralement la Grammaire mais il en adopte une grande partie sans modifications majeures et l’applique à l’espagnol. Bien qu’il ne réfute que quelques-unes des thèses de Destutt de Tracy, il se montre très critique envers la thèse du verbe substantif et la théorie du verbe en général. Sur ces sujets, il adopte une position propre clairement définie et se distingue explicitement de Destutt de Tracy. Il insiste sur cette différence présentée comme fondamentale dans de longs passages polémiques. Cette théorie particulière de Gómez Hermosilla soulève des questions aussi bien sur l’interprétation de la théorie grammaticale des idéologues que sur la traduction du mot latin esse ou bien – en français – être par les verbes espagnols ser ou estar.
1. Introduction
La supposition d’un «verbe substantif», à savoir le «verbe unique» être, est, depuis les grammaires du Moyen-âge jusqu’à la Grammaire générale, l’une des bases principales de la grammaticographie. La tradition française de la Grammaire générale, qui commence avec la Grammaire de Port-Royal, adopte cette idée et la développe d’une manière particulière. Il est manifeste que Gómez Hermosilla, dans ses Principios de gramática general, se méprend fondamentalement sur l’idée du verbe substantif dans sa signification philosophique. On peut considérer sa critique de cette idée comme injustifiée, car elle n’aborde pas le fond du problème – par exemple la question importante de savoir s’il faut traduire le mot français être par ser ou bien par estar en espagnol. Cette question d’une importance si capitale pour un grammairien espagnol de cette époque se consacrant à la diffusion de la philosophie de l’idéologie française reste pourtant complètement délaissée dans cet ouvrage, bien que la critique de Gómez Hermosilla des idéologues français et particulièrement de Destutt de Tracy soit – en ce qui concerne certains détails – dure et virulente.
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2. La Grammaire générale en Espagne
Comme le constate Emilio Ridruejo dans son essai «Los epígonos del racionalismo en España», les idées philosophiques du «racionalismo continental», dont la Grammaire de Port-Royal fait partie, ainsi que «el empirismo inglés o el sensismo de Condillac y de los ideólogos franceses» (Ridruejo 1997: 95) ne sont arrivées en Espagne qu’avec un retard considérable. De surcroît, ces idées furent accueillies sans discernement par divers courants confondus:
«Sin embargo, en la gramática española la recepción de todas estas corrientes es tardía y, con frecuencia, se aceptan simultáneamente propuestas introducidas por Port Royal junto con las de autores de otras tendencias muy posteriores.» (Ridruejo 1997: 95)
Ridruejo évoque les auteurs espagnols dont les ouvrages grammaticaux attestent un examen de la Grammaire Générale de Port-Royal jusqu’à Condillac et Destutt de Tracy: Benito de San Pedro, Jovellanos (pour le XVIIIe siècle), Juan Manuel Calleja ainsi que José Jesús Muñoz Capilla (pour le XIXe siècle) qui «aplica con fidelidad la filosofía gramatical de Condillac» (ibidem). Pourtant, il considère la Gramática General de Gómez Hermosilla comme la grammaire la plus importante et la plus influente en ce qui concerne la diffusion du rationalisme dans le sens de Port-Royal.
3. L’auteur et son œuvre
José Mamerto Gómez Hermosilla est né en 1771 à Madrid. Il fait ses études de grammaire et de rhétorique au Colegio de las Escuelas Pías de Getafe jusqu’en 1782. Après avoir terminé ses études, il enseigne à partir de 1785 la philosophie et la théologie dans les colegios de Santo Tomás et San Isidro à Madrid, puis également le grec et la rhétorique (à partir de 1802).
«En 1808 fue afrancesado, ocupando el cargo de jefe de división en el Ministerio de Policía General y secretario de Pablo Arribas, superintendente de Policía de Madrid. Honrado por José I como caballero de la Orden Real de España. Entre 1814 y 1820 estuvo exiliado en Francia. A su vuelta fue redactor de El Sol de Madrid, 1820, colaborador de El Censor (1820-1822) y redactor de El Imparcial (1821-1822). Se le atribuye Mérito, fortuna, errores, crímenes y desgacias de Napoleón Buonaparte, Madrid, 1821. Al mismo tiempo era director del famoso colegio de San Mateo que dirigió Alberto Lista.»
[http://es.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Mamerto_G%C3%B3mez_Hermosilla (11.10.2006)]
Pendant la guerre d’indépendance, il s’enfuit en France parce qu’il fait partie des «afrancesados», et il y reste jusqu’au début du trienio liberal (1820-1823). De retour en Espagne, il devient, en 1826, secretario real et occupe, entre 1825 et 1835, le poste de secretario de la Inspección Pública. Il publie d’abord, en 1826, un traité de rhétorique: Arte de hablar en prosa y en verso, et ce n’est que plus tard qu’il publie les Principios de gramática general (1835) qu’il avait déjà rédigés en 1823.
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Emilio Ridruejo nomme cet ouvrage «La obra más significativa y que tiene una mayor influencia en la difusión del racionalismo» (Ridruejo 1997: 96).
3.1. L’idée du verbe unique
Dans la Grammaire Générale de Port-Royal, on distingue deux groupes de verbes, par analogie avec la division du nom en nom substantif et nom adjectif, à savoir le verbe substantif et le verbe adjectif. Par le terme de verbe substantif, les grammairiens désignent le verbe être, tandis qu’ils nomment verbes adjectifs tous les autres verbes car ils sont considérés comme des combinaisons du verbe être et d’un participe pris comme adjectif. Les exemples censés étayer cette analyse ou interprétation sont présentés en latin: le mot latin sum, en français je suis, exprime d’un côté une affirmation et d’un autre côté l’existence, c’est-à-dire la substance. Les deux significations, celle de l’affirmation et celle de l’existence comme substance, sont alors toujours contenues dans le mot sum. Ce fait justifie la désignation de verbe substantif.
Du verbe être, on peut déduire tous les autres verbes: j’aime, par exemple, peut être décomposé en je suis aimant. On appelle ces verbes verbes adjectifs parce qu’ils contiennent, pour ainsi dire, un participe employé comme adjectif. D’après la méthode ici décrite, on peut décomposer tous les verbes en un seul verbe, à savoir être, qui se combine avec un participe. Cette «décomposition» ou paraphrase s’inscrit dans une perspective purement logique et non dans une perspective historique qui concernerait l’histoire de la langue ou du langage. C’est-à-dire que les idéologues français ne prétendent pas qu’il ait existé d’abord – dans une sorte de protolangage – une langue ne contenant que des noms et le verbe être, et seulement beaucoup plus tard tous les autres verbes. Au contraire, les passages des grammaires des idéologues français traitant des problèmes du verbe unique n’évoquent pas la question de l’origine du langage et ils abordent seulement accessoirement l’apparition chronologique des catégories grammaticales dans une perspective génétique[1]. Chez les idéologues français, la décomposition des formes verbales – c’est-à-dire de toutes les classes de mots – est une méthode d’analyse logique et non pas une reconstruction diachronique.
3.2. La critique de Gómez Hermosilla
Ridruejo attire l’attention sur le fait que Gómez Hermosilla s’est penché – intensivement et de façon critique – sur la question du verbe substantif et que cette celle-ci prend beaucoup de place dans sa grammaire:
[1] Destutt de Tracy, par ex., part de l’interjection comme première catégorie de laquelle seraient issues toutes les autres dans le développement du langage.
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«En consonancia con su definición de verbo como la palabra que significa el movimiento, Hermosilla discute largamente la tesis de Port Royal, renovada por los ideólogos, de la existencia constante de un verbo sustantivo siempre implícito. A esta cuestión dedica cinco largas proposiciones que ocupan casi cuarenta páginas.» (Ridruejo 1997: 102)
La critique de Gómez Hermosilla commence par une attaque contre l’analogie établie entre la classification binaire du verbe et celle du nom: bien qu’il ne mette pas en question la division classique du nom (nom substantif et nom adjectif), il affirme que la division analogue du verbe en ces deux mêmes groupes est une sorte de solution purement arbitraire dont les idéologues français se sont servis pour avoir une classification symétrique (à savoir «nom» avec deux subdivisions et «verbe» également avec deux subdivisions), qui n’a cependant aucun sens. D’après lui, cette division complètement superflue et forcée ne sert qu’à remplir un besoin de formalisme extérieur à la structure des langues:
«Los gramáticos, queriendo dar cierta simetría á sus clasificaciones, dijeron “pues el nombre se divide en sustantivo[2] y adjetivo, dividamos tambien del mismo modo el verbo; llamemos sustantivo a ser (ó su equivalente en cada lengua) y adjetivos á todos los restantes; porque así como el nombre adjetivo designa una cualidad concreta, tambien los verbos activos significan acciones concretas, es decir, referidas á las personas que las ejecutan.”» (Gómez Hermosilla 31841: 42s.)
Il va jusqu’à rejeter la supposition de l’existence d’un verbe substantif en général et justifie son opinion par des exemples et des arguments variés. À son avis, ser (et ainsi tous ses équivalents dans toutes les langues qui le contiennent) n’est même plus un verbe, mais prend la fonction d’une conjonction («conjunción»):
«Yo diría, al contrario, que los verdaderos verbos son los que significan, ó significaron, accion, y que el llamado sustantivo, aunque por significar la existencia admite variedad de tiempos, y porque en su orígen fué un verdadero verbo se le dá todavía este título, ya no lo es en rigor; es una conjuncion[3] (cópula le llamaron los escolásticos, y con mucha propiedad) destinada á unir los nombres sustantivos, ó sustantivados, con los adjetivos, ó sus equivalentes, indicando cierta relacion (la de continente y contenido) entre la idéa expresada por los primeros, y la enunciada por los segundos.» (Gómez Hermosilla 31841: 44)
Toutefois, puisqu’on a désigné ser jusqu’à présent par le terme de verbe, il propose de maintenir cette désignation par pure habitude:
«Sin embargo, como hasta aquí se ha contado á ser en el número de los verbos, continúese haciendolo así; pero entiéndase que su oficio es el de indicar cierta relacion abstracta entre dos idéas: oficio propio de las conjunciones, como luego se verá.» (Gómez Hermosilla 31841: 44ss.)
Le mot latin esse, en revanche, était selon lui un verbe qui signifiait, d’un point de vue historique, «estar fuera de la nada = existir, ser algo»:
«Sabido es que el español ser, el francés être (anticuado estre) y el italiano essere, son el latino esse [...]. Y bien, ¿cómo llegó este á significar la existencia abstracta? Fácil es conocerlo, observando que con el espíritu suave significó ir (a) y con el áspero hacer ir = enviar: que, antece-
[2] En italique dans l’original.
[3] Mise en relief en caractères gras par V.E.
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dente por consiguiente, significó luego llegar al parage adonde uno va ó es enviado, y por otro consiguiente, estar en él: y que, generalizada la idéa, significó despues estar de cualquier modo[4] (b), y mas particularizada, estar fuera de la nada = existir, ser algo.» (Gómez Hermosilla 31841: 45s.)
L’erreur de raisonnement qu’il commet dans sa mise en question de la supposition de l’existence du verbe substantif consiste dans le fait qu’il confond une approche logico-philosophique avec une approche diachronique de l’origine possible du langage. Il est vrai que la perspective logique chez les idéologues implique aussi une perspective génétique, mais celle-ci n’est pas considérée comme renvoyant à l’histoire d’une langue particulière. Gómez Hermosilla ne fait aucune allusion à la perspective logique et fonctionnelle des idéologues. Au lieu de cela, il essaie de réfuter, dans de longs passages de sa grammaire, d’une manière passionnée et polémique, l’affirmation présumée des idéologues que les verbes s’étaient formés, dans les origines du langage, chronologiquement après les noms et après le verbe unique, à savoir être, qui aurait été le seul verbe de chaque langue pendant une très longue période. Il reproche obstinément et avec insistance aux idéologues de supposer qu’il y avait eu autrefois des langues sans verbes et que les verbes s’étaient formés plus tard (ce que les idéologues cependant n’ont jamais affirmé):
«Ni existe, ni ha existido, ni puede existir, una lengua sin verbos activos.
Que no existe, ni ha existido, es otro hecho histórico: y si alguno lo niega, que nos muestre una, antigua ó moderna, viva ó muerta, en que no haya palabras que signifiquen acciones concretas, es decir, consideradas en el acto de ejecutarse, haberse ejecutado ya, ó haberse de ejecutar.» (Gómez Hermosilla 31841: 47)
«Que no puede haber lengua sin verbos activos[5] es una verdad teórica, pero fácil de probar. Es imposible, en efecto, concebir la existencia de una lengua en que no haya palabras para expresar las idéas debidas á la inmediata sensacion, siendo los elementos con que formamos, concretando[6] y abstrayendo, las totales y parciales de los objetos. Yo, por mí, ni aun figurarme puedo un sistema de signos en que no los haya para aquellas idéas de las cuales se derivan todas las otras.» (Gómez Hermosilla 31841: 48s.)
«Dada nuestra organización, supuesta nuestra naturaleza, ¿puede ni aun concebirse una lengua en que, hablando de sus propias sensaciones y de los movimientos que él mismo ejecuta, nunca diga el hombre «veo, oigo, palpo, huelo, gusto, como, bebo, ando, entro, salgo, subo, bajo» y siempre enuncie que una de las cualidades que reconoce en sí es la de „viente, oyente, palpante, oliente, gustante, comiente, bebiente, andante, entrante, saliente, subiente, bajante? ¿Puede tampoco haber una lengua en que [...] nunca diga el hombre «el gato maya, la liebre corre» y siempre enuncie que el gato es mayante, la liebre corriente &c.?» (Gómez Hermosilla 31841: 49s.)
«Añádase que una lengua sin verbos activos sería, si existir pudiese, pobre, mezquina, monótona, fastidiosa, inaguantable, un descarnado esqueleto; y que, habiendo de ser en ella sustantivos todas las oraciones, sería tambien lo que un sistema de pintura, ó escultura, en que todos los objetos siempre se presentaran en una misma actitud. Y reconózcase desde ahora, aunque luego lo probaré, que la lengua llamada filosófica por los modernos ideólogos sería, si por capricho la formase un soñador, un mamarracho de que el inventor mismo tendria que avergonzarse.» (Gómez Hermosilla 31841: 52)
[4] Mise en relief en caractères gras par V.E. On reviendra à ce passage plus loin, dans un autre contexte.
[5] Mise en relief en caractères gras par V.E.
[6] Ici, G. H. adopte le néologisme «concraire» forgé par Destutt de Tracy par analogie avec le terme «abstraire».
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La dernière citation montre que Gómez Hermosilla a, d’une certaine façon, senti le point sensible concernant la décomposition ou la réanalyse du verbe en être + adjectif (participe), mais qu’il n’arrive pas à le saisir dans un cadre scientifique. Il ne mentionne pas l’interprétation «d’aspect» qui s’impose ici. Au contraire, il reproche une nouvelle fois aux idéologues d’avoir supposé l’existence d’une langue qui était d’abord sans verbe et il poursuit en affirmant que, dans une langue sans verbes, les nombres adjetivos n’auraient pas pu se former, car ceux-ci étaient des dérivés directs des verbes (qui ainsi devaient exister chronologiquement avant les noms adjectifs):
«El hombre no pudo calificar de corredora á la liebre sin haberla visto correr, ni de rugiente, ó rugidor, al leon, sin haberle oido rugir. Esto es evidente. Luego las idéas de las sensaciones que percibió el hombre cuando vió correr a la liebre, y oyó rugir al leon, fueron anteriores, en tiempo y en órden, á las idéas de las cualidades que en consecuencia supuso en aquellos dos animales.»(Gómez Hermosilla 31841: 54s.)
Sa critique virulente des «modernos ideólogos» est accompagnée de nombreux exemples formulés d’une manière ou bien ironique, ou bien passionnée. Celles-ci soulignent le fait que sa propre théorie est «logique, évidente» etc. et que la théorie des idéologues est, au contraire, «absurde, illogique»: «[...] un hecho absolutamente imposible» (op. cit. 53); «Esto es ideológicamente[7] imposible» (op. cit. 54); «Esto es evidente» (ibid.); «Esto es igualmente cierto» (op. cit. 55); «Me parece innegable» (ibid.); «Suponer lo contrario [...] es suponer un absurdo, un imposible» (op. cit. 55s.); «[...] que una lengua con nombres adjetivos, y sin ningun verbo activo, es un ente imaginario» (op. cit. 58) «[...] nadie lo duda» (op. cit. 59).
3.3. La théorie du verbe chez Gómez Hermosilla
Le noyau de la critique de Gómez Hermosilla est une théorie originale du verbe conçue par lui-même. La qualité décisive du verbe est, selon lui, l’action, c’est-à-dire l’expression d’un mouvement. À son avis, tout commence par les verbes, et les autres parties du discours sont plutôt secondaires:
Pour lui, l’acción et par cela, le verbe, jouent le rôle central dans la formation du langage et des langues. Il n’accepte pas le terme verbe adjectif parce que, dans le cadre de son argumentation diachronique, une telle formation de mots serait paradoxale. Car les hommes,«Estas palabras [...] son las que en gramática se llaman verbos[8], como si dijésemos «las palabras por excelencia», porque, en efecto, son las mas necesarias de todas para la enunciacion del pensamiento; lo cual consiste en que el hombre no habla para solo expresar las idéas totales ó parciales de los objetos, diciendo «cereza, dulce», sino para manifestar lo que las cosas son ó lo que hacen.» (Gómez Hermosilla 31841: 22s.)
[7] Ici, on voit clairement que le terme «idéologique» ou «ideológico» ne se réfère pas à une théorie spécifique établie par «les Idéologues», mais qu’il prend une signification beaucoup plus générale dans le sens de «selon une logique raisonnable, moderne» etc. (v. Zollna 2004, note 272).
[8] En italique dans l’original.
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selon lui, n’appréhendent l’environnement que par la perception des mouvements; c’est-à-dire qu’un objet quelconque ne se fait remarquer que par son mouvement. Les termes centraux de la théorie de Gómez Hermosilla sont materia et movimiento. Il part du principe qu’à l’origine du langage, les hommes ont inventé des mots pour les objetos materiales, à savoir les nombres (supposition traditionnelle concernant l’origine du langage) et qu’ils ont inventé, directement après, des mots pour exprimer les movimientos, à savoir les verbes:
«Para lo primero [el hombre] inventó las voces que los gramáticos han llamado nombres[9], y para lo segundo las que en todos tiempos, ántes y despues de Aristóteles, y en todas las lenguas, han tenido un título equivalente al de nuestra palabra verbo.» (Gómez Hermosilla 31841: 41s.)
3.4. Le problème de la traduction du mot français être par l’espagnol ser ou bien estar
Dans la théorie de Gómez Hermosilla, il n’est pas question des deux différentes traductions possibles du verbe être, à savoir ser ou estar, bien que l’auteur mentionne explicitement l’existence des deux verbes espagnols qui correspondent au verbe être:
«estar en él: y que, generalizada la idéa, significó despues estar de cualquier modo (b), y mas particularizada, estar fuera de la nada = existir, ser algo.» (Gómez Hermosilla 31841: 45s.)
Quoiqu’il se serve de «estar de cualquier modo» comme d’une aide pour expliquer l’origine du mot latin esse et de ses successeurs dans les langues romanes, il n’a pas recours à ces idées pour sa traduction du mot être. D’autres auteurs espagnols, comme Jovellanos, n’ont pas ce problème: Jovellanos traduit être – dans sa fonction ‘être + participe’ – généralement par estar. Gómez Hermosilla, par contre, traduit être sans exception par ser. La traduction des exemples français donnés par Destutt de Tracy est pour lui un motif – après qu’il a traduit tous les exemples en employant ser – pour se moquer de l’impression artificielle provoquée par des exemples comme ser amante (pour le français ‘être amant’). De cette façon, il se prive de la possibilité d’employer estar et de critiquer ensuite – et avec raison – d’une manière fondamentale le procédé de décomposition progressive des catégories grammaticales que l’on trouve dans la Grammaire générale. Chez Gómez Hermosilla, il n’est jamais question de la traduction de la forme être amant par estar amante ou même par estar amando afin d’analyser le fond logique de cette réduction en être + «adjectif», comme c’est sans doute le cas chez les idéologues. Cependant, il mentionne le verbe estar mais il ne le fait que pour fournir un exemple qui étaye sa conviction que «[en] muchos casos, no es posible la resolucion del verbo activo por el sustantivo» (op. cit. 35):
«3.° La resolucion es absolutamente imposible con el verbo estar. ¿Cómo, en lugar de “estar bueno, malo &c.” se ha de sustituir “ser estante bueno, ó malo?”»(Gómez Hermosilla 31841: 38)
[9] En italique dans l’original.
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En ce qui concerne la question de savoir pourquoi il ne remplace pas, à titre d’essai, ser par estar, il nous laisse dans l’incertitude. C’est Melchor Ignacio Díaz qui met en lumière le fait que l’usage de ser et estar (et même haber) pour le français être pouvait être considéré comme quelque chose qui ne pose aucun problème de traduction et qui n’était même pas considéré comme douteux au niveau de la langue. Ce grammairien espagnol présente également les idées des idéologues français à un public espagnol, dans ses Elementos de ideología y gramática general, arte de pensar, é historia de la lógica. Dans le chapitre sur le verbe (§ 4, 238), il écrit:
«Se divide en sustantivo y adjetivo. Sustantivo es el que únicamente significa existir una persona ó cosa. Son ser, estar, y haber.[10] Adjetivo es el verbo, que denota la existencia de una persona ó cosa, modificadas de alguna manera; v.g. desear, correr. El verbo adjetivo es una palabra, que á la vez denota existencia, y modificacion de un sustantivo. Andar, quebrar, equivalen á ser andante, quebrante. [...] El único verbo es el sustantivo ser: todos los demás son una composicion de él, y de un adjetivo.» (Ignacio Díaz 1841: 122s.)
Dans le cadre d’une critique légitime de la Grammaire générale, Gómez Hermosilla aurait pu démontrer la similarité des formes du participe présent français et du gérondif (par exemple aimant, en aimant) qui n’existe pas en espagnol (amante, amando). Car la traduction correcte de la forme française aimant varie selon qu’il s’agit d’un participe présent ou d’un gérondif, de sorte qu’il faut la traduire soit par ser amante, soit par estar amando.
Conclusion
La critique de la théorie verbale des idéologues par Gómez Hermosilla résulte en majeure partie de malentendus. Cela le mène à une critique du verbe substantif injustifiée parce que fondée sur une fausse interprétation. Ainsi, sa critique manque de pertinence et n’aborde pas le fond du problème. En outre, on se demande pourquoi cet auteur est si certain qu’il faut traduire être par ser et non – jamais? – par estar. À l’exemple du fameux rationaliste espagnol Jovellanos, on peut démontrer qu’il y a d’autres philosophes des Lumières espagnoles qui se sont penchés intensivement sur la Grammaire générale et qui résolvent cette question d’une manière différente. Dans le Curso de Humanidades castellanos de Jovellanos, au chapitre «Rudimentos de Gramática general», on trouve l’explication suivante:
«La palabra es [...] representa [...] una percepcion del alma, cuya percepcion se reduce á juzgar que la calidad está en el objeto; luego esta palabra puede llamarse indicante de estado, bien que otros la llaman verbo. Sucede algunas veces que el verbo y la calidad se incluyen en una sola palabra. Así, Pedro piensa, es lo mismo que decir Pedro está pensando[11].»[12]
[10] Mise en relief en caractères gras par V.E.
[11] Mise en relief en caractères gras par V.E.
[12] Jovellanos , Gaspar Melchor de: «Rudimentos de gramática general». In: «Curso de humanidades castellanos.» In: Obras (1858), 105. Cf. Ignacio Díaz (1841), 122s.
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La traduction du verbe être par estar, sans aucun commentaire, paraît aussi naturelle que les traductions par ser de Gómez Hermosilla paraissent, à l’inverse, forcées. Chez les trois auteurs présentés – Gómez Hermosilla, Ignacio Díaz et Jovellanos –, il n’est pas question des problèmes de la traduction du verbe être: tous les trois le traduisent à leur gré et sans commentaire sur leur choix ou sur une alternative possible.
Bibliographie
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