Discours préliminaire
Table des matières | Discours préliminaire. | Leçons préliminaires. |
Grammaire. Première partie. |
Grammaire. Seconde partie. |
Troisième partie. De la syntaxe. |
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Discours préliminaire.
L’homme, par sa nature, est conformé pour parler le langage des sons articulés ; cependant la parole ne lui est pas si naturelle qu’il n’ait besoin pour exprimer ses sensations et ses idées, ni du secours de l’instruction, ni de celui de l’expérience. Le sourd-muet de naissance, doué d’ailleurs de l’organe de la parole, n’ayant jamais pu entendre les sons, ni s’exercer à les prononcer demeure constamment muet. Un enfant séquestré de la société et privé en naissant de toute communication avec ses semblables n’exprimeroit ses sensations et ses idées que par des cris – comme les animaux, ou par les gestes que lui suggereroit la nature. Il résulte de là que nous apprenons à parler, comme nous apprenons à jouer d’un instrument. Une mère recueille les premiers accens de son fils, elle l’accoutume à prononcer des sons analogues et parvient /insensiblement/ à lui apprendre le langage de son pays. La parole est donc comme tous les arts, le produit de l’industrie humaine ; elle est donc elle même un art et le premier de tous et le plus universellement utile.
C’est cet art considéré dans toute son étendue qui doit faire l’objet de nos leçons. Nous chercherons à en découvrir l’origine ; nous examinerons quel il dut être à sa naissance, comment il se développa par degrés et parvint à cet état où nous le voyons |2 aujourd’hui. Nous trouverons tout cet art dans l’analyse de la période ; et notre cours sera fini, quand nous saurons composer décomposer et recomposer la période et que nous connoîtrons les élémens qui la forment.
Jeunes gens les avantages que vous retirerez de l’art de la parole[s] sont bien propres à exciter votre émulation. Il est comme nous l’avons dit le plus utile de tous les arts. Eh ! quel autre est d’un usage plus universel ? quel autre nous distingue mieux des autres êtres de la nature ! quel autre procure à l’ame qui par son moyen peut s’épancher toute entière dans l’ame des autres, des jouissances plus délicieuses. C’est par lui que s’établit entre les esprits cette correspondance bien plus parfaite[s] que celle qui règne entre les autres êtres de la nature, puisque c’est lui qui brise en quelque sorte cette cloîson qui sépare les ames ; que c’est lui qui, par la manifestation de leurs pensées et de leurs affections, ne fait de deux ames unies par une véritable amitié qu’une ame unique. Eh ! qui nous consoleroit si souvent au milieu des angoîsse[s] de cette vie. Si l’ame de ceux qui nous entourent étoit fermée pour notre ame par l’absence de la parole ; si la nôtre ne pouvoit s’ouvrir à son tour aux tendres accens de l’amitié ? Eh quels signes remplaceroient jamais le nom si doux d’ami, quand le langage du cœur le prononce et l’adresse à l’oreille du cœur. Non, Citoyens aucun autre art ne vous offre autant d’utilité et d’agrément que l’art de la parole, aucun autre ne devient aussi indispensable à votre éducation et je termine en vous adressant cette vérité, qu’il n’y a point d’esprit sans pensée, point de pensée sans parole et point de parole sans Grammaire.