Grammaire. Seconde Partie. Des Elémens du discours
Table des matières | Discours préliminaire. | Leçons préliminaires. |
Grammaire. Première partie. |
Grammaire. Seconde partie. |
Troisième partie. De la syntaxe. |
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Grammaire.
Seconde Partie.
Des Elémens du discours.
Chapitre premier.
Du Nom.
Tous les Elémens du langage ont sans doute des droits à l’observation réfléchie de quiconque veut connoître les rapports que les mots doivent avoir avec les idées dont ils sont les signes ; mais aucun ne peut disputer au Nom la préférence que réclame pour lui le rôle important qu’il joue dans le discours. Il est si essentiel, que tout le reste est sans aucune valeur, quand il disparoît un instant et qu’il n’est pas aussitôt remplacé. Encore est-il nécessaire que celui qui vient prendre sa place ait reçu de lui sa mission, qu’il les ait vus tous deux ensemble. Sans cela tous les autres mots d’une phrase, écrite ou parlée, les uns à la suite des autres seroient là sans rien peindre à l’esprit, et ressembleroient aux sons vagues et confus que |[49] rend un instrument sous les doigts d’un enfant qui n’a jamais reçu de leçon musicale. Le nom appelle sur lui tous les regards. Il semble annoncer, en se présentant le premier dans la proposition, que c’est pour lui qu’elle est formée ; que c’est de lui que tous les élémens qui la composent, reçoivent leur forme variée ; tout sera connu quand le nom le sera. Il est l’image véritable, la représentation fidèle et par conséquent le signe d’appel ou plutôt de ra/p/pel du sujet de la proposition. Le nom n’est pas plutôt prononcé, que le sujet est, en quelque sorte, rendu présent et visible.
C’est ici que lhomme commence à sécarter un peu de cette ligne parcourue par l’instinct, où les objets ne laissent que des souvenirs confus, des réminiscences imparfaites, et qu’inventant des signes, il donne à ses idées fugitives des appuis permanen[ts]. Les premiers signes sont les noms, que le besoin de communiquer avec ce qui l’entoure indique à l’homme, et que les animaux ne connoissent pas. L’homme seul en effet donne des noms aux objets ; l’homme seul connoît les charmes des souvenirs que réveille[nt] dans l’ame des noms chéris. Dans sa mémoire comme dans une sorte de galerie, prennent leur place et l’arrangent |[50] cette grande multitude de noms, qui comme autant de tableaux, la meublent et l’embellissent.
Tels sont les premiers matériaux de nos pensées et telle est la première richesse de notre esprit. C’est par les noms qu’on a déjà donnés ou que nous donnons nous mêmes à tous les objets répandus dans la nature, que nous nous en rendons les propriétaires en quelque sorte, et qu’il se forme entre eux et nous des rapports qui ne nous permettent pas de les voir ou d’y penser avec indifférence. C’est par les noms /que nous/ les distinguons, que nous les classons que nous les individualisons, quand nous voulons les considérer seuls par abstraction de tous ceux de leur espèce, et c’est aussi par des noms communs, que nous les considérons en masse : quelquefois en ne remarquant en eux que des formes, nous donnons des noms à ces formes, pour nous en entretenir comme de leurs sujets : quelquefois nous observons ces formes, comme si elles existoient sans leurs sujets : et de là ces diverses sortes de noms dont il n’est pas permis aux grammairiens de méconnoître et d’ignorer les différences et qui feront la matière des paragraphes suivans.
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§ 1erDes noms propres et des noms appellatifs.
Chaque homme a sa physionomie, chaque portion de la terre son climat sa position et ses rapports particuliers, chaque état son gouvernement, chaque ville son étendue ; chaque peuple ses mœurs. Il faut donc des signes particuliers, comme il y a des objets particuliers ; chaque objet doit avoir son signe à soi, son signe propre, son nom qui ne soit pas le nom d’un autre objet ; un nom dont la seule prononciation le fasse assez connoître, le détermine assez, pour qu’il ne faille pas un mot de plus.
Tels furent les premiers noms ; car l’homme ne voyant /d’abord/ dans la nature ni genre, ni espèce, mais seulement des individus ne dut avoir que des noms propres. D’ailleurs les êtres uniques furent pour lui en si petit nombre qu’il ne fallut pas faire un grand effort pour leur imposer des noms, et pour en conserver la nomenclature. Ce fut, sans doute, le soleil, la lune, le fleuve le plus voisin, le ruisseau qui baignoit les bords de la prairie, où il menoit paître son troupeau, |[52] le chef de la famille qu’il fallut distinguer et ce fut là l’origine des noms propres.
Mais à mesure que les rapports de civilisation s’étendirent la nomenclature des noms propres s’acrut : on en donna à tous les objets qui formoient des classes et qu’il étoit intéressant de distinguer ; tels furent d’abord les ham/e/aux, les rivières, les montagnes, les vallons, les villes, les sousdivisions des grands états, les états eux mêmes, les grandes portions de la terre, les lacs, les fleuves, les mers particulières, les îles et les grandes mers.
Ce premier succès devoit naturellement enhardir celui qui avoit imposé des noms à tout ce qui environnoit sa demeure champêtre ; il porta ses regards plus loin ; des enfans à doter lui firent faire de nouveaux efforts ; des arbres semblables à ceux qu’il avoit déjà nommés d’autres ruisseaux, d’autres champs avoient trop de ressemblance avec les premiers, pour ne pas mériter, et pour ne pas obtenir des noms particuliers : les premiers noms furent donnés à ceux-ci, et de propres qu’étoient d’abord ces noms, ils devinrent communs et pour rappeller leur dénomination commune, comme ils servoient de signes de rappel à une grande masse dêtres on les nomma noms appellatifs. ainsi le |[53] nom appellatif fut propre dans le commencement comme il lui est arrivé dans la suite de redevenir propre.
Mais aussitôt que les noms sont devenus appellatifs, (et ils le sont devenu quand l’esprit après l’habitude, en observant tous les objets et en y remarquant des rapports de ressemblance, ?? de les classer et de les distribuer en masses ou en espèces), leur extension [leur extension] est devenue plus grande, il a fallu les circonscrire et c’est alors que la philosophie, toujours attentive à perfectionner le langage à mesure qu’il donnoit plus de suite, plus de liaison, plus de précision aux idées, a inventé de petits mots qui ont servi à déterminer les noms communs ou appellatifs /et ces petits mots sont les articles/ mais il n’est pas encore temps d’en parler. Le nom mérite seul de nous occuper, dans ce moment de préférence à tout le reste.
§ 2 Des Genres.
Deux Genres partagent tous les êtres en deux grandes sections ; chaque section est comme une sorte de division ; une espèce de partage qui a fait donner à chacun le nom de sèxe, mot qui vient de la même famille que section, tous deux dérivés du mot latin secare, qui signifie couper. L’une de ces sections est celle des mâles, et leur genre est appellé pour cela masculin. |[54] L’autre est celui des mères, des femelles, et est appellé pour cela genre feminin. Les choses qui ne sont pas engendrées, mais faites, n’appartiennent, sans doute, à aucune de ces deux classes, et ne devroient être d’aucun genre, ou devroient du moins appartenir à un genre particulier ; mais ici le fil de l’analogie s’est rompu ; le caprice le renoua en classant les choses comme la raison avoit classé les êtres, et il y eut des choses mâles comme il y eut des choses femelles. Cette bizarerie dont les langues anciennes nous ont donné l’exemple a été bannie de la langue anglaise, où tous les noms qui ne sont d’aucun genre des deux grands genres, ont un genre particulier.
Ici le caprice de la langue n’a pas même toujours respecté ce partage qu’avoit fait la raison entre les êtres vivans ; car on trouve les deux sèxes d’une espèce entière, comme sous un seul genre ; et on dit un lièvre, un aigle un renard, une mouche sans jamais employer le feminin pour les trois premières espèces, ni le masculin pour l’autre.
Mais pourquoi les premiers hommes ont-ils cru devoir mettre une si grande précision dans la distinction[n] |[55] des deux sèxes parmi certains animaux et pourquoi en ont-ils mis si peu dans la distinction de quelques autres ? C’est que l’intérêt qui a lié les hommes, a présidé à toutes leurs institutions. Ils ont soign[eé] davantage ce qui les touchoit davantage. Le bœuf compagnon de leurs travaux, le coq qui sonnoit l’heure de leur reveil, la vache et la chèvre dont le lait les nourrissoit ; la poule dont les dons journaliers étoient aussi un des mets de leurs repas méritoient une distinction ; méritoient qu’il eut non seulement une syllabe particulière dans le nom de chaque sèxe de ces animaux si utiles, mais encore un nom tout entier, un nom particulier, un nom propre à chaque sèxe de ces espèces si précieuses. Ainsi on a dit le coq, la vache, le bœuf, la chèvre &c. aulieu qu’on s’étoit contenté de renfermer sous un genre unique, ces animaux qu’une frayeur salutaire retenoit loin de la demeure ; ces animaux malfaisans sans cesse attentifs à ravager ses poulaillers, ses colombiers tels que le milan, l’épervier, le rat, la souris et beaucoup d’autres.
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§ 3 Des Nombres.
Les noms que nous avons appellés communs ou appellatifs ont servi à désigner les êtres ou les choses. Ces êtres ou ces choses forment collection ou multi[?tu]de. Mais il falloit un nom pour chaque objet lors même qu’on ne sortoit ?? ni de l’espèce, ni du genre. On ne fut pas longtemps sans remarquer qu’on pouvoit éviter une répétition fastidieuse, et qu’un petit moyen pouvoit remplacer tous les mots qu’on supprimoit. Ce moyen fut un seul signe ajouté à la terminaison d’un seul de ces noms : C’est la lettre S qui est ce signe dans la langue française. un seul objet fut donc un seul nombre, un nombre seul, un nombre singulier ; deux ou plusieurs objets furent le nombre de plusieurs choses, le nombre du pluriel.
Nota Il arrive quelquefois qu’on emploi[en]t la lettre X aulieu de la lettre S pour la marque du pluriel. Voyez Wailly pour ces exceptions.
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Chapitre II.
Des qualificatifs et des noms abstractifs.
§ 1erRésumé du chapitre précédent.
Nous avons considéré /le nom/ dans le chapitre précédent, ou comme le signe de tel individu déterminé, et alors nous l’avons appellé nom propre ; ou comme le signe commun de chaque individu d’une espèce toute entière et alors nous l’avons nommé appellatif : quand il appartient à chaque individu de la moitié d’une grande espèce, alors il est de la classe de ces individus ; il se modifie comme eux, prend le genre qui leur appartient et il est alors du genre de ceux-là : ou c’est le nom d’un seul, ou c’est le nom de plusieurs et il est du nombre singulier ou du nombre pluriel.
Mais avons-nous compris tous les noms dans ce que nous avons déjà dit ? Non, sans doute. Nous n’avons encore parlé que des sujets physiques, rien de ce qui est abstrait n’a encore été abordé, et cela ne pouvoit être. en effet ce n’est point dans les noms des objets physiques qu’on pouvoit aller chercher les élémens de pures abstractions. |[58] Ce n’est pas à l’époque où l’on a donné des noms aux minéraux, aux végétaux, aux animaux qu’on pouvoit donner des noms aux vertus et aux vices, à toutes les opérations de l’intelligence, aux affections de l’ame, aux sciences et aux arts ; et il ne faut point, dans notre cours, nous écarter de la marche de la nature.
Le nom, comme nous l’avons observé, étant une sorte de signe de rappel, fut, sans doute inventé aussitôt que l’homme éprouva le besoin de communiquer avec l’homme ; mais ce signe ou ce nom qui suffisoit quand l’homme encore enfant, n’avoit besoin de rien affirmer des objets et quand il lui suffisoit d’en retracer seulement l’idée, fut encore insuffisant quand il voulut raconter quelque action ou énoncer quelques qualités de ces objets.
Le nom se bornoit à rendre présent à l’esprit l’objet dont il vouloit parler ; mais cet objet comparé à tout autre, en différoit ou par la couleur, ou par la forme ou par toute autre modification : le nom n’exprimoit pas cette différence ; il ne disoit pas même que l’objet eut été comparé. Ainsi l’objet avoit fait ou reçu quelqu’action, et son nom étoit encore muet sur cette action faite ou reçue. Les modifications |[59] ne pouvoient être exprimées et la pensée restoit encore circonscrite dans les bornes étroites de l’idée simple.
Il s’agit donc ici de chercher comment les noms de qualités ont été inventés, et de vous montrer qu’ils sont probablement nés des premiers, comme la branche naît du tronc.
§ 2 Origine des Qualificatifs.
[Note en marge :] /Court de Gebelin/
Certaines qualités se trouvoient éminemment dans certains êtres de la nature au point que nommer un de ces objets, c’étoit donner aussitôt le nom de sa qualité. Ainsi nommer une montagne, c’étoit réveiller l’idée de la hauteur, comme c’étoit réveiller l’idée de la fidélité en nommant le chien ; l’idée de la douceur en nommant l’agneau, l’idée de la constance, par le nom de la tourterelle ; celle de la cruauté par le nom du tigre ; celle de la force par le nom de lion. Eh bien ! ces noms d’êtres et de substance durent être dans les premiers temps, dit un auteur célèbre, des noms de qualité ; car les noms de ces êtres remarquables par des qualités singulières se trouvèrent réunis à des noms de sujets qui paroissoient être |[60] des objets principaux de la pensée : ainsi homme montagne, signifia homme d’une grande taille ; homme agneau, signifia homme doux ; femme tourterelle signifia femme constante dans son amitié ; et ces premiers noms qui étoient d’abord des noms d’êtres ou de substance, devinrent enfin, à force de servir à rappeller les modifications passagères d’autres êtres, des noms modificatifs. Nous dirons donc que les mots qualificatifs, furent dans le commencement des noms de substances ; et c’est ainsi que se fortifie ce grand principe que tout l’art de la parole remonte à un seul élément générateur.
Mais direz-vous cette seconde classe de mots qu’on appelle adjectifs ou qualificatifs, est-elle donc si essentielle à l’art de la parole ? Il est aisé de s’en convaincre quand on observe que les noms de substance ne servent absolument qu’à rappeller l’idée sans en rien affirmer. Nous prononçons le nom d’un être et nous ne pensons pas encore : nous pensons ; et aussitôt se présente à notre esprit, pour exprimer cette pensée et la faire connoître le nom du sujet et celui de la qualité que nous considérons en lui.
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§ 3 Il ne faut pas rapporter les qualificatifs à la classe des substantifs.
Je crois que c’est une grande erreur de rapporter à une même espèce deux mots qui se ressemblent si peu quoiqu’ils soient issus d’une source commune et de dire avec plusieurs grammairiens que c’est une seule et même partie d’oraison ou de discours. Qu’un mot destiné à servir de peinture, de signe, de marque, soit appellé nom, rien ne paroît plus convenable : mais pourroit-on donner une pareille qualification à un mot qui n’exprime que des formes, qui par conséquent ne nomme rien ? Nous ne le pensons pas. Nous croyons au contraire qu’il faut ranger les qualificatifs appellés autrefois adjectifs sous le nom générique de mots et sous le nom spécifique de qualificatifs, pour ne rien confondre de ce qui doit être distingué.
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§ 4 Différentes idées que présente le qualificatif.
La première idée que présente le mot qualificatif, c’est celle du rôle qu’il joue dans la proposition en l’appliquant sur les noms qu’il modifie et dont il sert à restreindre et à déterminer non l’étendue, mais la compréhension : deux mots qu’il ne faut pas confondre, deux mots essentiels qui annoncent que ce mot ne peut jamais modifier les noms propres ; parce que par cela seul qu’un nom est propre, il est déterminé. Mais qu’est-ce que l’étendue et la compréhension d’un nom ? L’étendue est le lieu qu’il occupe pour l’esprit qui le considère ; la compréhension est la totalité des idées partielles qui le constituent. Ainsi les mots qu’on appelle articles déterminent l’étendue ; et les mots qualificatifs affectent la compréhension, en y ajoutant une idée accessoire qui devient partie de la nature totale énoncée par le nom.
La seconde idée que présente ce mot c’est la division naturelle des qualificatifs en qualificatifs physiques et qualific. métaphysiques. Les qualificatifs physiques sont ainsi appellés parce qu’ils expriment les impressions que les objets physiques font sur nos sens tels que blanc, rouge, noir &c. et les |[63] qualificatifs métaphysiques sont ceux qui servent à exprimer toutes les opérations de l’esprit.
La 3e idée que présente le qualificatif c’est d’être entierement subordonné au nom qui lui sert de soutien et dont il exprime une manière d’être. delà les règles de concordance dont nous parlerons dans la 3e partie.
Voilà encore cet autre principe que le nom d’un être peut aller seul et être entendu aussitôt qu’il est prononcé aulieu qu’un qualificatif a toujours besoin d’un soutien qui lui donne une valeur.
Concluons ici de ce que nous venons de dire, que, sans le qualificatif, il ne pourroit y avoir de proposition ; et par conséquent point de phrase, parce quil ny auroit point de pensées.
Un quatrième rapport sous lequel on doit encore envisager les qualificatifs, c’est celui des différentes classes dans lesquelles on doit les ordonner. Ou ils sont destinés à exprimer des qualités inséparables des objets considérés dans leurs formes, sans nulle action reçue ou faite, et alors leur réunion avec les noms, desquels on les affirme forme la phrase seulement énonciative, comme dans ce vers :
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Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur.
Ou la qualité affirmée est une qualité active, et alors c’est la phrase active, comme dans celle-ci.
Et l’art ornant depuis sa simple architecture,
Par ses travaux hardis surpassa la nature.
Ou la qualité affirmée est la qualité passive, et c’est une troisième espèce de phrase semblable à la 1ère qu’on pourroit appeller énonciative passive. Ces trois sortes de qualificatifs servent donc à former trois phrases différentes, précisément parce qu’ils sont eux mêmes différens.
§ 5 Origine des noms abstractifs.
A peine eut-on inventé les trois sortes de qualificatifs dont nous avons parlé dans le paragraphe précédent, que le génie des premiers hommes s’exerça sur le parti[e] qu’on pourroit en tirer. On observa que les qualificatifs pouvoient être considérés seuls et sans les objets qui leur donnoient une existence ; on vit qu’ils pouvoient être comparés entre eux, qu’il étoit possible d’affirmer de l’un une priorité que n’avoit pas l’autre ; et ce caractère |[65] donné aux qualificatifs, les ôta de leur classe et les transporta dans celle des noms où ces nouveaux venus ne manquèrent pas de prendre pour s’y naturaliser toutes les formes propres à tromper tous ceux aux yeux de qui l’habit est tout et la personne n’est rien. Ainsi de blanc fut fait blancheur santé fut fait de sain, vertu de vertueux &c. telle est l’origine de ce que les grammairiens appellent noms verbaux, substantifs abstraits, et que nous appellerons, avec Girard, les noms abstractifs.
Nous dirons donc en nous résumant que le nom est la véritable source, le père, le générateur de tous les autres élémens de la parole, et que le mot qui nous sert à exprimer les qualités qu’on en affirme, en est derivé et qu’à son tour ce mot qui ?? exprime la qualité a engendré le nom abstractif.
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Chapitre III.
Des déterminatifs ou articles.
/fonction du déterminatif[s]/
§ 1er Il y /en/ a trois sortes de déterminatifs.
La fonction du déterm/in/atif est de préciser, de déterminer l’étendue du nom commun, et comme cette étendue est plus ou moins précise, il a fallu plus d’un mot pour l’exprimer. C’est pourquoi nous distinguerons trois sortes de déterminatifs que les grammairiens appellent articles : Le déterminatif indicatif le ; le déterminatif énonciatif un ; le déterminatif démonstratif ce.
Pour vous faire comprendre la différence de ces trois déterminatifs : supposons qu’il y ait devant vous plusieurs objets [devant vous] tels que des co[u]teaux, des canifs, des plumes, des clefs &c. : et que pour couper du pain ou toute autre chose, vous eussiez besoin d’un couteau ; qu’ils fussent tous de différentes forme[s] et sous vos yeux que diriez-vous pour en avoir un ? Donnez-moi un couteau. En disant un, votre intention seroit-elle |[67] de ne demander qu’un seul couteau, den specifier seulement le nombre ? Refuseriez-vous celui qu’on vous offriroit, en disant que ce n’est pas celui que vous avez demandé ? Non sans doute : tous vous seroient indifférens ; vous n’auriez dit un couteau que pour qu’on ne vous donnât pas un canif. vous n’auriez voulu désigner que l’espèce ; ainsi dans ce cas-là, un n’auroit pas été dans votre esprit un nom de nombre, mais un déterminatif que nous avons appellé article ou déterminatif énonciatif. Si ce n’est pas seulement un couteau que vous desiriez, mais tel couteau, votre idée n’est plus si vague, si indéterminée, elle est au contraire très-précise ; le premier déterminatif qui n’a fait qu’énoncer l’objet et le tirer du milieu de tous les autres pour le montrer et l’individualiser, n’est plus le mot propre ; il vous en faut un consacré à préciser l’idée, à mettre l’objet sous les yeux pour qu’on ne vous donne que le couteau que vous demandez. Ce déterminatif est ce et non pas un ; ou ce couteau est déjà connu de vous et de |[68] celui à qui vous le demandez. et alors, il n’est ni sous ses yeux, ni sous les vôtres ; ce n’est plus ni un, ni ce, c’est un mot indicatif par sa nature, mais de lespèce des deux autres ; c’est le.
Il y a donc trois moyens de préciser l’objet dont on veut s’entretenir, et ces trois moyens donnent naissance à trois mots appartenant à la même classe et ces trois mots sont les trois déterminatifs un, ce, le. Mais en allant du premier de ces élémens qui est ce au moins déterminé de tous qui est un : en allant encore plus loin ne trouve-t-on pas un terme, qui n’étant aucun des trois, doit nous servir à exprimer une quatrième vue de l’esprit ? oui sans doute : il y en a un quatrième que l’absence de tout déterminatif établit, qui n’a aucune sorte de détermination quelconque comme dans cet exemple : homme pense et raisonne. C’est là la manière anglaise. C’est dans cette langue une richesse qui manque à la nôtre, puisque les anglais qui comme nous ont trois déterminatif[s], ont l’absence de tout déterminatif qui donne au sujet de leurs propositions la plus grande indétermination possible. Nous l’employons proverbialement nous mêmes quand nous disons : pauvreté n’est pas vice. |[69] Hors ce cas très-rare, notre manière de généraliser est d’employer l’article indicatif le ou la, comme dans cet exemple : l’opinion, la vertu, la gloire &c. Les Anglais dans ce cas ne mettroient point d’articles.
L’application des trois déterminatifs peut donc se faire ainsi donnez-moi le livre que vous tenez dans votre main, donnez-moi un livre, donnez-moi ce livre.
§ 2 Des déterminatifs ou articles composés.
S’il n’y a que les articles dont nous venons de parler dans le paragraphe précédent, que sont donc, me direz-vous ces petits mots à et de, au et du, aux et des. Je réponds que les deux premiers sont de vraies prépositions : ainsi dans ces exemples donner du pain à Pierre, sortir du jardin, enseigner la grammaire aux enfans : dans le 1er à est une préposition sans article parce que Pierre étant un nom propre, n’a pas besoin d’être déterminé. Dans le second du est le composé de la préposition de et de l’article le. Dans le 3e aux est employé pour à les. Ainsi c’est l’élipse qui se trouve dans les mots au et du, aux et des qui a fait croire à plusieurs grammairiens que ces mots |[70] étoient simples quand il[s] ne sont chacun que les résultats d’une préposition et d’un article. ainsi nous appellerons ces quatre articles au et du, aux et des, articles composés et nous aurons soin de les décomposer au moins dans notre esprit toutes les fois qu’ils se rencontreront dans le discours.
Ainsi si je disois : du pain et de l’eau suffisent à l’homme pour ne pas mourir de faim. Pain et eau étant le complément de deux prépositions ne peuvent pas être les véritables sujets de cette phrase. Il faut donc alors chercher à remplir l’élipse et dire « une quantité de le pain et une quantité de l’eau suffisent à l’homme &c. » L’embaras où l’on est quelquefois pour trouver le véritable mot élipsé ne doit pas faire croire qu’il n’y a pas de mot retranché. La règle que je nous ?? expliquons est très-évidente ; et l’irrégularité blesseroit trop toutes les analogies pour ne pas préférer cette sousentente toute difficile qu’elle peut être à suppléer.
Surtout ne nous laissons pas tromper par des analogies qui n’ont jamais existé ; n’allons pas nous laisser persuader que ces mots du et des, sont la marque du génitif et de l’ablatif quand nous ne pouvons nous dissimuler que notre langue n’a ni cas ni déclinaisons.
|[71] Ainsi concluons d’après la doctrine des grammairiens qui ont le mieux traité l’article ou le déterminatif
1o qu’il ny a que trois sortes de déterminatifs. L’énonciatif, l’indicatif, le démonstratif. 2o que ces mots tout, chaque, nul, aucun étant les marques de la généralité ou de l’universalité des propositions doivent être rapportés à la 1ère classe des articles c.a.d. à l’espèce de l’énonciatif qui est le plus étendu[e] de tous. 3o que ?? /la/ fonction /de l’article/ est de déterminer plus ou moins le nom dont il est le précurseur.
§ 3 Il ne faut pas confondre le, la, les employés comme déterminatifs avec le, la, les employés comme pronoms conjonctifs.
Il faut prendre garde de confondre le, la, les employés comme déterminatifs avec ceux appellés pronoms conjonctifs. Ces mots ont tant de ressemblance qu’il est facile de s’y méprendre. Une seule phrase peut nous fixer là dessus, la voici : Le soleil se lève en ce moment ; voyez-le se lever. Il y a là comme vous le voyez deux fois le : le premier est le déterminatif |[72] du nom qui le suit ; le second est l’objet d’action du verbe lever et il tient la place du mot soleil qu’on ne veut pas répéter.
Les articles peuvent être inutiles dans les langues transpositives ; mais les langues analogues telles que la nôtre, ne peuvent s’en passer. En effet que de vague n’y auroit-il pas dans les différens tableaux de la pensée, si on supprimoit les articles. Ces petits mots répandent non seulement la vie dans le discours, mais des grâces et un charme que rien ne sauroit remplacer. C’est aux articles que le discours doit des nuances et une précision sans lesquels il seroit obscure et souvent sans signification. qu’on en juge par un rapprochement fait par Court de Gebelin du même morceau, écrit d’abord sans articles, et puis avec les articles ; Ce morceau est tiré des métamorphoses d’Ovide Liv. I. métam. 14.
« Premier amour, d’Apollon, Daphné Penéenne, que ne donna pas sort aveugle ; mais cruelle colère de Cupidon. Dieu de Delos fier du serpent, recemment vaincu, avoit vu celui-ci occupé à tendre arc : qu’ont de commun, lui dit-il, avec toi, follâtre enfant, armes redoutables ? Nous |[73] sommes seuls capables de porter elles : nous sommes seuls contre qui, animaux et adversaires feroient efforts impuissans pour garantir vie d’eux. Nous qui par grêle de flèches avons abatu énorme Pithon, qui de ventre infect couvroit si vaste étendue de terrain : qu’il te suffise avec flambeau d’attiser je ne sais quels amours, ne t’attribue pas gloire de nous. »
Remettons les articles et voyons les tableaux qu’ils nous donneront.
« Daphné, fille de Penée, inspira, la première de l’amour à Apollon. Ce ne fut pas un jeu du sort aveugle ; ce fut celui de la vengeance cruelle de Cupidon. Le Dieu de Délos, fier de la victoire qu’il venoit de remporter sur le serpent, apperçut ce petit Dieu occupé à tendre un arc. Qu’ont de commun, lui dit-il, avec toi, follâtre enfant, ces armes redoutables ? Nous sommes seuls en droit de les manier, nous à qui ne peut résister aucun animal, aucun adversaire ; nous qui [?sous] la grêle de nos flèches, avons fait tomber l’énorme Pithon qui de son ventre infect couvroit une si vaste étendue de terrain. Qu’il te suffise d’attiser avec ton flambeau, je ne sais quels amours, et n’ose plus aspirer à notre gloire. »
|[74] Vous voyez dans la comparaison de ces deux morceaux, la différence de l’un et de l’autre ; ce sont les articles qui produisent cette différence : vous voyez par conséquent de combien de richesses nous sommes redevables aux articles déterminatifs.
Chapitre IV.
Des Pronoms.
Tout ce que nous avons dit jusqu’ici a eu le nom pour objet comme signe de représentation de tous les objets de nos pensées.
Nous avons donné au nom le premier rang dans le tableau des élémens qui servent à former la proposition. Nous avons distingué comme essentiellement différent ce que la plupart des grammairiens avoient confondus, le nom et le qualificatif qu’on avoit cru deux espèces du même genre. En effet on avoit toujours dit qu’il y avoit deux sortes de noms, le substantif et l’adjectif : et après avoir dit de chacun deux tout ce que nous avons cru qu’il falloit en dire, nous avons examiné s’il n’y avoit pas des noms qui, de leur nature, exigeoient d’autres mots pour leur donner une signification plus |[75] précise et plus déterminée et cet examen nous a donné un mot dont la fonction est de préciser, de déterminer l’étendue du nom.
Ce mot on l’avoit toujours appellé article, nous l’avons appellé déterminatif et comme cette étendue étoit plus ou moins précise, elle a exigé aussi plus d’un mot pour l’exprimer. Nous en avons fixé le nombre à trois le déterminatif démonstratif ce, le déterminatif indicatif le, le déterminatif énonciatif un. Il nous reste maintenant à examiner si le mot qu’on a appellé jusqu’ici pronom ne doit point se rapporter à la classe des déterminatifs.
§ 1er Les Pronoms se rapportent presque tous à la classe des déterminatifs.
D’après les principes exposés dans le chapitre précédent, l’indicatif le, la, les, indique dans un genre l’espèce que nous voulons en tirer. Ce, ces, cette la montre, la présente à nos yeux et un, une annonce l’indifférence du choix.
Que dirons-nous des possessifs mon, ma, mes, ton, ta, tes et semblables. Il y a trop de ressemblance |[76] ?? entre les fonctions de ces deux déterminatifs pour n’être pas une espèce du même genre. Nous dirons donc que c’est un déterminatif de possession. En étendant ainsi le domaine de l’article aux dépens du pronom, navons-nous pas à craindre qu’il ne nous reste plus rien de l’espèce de ce dernier ? le pronom personnel il, elle restera-t-il pronom s’il est assujéti à notre analyse ? dans la langue latine qui n’est pas à cet égard plus pauvre que la nôtre, il, elle y sont de vrais déterminatifs, pourquoi ne les regarderions-nous pas comme tels dans la langue française ?
Ces mots formés de ille, illa latin, ne sont que des contractions initiales comme le la les sont des contractions finales. Le, la servent à déterminer les espèces dont le nom exprimé dans la phrase est tantôt comme sujet, tantôt comme objet d’action. il elle détermine[nt] les objets absens ou en rappelle[nt] l’idée et le, la, les déterminent les objets d’actions. Mais dans ce cas me direz-vous sont-ils pronom ? pourquoi recourir à cette diversité de nature, quand l’identité des formes qu’ils remplissent, les rappelle à la classe des déterminatifs. Ainsi l’idée exacte des pronoms n’est pas de remplacer le nom, mais de faire la fonction propre au déterminatif.
|[77]
§ 2 Des Pronoms personnels.
Un objet peut être successivement ou le sujet qui agit dans une proposition et qui annonce son action lui même et alors, il est considéré comme première personne dans la phrase, et c’est le mot je ou nous qui indique ce rôle et le mot me ou nous qui indique qu’il est à la fois sujet agissant et sujet recevant, ce que nous appellerons sujet et objet daction ; ou la parole lui est adressée et alors second acteur, il est au second rang, c’est la 2e personne énoncée ainsi tu pour le sujet te pour l’objet d’action, vous pour l’un et pour l’autre, quand il s’agit de deux acteurs ou que l’acteur dont il s’agit n’est pas un fils ou un ami intime de celui qui parle ; et alors ce mot exprime cette seconde vue de l’esprit et nous appelons ce mot-là pronom de la 2e personne : Ou on s’entretient de celui de qui on raconte une action et cet acteur est absent c’est il, elle pour le singulier, ils, elles pour le pluriel. l’objet d’action est dans ce cas exprimé par le. Quand c’est le sujet d’action qui agit sur lui même, c’est se ou soi, comme me ou vous |[78] sont les objets d’action de la première et seconde personne et ce mot qui exprime la réflexion de l’action d’un sujet sur lui même est appellé pronom réfléchi ou reciproque.
§ 3 Les Pronoms peuvent se diviser en deux classes : ou ils sont substantifs, ou ils sont adjectifs.
Il y a dans la classe des Pronoms des mots qui tiennent lieu du nom du sujet soit qu’il agisse sur les autres soit qu’on agisse sur lui. Ces mots servant à désigner des personnes seront donc appellés personnels :mais nous les appellerons aussi substantifs du nom de ces personnes. Si on peut les mettre à la place du nom ne sont-ils pas en effet de vrais substantifs ?
Mais si ces mots n’expriment que des pronoms qui de leur nature modifient des objets appartenant à ces personnes, à la manière des modificatifs, quelle raison y auroit-il de leur refuser le nom de modificatifs. ceux-ci seront donc appellés personnels qualificatifs. Ainsi sans nous embarasser de tout ce qui a été dit sur les pronoms, les pronoms substantifs, les pronoms adjectifs, voilà nos deux classes. Moi, me, je, nous, tu, toi, te, vous, il, elle, et soi seront des substantifs : et mon, ma, mes, le mien, la mienne, ton, ta, tes, |[79] le tien, la tienne, son, sa, ses, le sien, la sienne, notre, nos, votre, vos seront des adjectifs. Il y a d’autre[s] mots par exemple, on, personne et autres qui ont été mal à propos rangés dans la classe des ?? pronoms et qui sont de ?? /vrais/ substantifs.
§ 4 Du pronom relatif.
Avant de finir ce chapitre, nous ne devons pas oublier que parmi les pronoms, il en est un surtout qui joue le plus grand rôle dans la période, et qui mérite une observation particulière, à cause des diverses fonctions qu’il y remplit. C’est celui qu’on a toujours nommé relatif. Destiné à lier les propositions pour en former la phrase, comme il sert à lier les mots nous pensons qu’on peut l’appeller conjonctif. Destiné pareillement à mettre sous les yeux de l’esprit l’objet dont le nom vient d’être énoncé, il est en même temps déterminatif démonstratif, et rapportant l’esprit sur l’objet lui même, on a dû le nommer relatif.
Vous devez remarquer l’heureuse fécondité de ce pronom dans les divers tableaux de la parole. Il se trouve presque partout où se trouvent deux affirmations, partout où la proposition sort de la simplicité, presque dans toute[s] les questions, mais lorsqu’il est initial, il doit être |[80] nécessairement interrogatif.
Il arrive cependant quelquefois que ce pronom initial n’est pas interrogatif comme dans cette phrase « Qui a des mœurs est digne de vivre dans une République ». Dans cette phrase la règle semble être en défaut ; mais c’est ici la phrase composée où l’élipse d’un mot de l’une des deux propositions produit la différence. Rétablissez la transposition et l’identité des termes, la difficulté disparoît aussitôt. « Celui qui a des mœurs est digne de vivre dans une Répub. »
Ce Pronom est encore adjectif dans la phrase interrogative, on dit quel être, quel homme et nous croyons qu’il est alors formé de deux élémens de que interrogatif et du déterminatif de la 3e personne il et que le mêlange de que et de il forme précisément le mot quel qui est l’adjectif du pronom.
Je n’ai pas besoin de dire que ce pronom est quelquefois précédé dune préposition et qu’on dit de qui, à qui, par qui. Dont est aussi de cette famille. c’est un mot éliptique employé pour duquel delaquelle &c. Selon le sens.
D’après tout ce que je viens de dire sur les |[81] pronoms, vous devez conclure que quand on considère plutôt philosophiquement que matériellement les élémens de la parole, leur nombre, comme nous l’avons observé se resserre toujours davantage, en raison des observations philosophiques que l’on fait. Nous voyons que le nom s’empare de presque tout. Tout le reste est de son domaine ou comme principal ou comme accessoire. Le qualificatif ou adjectif le modifie, le déterminatif ou article circonscrit sa trop vaste étendue. Le déterminatif éliptique (car c’est là la dénomination qui paroît convenir au pronom) le déterminatif éliptique le détermine aussi et en rappelle la signification.
fin du 1er Cahier.
R
Chapitre V
Du Verbe.
|[82]
Noms des Elèves de Grammaire, pendant l’an 6 [1797–1798].
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age |
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17. |
Bijeu (Auguste) |
Poitiers. |
┼┼┼┼┼┼┼┼ |
20. |
Bonnet (Etienne Joseph.) |
Idem. |
┼ |
16. |
Bonin (François Jean Baptiste) |
Alonne dépt. des deux Sèvres. |
┼ ┼ ┼ |
16. |
Boussé (Antoine) . . . . . |
Poitiers |
┼ ┼ |
16. |
Creusé (Jean Leon) . . . . . |
Chatellerault. |
┼ ┼ ┼ ┼ ┼ ┼ |
16. |
David (Pierre) |
de Poitiers |
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17. |
Drouault (Victor.) . . . . . |
Poitiers |
┼ ┼ |
16. |
Drouault (François) . . . . . |
Idem. |
|
16. |
Durand (Alexis) . . . . . |
Idem. |
|
16. |
Dutiers (Jean Baptiste) |
Pressac dépt. de la Vienne |
{malade 9 mois. |
16. |
Duplesset (Charles) . . . . . |
Poitiers |
┼┼┼┼┼┼┼┼┼ |
16. |
Dutertre (Jean) . . . . . |
Idem. |
┼ ┼ |
16. |
De vieille chaise (Claude) . . |
Idem. |
|
16. |
Faye (Pierre.) . . . . . |
Auxerre. |
absent trois mois |
19. |
Hervouet (Achille) . . . . . |
Poitiers |
┼ |
16. |
Latour (Pierre.) . . . . . |
Partenay. |
|
16. |
Leveillé (François) . . . . . |
Civrai. |
┼ ┼ ┼ |
17 |
Mauri (André-Auguste) |
Poitiers |
┼ |
16. |
Maurichaud Beaupré (Claude) |
Idem |
|
17. |
┼ ┼ Pascault. (Joseph) |
Andille. |
|
16. |
Picault. (Daniel Julien) |
Poitiers |
|
16. |
┼ ┼Nau Sauvagère (Zacharie) |
Lusignan |
|[83] |
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|
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age. |
|
|
n. |
16. |
Pignoux (Sillas) . . . . . |
Lusignan. |
n. |
16. |
Praisnaud (Jean Baptiste) |
Confollens dépt. de la Charente. |
││││││ |
16. |
Prieur (René) . . . . . |
Angers |
|
16. |
Sabouraud (Ambroise Olivier) |
Nieuil dépt. de la Vendée |
││┼ |
16. |
Thibaudeau (Joseph) . . . . . |
Poitiers |
|
14 |
(Louis) Bouchet . . . . . |
Poitiers |
|
16 |
(Louis Xavier) Baillon . . . |
Poitiers |
|
16 |
Guillet (Xavier Francois) |
idem |
16. |
Pion (Stanislas-Denis) |
idem |
|
│┼ |
19. |
(Boilleau (la Roche) (Charles-François-Julles |
|
|
18. |
Maurice Richard de Rencay |
dépt. de la Vienne |
┼ ┼ ┼ ┼ ┼ ┼ ┼ |
20. |
Hubert Pouttisseau . . . . . |
de Poitiers |
┼┼┼┼┼┼┼┼┼┼ |
24. |
Pierre Antoine Maury . . . . . |
de Poitiers. |
|
16. |
Joseph Ribault |
de Poitiers |
┼ ┼ |
16 |
Aubry (Pierre) |
de l’Ile jourdain |
┼ |
14 |
Bonifardiere (François) |
de l’Ile jourdain |
|[84] Suite du 1er cahier. Ecole centrale du dépt. de la Vienne Ricque
Chapitre V.
Du Verbe.
§ 1er Réflexions sur la nature du Verbe.
A mesure que nous avançons dans la recherche des règles générales du langage et que nous tâchons d’en approfondir la nature, d’en étudier la métaphysique et d’en fixer les principes, nous nous convaincons de plus en plus qu’au milieu de tous les êtres qui peuplent cet univers, nous sommes cet[te] espèce privilégiée qui a exclusivement reçu du créateur le don de la pensée, puisque seuls nous avons le pouvoir de la communiquer à nos semblables, de l’analyser, de former un systême et une collection de principes de cette faculté, de la rendre sensible par l’organe de la voix.
Qu’ils sont loin de l’homme ces animaux que leurs services semblent en rapprocher le plus, quand on compare leurs cris sans articulations, sans modulations, sans combinaisons quelconques avec la parole de l’homme ? ces animaux qui |[85] poussent des cris sans motifs, soit seuls, soit en compagnie de leurs pareils, qui n’ont jamais rien à se dire et qui tels qu’un instrument qui rend des sons dont il ne connoît ni la valeur, ni l’énergie, qu’en obéissant à des ressorts ingenieusement combinés, ne rendent des sons aussi qu’en obéissant à un instinct aveugle qui les commande tous.
Si jamais ces réflexions se présentèrent à l’esprit d’un grammairien philosophe, c’est sans doute, quand après avoir traité du nom qui est le signe de chaque idée, du qualificatif qui en énonce le mode, du déterminatif qui précise le nom du pronom qui en assigne des rapports plus intéressans, il a songé à rechercher l’élément qui est après ceux-ci le plus nécessaire à l’expression de la pensée.
C’est ici que la nature nous abandonne et que sa grammaire ne nous présente plus rien. Des noms, des qualificatifs pour revêtir ces noms des formes pareilles à celles des objets, telle est la seule manière de peindre les idées et les pensées. Les idées qui ne sont que les images des objets, les pensées qui sont ces mêmes images considérées sous un rapport quelconque : Les idées comme soleil, lune, air, terre, eau ; les pensées comme soleil lumineux, lune opaque, air fluide, terre solide, eau liquide.
|[86] Sans doute ce rapprochement des objets et des qualités pouvoit suffire quand les premiers hommes n’avoient que des idées fugitives à fixer, des pensées détachées à exprimer, aucune action à peindre, aucun évenement à raconter, aucun intérêt à tenir compte des époques. Les qualités actives réuni[e]s aux êtres à qui elles convenoient en étoient également affirmées par leur réunion avec les noms de ces êtres agissans ; mais on ne savoit pas si ces qualités leur convenoient au moment où l’on en parloit ; si elles leur avoient convenu à une époque antérieure, ou si dans un temps qui n’étoit pas encore, elles devoient leur convenir. Qu’il étoit donc pauvre ce langage où les moyens d’exprimer la pensée étoient si bornés ; et qu’elle fut heureuse cette précieuse invention d’un mot, qui sans rien peindre et sans rien exprimer, aida les autres mots à tout peindre et à tout exprimer ! Quelle fécondité dans ce mot précieux ! il lia tellement au nom de l’objet les qualités qui lui appartenoient qu’il ne fit de l’un et de l’autre qu’un seul et même tout comme dans la nature. Sa forme variant au gré du nombre des acteurs et de l’influence particulière qu’ils avoient dans l’action, il servit à fixer et ce nombre d’acteurs et le caractère particulier de cette influence. Ce ne fut pas encore là tout : admirons ici ses richesses. Le temps même où se passa l’action, il servit à le |[87] faire connoître, soit qu’il n’existât pas encore, soit qu’il eût existé ; ou que n’étant ni futur ni passé, il fut tellement difficile à saisir, que l’instant où on vouloit en parler fut déjà loin de ceux qui vouloient l’entreprendre.
Faut-il s’étonner si de si grands services rendus à la communication de la pensée firent distinguer parmi tous les autres cet élément si fécond et si précieux, si on lui donna pour le désigner la qualification même du caractère distinctif de l’homme et si on l’appella la parole le verbe puisqu’il rendoit la parole si propre à remplir sa merveilleuse destination ? quel sujet à traiter, si nous pouvions oublier que c’est moins ici de son excellence que de sa nature qu’il faut nous occuper.
§ 2 Qu’est-ce que le Verbe ? Combien de verbes y a-t-il ?
Lier entre eux le nom d’un sujet et le mot qui exprime sa qualité énonciative, active ou passive telle est la 1ère fonction du mot qu’on nomme Verbe et comme nous ne parlons que pour faire connoître aux autres ces liaisons continuelles que nous remarquons dans les objets de la nature, le verbe vient donc se mêler à tous nos discours et former toutes nos propositions. |[88] Il est donc l’ame de tous nos jugemens ; c’est le oui de l’esprit qui se montre au dehors à la faveur du verbe. Et lors même que nous nions d’un sujet une qualité qui paroissoit lui convenir, le verbe vient aussitôt nous offrir son ministère en se faisant accompagner d’un autre mot qui détruit son effet avant même qu’il soit produit. Il n’y a pas une seule pensée qui puisse se passer de lui : il est sans cesse l’expression nécessaire de la parole : pouvoit-on lui en refuser le nom, puisqu’il ne sauroit y en avoir sans lui.
En effet essayez de retrancher le verbe de toutes les propositions dont il est l’ame ; il ne vous reste plus ni discours, ni périodes, ni propositions, ni phrases. Des idées détachées et décousues comme tous les êtres de la nature, disséminées sans liaison et ne formant si l’homme n’avoit soin de les classer qu’un tout qui fatigue les yeux où règne le désordre et la confusion.
Mais aussi quelle harmonie partout où le verbe se montre ! quels tableaux il produit de tous ces élémens qui sans lui n’avoient entre eux aucun accord. Les enfans avant d’avoir appris de leurs mères, la magie de ce mot ne nous présentent que des idées décousues. Lusage du verbe en fera des hommes ; mais cet usage leur est inconnu tant que leur esprit paresseux s’exerce peu à comparer, et moins encore à juger. Leurs |[89] premières phrases quand ils auront appris cette science se completteront sans effort, et le verbe être se présentera de lui même à leur esprit déjà impatient de communiqu[er] les premières pensées. C’est ce verbe qu’ils retrouveront partout ; lui seul a formé tous les autres : ils ne sont verbe que par lui.
Notre réponse à la 2de question est donc faite ; il n’y a à proprement parler qu’un seul verbe et voilà d’où lui est venu ce nom-là qui le suppose unique.
§ [3] Des Verbes appellés verbes adjectifs.
S’il n’y a qu’un seul verbe que sont donc, me direz-vous ces autres mots appellés jusqu’ici verbes ? qu’est-ce que ces mots aimer, écrire, porter &c. ? Nous auroit-on trompés quand on nous a enseignés que c’étoit des verbes actifs ? Non sans doute et rien n’est plus vrai. Mais ces mots sont composés de deux élémens, d’une qualité et du verbe. Cette qualité est radicalement un mot dont la nature est d’être ajouté à d’autres mots, dont celui-là exprime la forme, et c’est la terminaison de ce mot composé qui est précisément le verbe être qu’on a quelquefois altéré et même déguisé au point de le rendre méconnoissable. C’est de ce composé qu’est résulté la dénomination de ces espèces de verbes qu’on a appellés à cause de cela verbes adjectifs parce que le verbe être formant la terminaison, entre dans leur composition et parce qu’un adjectif y entre aussi.
|[90] C’est la différence des qualités qui doit établir la division de tous les verbes. Il y a dans les sujets des qualités qui n’expriment aucune action qui passe hors des sujets, des qualités inactives qui n’annoncent que l’état du sujet, sans que ce sujet sorte de sa passivité, de son indifférence, de cet état de quiétude, qui conviendroit également à des objets sans ame. Il y a aussi dans les sujets des qualités actives dont l’action se porte quelquefois sur eux mêmes, plus souvent sur les autres objets. Ces qualités actives unies au verbe être, formeront des verbes adjectifs, et ces verbes adjectifs seront aussi actifs.
Ici se présente et les personnes dans les verbes et les nombres et les temps et les modes. Toutes ces choses appartenant à la grammaire générale, doivent se retrouver à quelques changemens près dans chaque langue particulière des peuples civilisés.
§ [4] Des personnes et des nombres.
Nous avons déjà parlé des personnes et des nombres en traitant du pronom, et vous vous souvenez sans doute qu’il y a trois personnes pour le singulier et autant pour le pluriel, par où vous devez comprendre que les langues sont à peu près aussi riches en formes essentielles à la clarté de la proposition qu’il étoit possible de les en rendre : trois personnes de forme ou de terminaison différente, dans le verbe. Aussi le verbe aura une chute diverse en raison de chaque personne et on dira : je suis, tu es, il est, nous sommes, vous êtes, ils sont.
|[91] Vous voyez par là que le verbe reçoit la loi du sujet qui le précède, aulieu de la lui faire comme l’ont pensé quelques grammairiens. Oui le verbe reçoit la loi que lui impose son sujet ; le sujet met sous le joug son maître, il le jougue, si on pouvoit parler ainsi, il le juge et en réduit plusieurs autres au même joug ; il les conjugue et de cet assujétissement commun sont nés les mots de conjuguer et de conjugaison.
§ [5] Des temps.
Avant d’entreprendre de vous expliquer la t/h/éorie des temps des verbes, examinons ce que nous entendons par temps, voyons d’abord ce que signifie un jour. Le jour est la révolution entière de la terre sur elle même : il est composé de ténèbres et de lumière divisé partout en 24 parties, susceptibles d’être divisées elles mêmes en plusieurs autres parties. Dix révolutions font la décade, 30 le mois 3 mois la saison, 4 saisons l’année, cent années le siècle ; les siècles déterminés et finissant un jour, comme ils ont commencé sont le temps dans l’ocean duquel est notre vie, qui n’est qu’un point dans la durée, comme la place que nous occupons, n’est qu’un très-petit point dans la vaste étendue de l’espace. Les siècles entassés par milliers, se succédant sans cesse, et ne s’épuisant jamais, des siècles qui rouleront sans cesse les uns sur les autres sans avoir jamais commencé et sans jamais finir sont ?? l’éternité. ??
|[92] Le temps ne peut être soumis à la connoissance de lhomme qu’autant qu’il sait le tirer de cette mer sans fond, de cette durée infinie ou il nage pour ainsi dire ; et que le comparant à des points connus, il le soumet comme la distance à une mesure certaine. Il faut donc comparer le temps pour en avoir une idée exacte ; mais à quoi le comparer ? il s’échappe et fuit sans retour devant celui qui voudroit s’en saisir.
Le temps est l’existence successive des êtres : mais pour la mesurer cette existence, il faut la fixer ; et pour cela nous établissons un point fixe qu’on nomme époque et ce point est l’instant de la parole.
L’existence simultanée avec cet instant formera le présent ; l’existence considérée comme antérieure à cet instant formera le passé ; et l’existence considérée comme |[93] postérieure, formera le futur. Tels sont les temps généraux les temps considérés en eux mêmes, indépendamment de toute autre vue accessoire. Ces trois temps peuvent [être] considérés comme absolus, n’indiquant que ces trois grandes époques les seules que l’homme avant sa civilisation a dû connoître, en se rappellant le jour d’hier, en s’occupant du jour présent et en songeant au l’endemain.
Mais cet instant donné comme terme de comparaison comment le déterminer parmi tous ceux de son espèce ? fixé par un évenement quelconque dans la course rapide des instans fugitifs qui composent l’étendue infinie de la durée, il étoit naturel de donner à celui-ci le nom d’époque qui vient d’un mot grec [Note en marge :] /Epoquein./ qui signifie arrêter et comme la portion de temps placée entre deux époques, comme une distance quelconque est circonscrite entre deux bornes, est une mesure de temps autour de laquelle on tourne, comme autour d’un espace, on a donné le nom de période à cette portion de temps. Epoque signifie donc moment déterminé dans le temps ; période espace de temps déterminé ; mots essentiels à retenir, et qui deviendron[t] le fondement de la théorie des temps.
|[94]
§ [6] Des temps considérés avec diverses relations.
L’époque actuelle ne sauroit être plus ou moins présente ; car, ou elle est simultanée avec le moment où je parle, ou elle ne l’est pas. Si elle l’est, elle est présente ; si elle ne l’est pas, elle est antérieure ou postérieure ; et par conséquent passée ou future. Il n’y a donc qu’une manière d’envisager le présent, et il n’y a aussi qu’un seul présent dans chaque verbe.
Il n’en est pas de même du passé et du futur. Nous pouvons les considérer l’un et l’autre sous différens point[s] de vue. Aussi avons-nous des passés plus ou moins passés, des futurs plus ou moins futurs, suivant que les époques sont elles mêmes plus ou moins antérieures, plus ou moins postérieures.
Je viens de faire, je faisois, je fis, j’ai fait, j’avais fait, j’eus fait, j’ai eu fait sont autant de passés différens. Ce sont des passés parce qu’ils ont un rapport de simultanéité avec une époque antérieure ; et ils sont différens parce que l’époque n’est pas la même pour tous.
Je viens de faire est un passé prochain : il signifie il n’y a qu’un moment que j’ai fait.
Je faisois, n’est ni prochain, ni éloigné, mais il devient l’un et l’autre par la suite du discours. « Il n’y a qu’un moment qu’il faisoit beau. » « Il faisoit chaud l’été dernier. » Cette forme peut même devenir lexpression du présent : Si je disois par exemple à une personne que je rencontre : j’allois chez vous.
|[95] Je fis et j’ai fait qui diffèrent de je faisois en ce qu’ils supposent tous deux une antériorité plus ou moins éloignée, diffèrent l’un de l’autre en ce que le premier se dit d’une période où l’on n’est plus, je fis hier et que le second se dit d’une période où l’on est encore, j’ai fait aujourd’hui. il est vrai qu’on peut dire j’ai fait hier, mais on parleroit mal si on disoit, je fis aujourd’hui.
Je fis hier est antérieur à la période actuelle, qui est le jour où nous sommes : j’ai fait aujourd’hui est antérieur à lépoque actuelle qui est l’instant de la parole. j’avois fait lorsqu’il arriva, est antérieur à une époque qui elle même est antérieure. Car j’avois fait est antérieur à arriva et arriva l’est à l’époque actuelle. Voilà ce qui distingue j’avois fait des passés précéden[ts], je fis, j’ai fait. A cette question Soupâtes-vous hier de bonne heure, on répondra je soupai ou j’eus soupé à dix heures. A celle-ci, avez-vous soupé aujourd’hui de bonne heure, on répondra j’ai soupé ou j’ai eu soupé à dix heures.
Vous voyez par ces exemples que j’eus soupé comme je soupai se rapporte à une période qui est finie et que j’ai eu soupé comme j’ai soupé se rapporte à une période qui dure encore. On dit j’eus soupé hier et on ne dira pas j’eus soupé aujourd’hui.
|[96] Comme nous avons plusieurs passés, nous avons aussi plusieurs futurs.
Je ferai a un rapport de simultanéité avec une époque postérieure. C’est donc un futur. Il a cela de particulier que l’époque peut à notre choix être déterminée ou ne lêtre pas : je puis dire je ferai sans ajouter quand et je puis dire je ferai demain.
J’aurai fait, au contraire est un futur dont il faut que lépoque soit déterminée. On dira par exemp. j’aurai fait quand vous arriverez. Or quand vous arriverez détermine l’époque. Vous voyez encore que j’aurai fait diffère de je ferai en ce qu’il renferme deux rapports un rapport de postériorité à lépoque actuelle et un rapport d’antériorité à une époque qui n’est pas encore en effet, j’aurai fait est postérieur à l’acte de la parole et antérieur à quand vous arriverez.
Enfin je vais faire qui signifie je ferai dans un moment est un futur prochain.
§ [7] Des modes.
Le verbe en général présente l’idée de l’existence ; mais cette existence peut être présentée sous divers aspects. Chacun de ces aspects fait prendre au verbe une certaine forme dans les divers temps qu’il emploie et cette espèce de signification formelle |[97] est ce qu’on appelle dans les verbes, les modes.
Veut-on exprimer purement et directement l’existence d’un sujet sous un attribut, et donner au verbe une forme propre à cet aspect, c’est alors le mode indicatif. Exemple : « Je travaille tous les jours. »
Dans cette proposition, je travaille, exprime directement et avec une certaine indépendance de toute autre chose le jugement que j’ai formé et que je veux faire connoître.
Rassemblons ici tous les temps qui appartiennent /au mode/ à lindicatif, et prenons pour exemple le verbe faire.
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je fais. |
|
je faisois. |
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je fis |
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j’eus fait. |
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j’ai fait. |
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j’ai eu fait. |
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j’avois fait. |
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je ferai |
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j’aurai fait |
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je vais faire. |
En observant ces temps, il est facile, de voir que laffirmation est l’accessoire qui caractérise ce mode.
Mais à la signification principale du verbe veut-on ajouter l’idée accessoire de volonté ou d’ordre, on donne alors au verbe une forme qui présente ce nouvel aspect, et cette forme c’est le mode impératif. faites, sortez, partez.
A la signification principale veut-on ajouter l’idée accessoire d’une dépendance d’une autre signification active déjà exprimée, c’est une nouvelle forme donnée au verbe et on l’appelle le mode subjonctif.
Exemple : « je desire que vous soyez toujours heureux. »
Que vous soyez heureux, est subordonné au premier membre de la phrase puisqu’il en est le complément explicatif, et qu’il est le résultat du premier membre je desire.
Mais cette dépendance dont nous venons de parler peut être envisagée sous un point de vue de condition ou de supposition et alors le mode n’est plus purement subjonctif, mais suppositif ou |[99] conditionel. Exemple :
« Les hommes seroient toujours heureux s’ils étoient sages. »
Seroient heureux, exprime dans les hommes un état de bonheur qui dépend de la supposition exprimée par les mots suivans : s’ils étoient sages.
Veut-on présenter la signification du verbe d’une manière abstraite c.a.d. indépendante de toute autre idée ou vue accessoire, d’une manière indéfinie ou même en quelque sorte infinie, la forme du verbe adaptée à ce point de vue, devient le mode infinitif. Exemple : faire, lire, entendre.
Ces mots présentent l’idée de l’existence sous les attribut[s] faisant, lisant, entendant, d’une manière vague et dans toute leur latitude, et sans aucune espèce d’idées accessoires.
L’idée abstraite que présente l’infinitif peut, en quelque manière être regardée comme lidée d’une nature commune à tous les individus au[x]quels elle peut convenir et alors l’infinitif devient nom.
Veut-on enfin exprimer l’existence sous un attribut comme une idée communicable à plusieurs natures c.a.d. propre à exprimer cette modification ? on donne alors au verbe une nouvelle forme qui devient un autre mode ; et comme cette partie tient alors et du verbe et de l’adjectif, on l’appelle participe. Il tient du verbe parce que comme lui, il marque l’existence et qu’il a les trois temps généraux : il tient de l’adjectif, parce que comme lui il modifie un sujet par lidée accidentelle de l’évenement qu’il exprime et qu’il prend pour cela les terminaisons relatives aux accidens. Exemple : fait, faite, faisant, devant faire.
|[100] On a remarqué que les infinitifs ont des terminaisons différentes ?? /ceux de la langue qui/ se terminent en er comme aimer, en ir comme fuir, en oir comme recevoir, en re comme rendre, faire. Ainsi toutes les terminaisons des infinitifs peuvent se rapporter à ces quatre.
Voyez Wailly au chapitre des conjugaisons.
Chapitre VI.
Des Prépositions.
Les élémens de la parole qui nous ont occupés jusqu’ici, étoient sans doute les plus essentiels à l’expression de la pensée ; et ils pouvoient suffire à l’homme qui, réfléchissant peu, ne formoit d’autre combinaison que celle d’un simple jugement entre un sujet et une qualité.
Mais aussitôt que l’homme voulut sortir de ce cercle /si/ étroit, qu’il voulut observer les rapports d’une idée avec une autre idée, d’une action avec une autre action, il ne fut pas longtemps sans sentir le besoin d’autres élémens pour exprimer ces vues nouvelles. Ce ne fut pas assez d’avoir imaginé des mots pour signes des objets, d’autres mots pour en déterminer l’étendue et la compréhension, d’autres mots pour lier les qualités et les sujets, affirmer les unes des autres et marquer précisément l’époque de l’existence des actions ; il fallut des mots pour l’indication de ces rapports : il en fallut aussi pour lier les propositions aux propositions et completter enfin le |[101] tableau de la pensée ; c’étoit assez sans doute pour l’esprit mais l’ame avoit des élans à exprimer, des mouvemens de joie, de douleur, d’admiration, d’horreur, de crainte à peindre ; il lui falloit aussi des signes. Tels furent les élémens nouveaux ajoutés aux premiers et qui formèrent le tableau de la parole, considérée comme l’expression de toute[s] les idées, de toutes les pensées et des moindres mouvemens de l’esprit et du cœur.
§ 1er Etimologie et fonctions de la préposition.
Parmi les dénominations grammaticales, celle de la préposition est selon plusieurs grammairiens la plus difficile à justifier : « car, disent-ils, que signifie ce mot composé de deux mots latins : Præ positio ! qu’est-ce qu’un mot placé devant un autre mot ? n’es[t-]ce pas là la condition de tous les mots ? leur place fait-elle quelque chose à leur valeur, et la valeur de la préposition est-elle dans sa dénomination ? » Non sans doute ont dit ces grammairiens qui n’ont pas été plus loin, et qui n’ont pas voulu voir que certains mots pris figurément, avoient un sens raisonnable que le sens propre ne présentoit plus. Telle est la préposit[ion]. elle est ainsi nommée pour marquer qu’elle a une sorte d’empire sur le mot mis à sa suite ; elle le commande elle est placée devant lui et cela d’une manière nécessaire et invariable, comme le préposé est placé devant ceux |[102] qui lui sont soumis et qui dépendent de son administration.
La fonction de la préposition est d’indiquer le rapport qu’il y a d’un objet à un autre, d’une qualité à un objet, d’une action à un terme. ce qui nous donne lieu d’expliquer avant tout, le mot rapport qui est d’un si grand usage dans la Grammaire et dans toutes les Sciences.
Le mot rapport signifie proprement laction de celui qui ayant ôté un objet de sa place, l’y rapporte pour que cet objet n’y manque plus. Supposons que nous avions tout-à-lheure deux objets parfaitement semblables, et que nous ayons retranché de l’un des deux une petite partie de sa substance ; ils cesseront dêtre semblables par ce retranchement et pour leur rendre leur similitude, il faudra rapporter à celui qui diffère de l’autre, la partie qu’on en avoit ôtée. On dira de ces deux objets : ces deux objets étoient semblables, ils ont cessé de l’être, il y a donc pour leur rendre leur similitude un rapport à faire entre eux. Mais aussitôt que le rapport de ce qui leur manquoit est fait, on peut dire qu’ils ont ce rapport.
On a donc des rapports avec quelqu’un, quand on a les mêmes propriétés a[ve]c lui, en quantité et en qualité, qu’il n’y a plus rien à rapporter, pour établir la ressemblance et que tous les rapports sont faits.
La préposition indique un rapport à faire dans |[103] [dans] le discours, cela veut dire que quand il manque un complément à l’idée précédente et que par conséquent cette idée en appelle une autre, il y a dans ce cas-là un rapport à faire, que ce rapport est celui de l’idée complémentaire et que la préposition indique ce rapport. La préposition est entre deux mots au milieu desquels on la place comme une planche qu’on jette sur deux rives et qui sert à passer de l’une à l’autre comme dans cet exemple :
« La patience est nécessaire à tous. »
Supprimez la préposition à, il n’y a plus de liaison entre nécessaire et tous, il n’y a plus de planche de passage, cette qualité ne passe pas sur le mot tous : elle n’a aucune détermination ; ce sera encore tout de même si aulieu de supprimer la préposition nous retranchons /tous/ qui en est le terme. C’est dans ce cas un rapport suspendu, vague, indéterminé. Mais ne supprimons rien et disons
« nécessaire à tous »
Alors tout est complet parce qu’on apperçoit l[ae] rapport d’un terme à l’autre. Le premier terme commande au signe de rapport, le signe de rapport à son tour commande au second terme, et sempare tellement de lui, qu’il s’identifie avec lui, et que celui-ci devient son complément.
« Je vais à la campagne. »
|[104] Voyez comme l’action d’aller pour se porter sur la campagne a recours à ce mot intermédiaire à qui indique le rapport de cette action d’aller qui semble marcher vers son but.
Quelques exemples de plus où l’on verroit l’application de toutes les prépositions, serviroient à faire entendre, autant qu’il est possible, la véritable nature de cet élément de la parole ; et le terme de rapport, exprimé par la préposition, n’auroit plus aucune difficulté. Nous en conclurions que « la préposition considérée seule, indique un rapport vague, et que considérée dans la proposition, elle indique un rapport déterminé par l’application qu’on en fait à deux termes, dont le dernier lui sert de complément. »
Mais exposer ici ces exemples et présenter ses divers applications, seroit sortir du cercle des généralités qui appartiennent à la grammaire de toutes les langues et ce n’est pas là notre tâche. d’ailleurs voyez la grammaire de Condillac et /celle de/ Wailly chap. des prépositions.
§ 2 La préposition est un élément simple.
La préposition ne peut être composée, elle est toujours un élément simple, indiquant un rapport vague quand elle manque de son complément ; indiquant un rapport déterminé quand elle est suivie de son complément.
Il y a donc élipse toutes les fois qu’une préposition est liée à une autre et semble la régir. Il doit donc |[105] demeurer pour constant /qu’un[e] préposition/ ne peut jamais être le complément d’une préposition ; que son complément ne peut être qu’un nom ou linfinitif d’un verbe ; et que destinée à porter en quelque sorte, une qualité à un terme, le terme de ce rapport ne peut jamais être séparé de la préposition, non pas même par la vertu d’une supposition quelconque. Ce seroit s’arrêter en chemin dans l’expression rapide de la pensée que de supprimer le complément de la préposition. Ainsi on ne seroit point compris dans les propositions suivantes je viens de, j’ai passé par, je vais à.
On ne seroit pas mieux compris (au moins dans la langue française,) si en ajoutant le complément à chaque préposition, on le plaçoit après elle et si on disoit : je viens Orleans de J’ai passé Blois par, je vais Bordeau à.
C’est sans doute de la nécessité impérieuse où l’on est de placer toujours la préposition avant son complément qu’a été donnée à ce mot la dénomination de préposition, comme si on disoit mot toujours placé devant le mot qui dépend de lui, et en latin præpositio.
Qu’il est intéressant cet élément de la parole quand on s’arrête un peu à le considérer, quand on fait attention aux fonctions qu’il remplit dans une proposition. Sans lui on lie sans doute entre eux les sujets et les qualités ; on exprime |[106] jusqu’à un certain point, les jugemens de l’ame. Mais pour peu que la qualité affirmée sortant de son sujet pour se porter sur un objet ait de la tendance vers un but quelconque ; pour peu qu’on veuille exprimer la manière dont cette action est faite, le lieu où elle est faite, le temps qu’on emploie à la faire, aussitôt la préposition devient nécessaire au point que rien ne peut la suppléer. Elle ne peint rien toute seule, elle ne semble le signe de rien ; et au milieu des autres mots certainement plus intéressan[ts] qu’elle, elle répand un charme, des graces, une vie, qui sont au tableau de la pensée, ce que sont à la peinture ces nuances heureuses qui fondent les couleurs et rendent harmonique un tableau où tout, sans elles, deviendroit discordant.
§ 3 Les prépositions servent encore à multiplier les valeurs des adjectifs et des verbes.
Les Prépositions ne sont pas seulement des signes de rapport entre les objets et les objets. Dans toutes les langues leur domaine s’étend bien davantage. Elles servent encore à multiplier, à diversifier les valeurs des verbes et des qualités à l’infini. Ainsi à la faveur de plusieurs prépositions, le même mot sert à exprimer jusqu’aux nuances de la même idée et plus souvent encore des idées opposées.
C’est surtout la connoissance des prépositions initiales qui sert à découvrir le véritable sens des mots, à les classer tous par famille ; et d’après la signification du mot essentiel et primitif, à trouver à l’aide de la décomposition de la préposition, la signification du dérivé.
|[107] C’est cet emploi de prépositions initiales qui a servi à enrichir la langue particulière de chaque nation et à [la] rendre toutes les [les] langues plus précises. Nous en donnerons pour exemple le verbe mettre. L’adjonction des prépositions nous a donné dix dérivés de plus.
Admettre,
Com mettre,
dé mettre,
Om mettre,
Per mettre,
Pro mettre,
Re mettre,
Sou mettre,
Trans mettre,
S’entre mettre.
Nous pourrions multiplier de pareils exemples, celui-ci suffira pour appuyer en général le principe.
Après avoir avancé que les prépositions ne peuvent être composées et qu’elles sont toujours des élémens simples, il ne paroîtra pas extraordinaire de dire qu’elles sont toutes primitives. Destinées seulement à avertir qu’il existe un rapport entre deux idées, sans déterminer ce rapport, elles ne peuvent reconnoître aucun mot radical qui leur ait donné naissance.
|[108]
Chapitre VII.
De l’adverbe.
§ 1er L’adverbe n’est que la préposition réunie à son complément.
Après nous être occupés de la préposition, dans le Chapitre précédent l’adverbe se présente naturellement à notre esprit, comme appartenant essentiellement à la même classe. En effet l’adverbe n’est autre chose que la préposition elle même, réunie à son complément. Il est vrai qu’on ne trouve pas matériellement la préposition dans l’adverbe ; mais le complément la supporte et la fait assez entendre et cela suffit.
Ainsi le mot sagement pouvant être traduit par les mots avec sagesse, suppose donc devant sagement, la préposition avec élipsée ; c’est comme si on disoit avec sage ment. Voici l’explication de ces trois mots.
Avec est une préposition qui indique le rapport d’un mot antécédent, et qui est ordinairement une qualité active unie au verbe être ave[c] les mots ment sage.
Ment est un mot dérivé de la langue latine dans laquelle il signifie esprit, raison et que les italiens ont conservé dans son intégrité, soit dans la terminaison de leurs adverbes |[109] soit pour exprimer ce que nous exprimons par les mots ame, raison, cœur, esprit. Il y a donc dans les adverbes de la langue italienne, deux mots bien distincts, un nom qui est mente, et un qualificatif ou adjectif dont ce nom est le support ou le substantif. Les italiens disent veramente comme nous disons vraiment et notre ment ne signifie pas autre chose que ce que signifie leur mente. Il est vrai qu’aussi bien que les italiens, nous avons donné à ce mot d’autres sens et d’autres valeurs que le sens primitif. Il ne devroit être employé que pour les qualités qui appartiennent à l’esprit et à la raison et nous l’avons fait servir de support aux qualités physiques et alors il est devenu le synonime de manière qui étant dérivé de main, ne devroit s’employer que pour les actions de la main ; mais le mot manière lui même a servi à son tour à l’expression des différentes modification[s] des actions intellectuelles, par cette sorte de manie analogique qui a tout confondu dans le langage, pour en varier les formes et en enrichir le domaine. Les italiens disent con vera mente et nous disons avec un esprit vrai.
Ils disent en un seul mot vera mente
et nous disons en un seul mot vrai ment.
Mais ce mot chez eux et chez nous est éliptique. Ils retranchent leur proposition con et nous supprimons la préposition avec.
|[110]
§ 2 L’adverbe Pouvant être matériellement suppléé par une préposition et un substantif n’est pas un élément de plus dans le langage.
L’adverbe n’est pas un élément de plus dans le langage ; c’est seulement la réunion de plusieurs mots en un seul.
L’adverbe peut donc être matériellement suppléé par une préposition et un nom abstractif, puisqu’aulieu de dire prudemment on peut dire avec prudence. L’adverbe à son tour supplée la préposition et son complément.
Il étoit donc inutile, dira-t-on, d’inventer ce mot, qui n’ajoute rien de plus aux moyens déjà trouvés pour l’expression de la pensée.
??
|[111] ??
/Nous répondrons pour justifier l’invention de ladverbe ?? que la préposition avec son complément et ladverbe ne peuvent pas se ?? /suppléer/ reciproquement dans tous les cas !/
?? Car on ne dira pas indifféremment se conduire sagement ou se conduire avec sagesse.
L’adverbe exprimera davantage l’habitude de la qualité. La préposition et son complément s’emploîront plus à propos pour exprimer un seul acte. Ainsi on dira plus exactement « Cet homme se conduit sagement et avec tout cela il ne fait pas chacune de ses actions avec sagesse. »
L’adverbe ne peut donc pas toujours être remplacé par la préposition, quoiqu’il soit vrai qu’il soit toujours une sorte d’élipse où l’on n’apperçoit quelquefois que le nom tout seul ; quelquefois l’adjectif avec le support ment que nous venons d’expliquer ; quelquefois le nom et l’adjectif réunis.
Mais dans tous les cas la préposition n’est jamais dans l’adverbe que par supposition. |[112] Voici des exemples de ces trois cas.
« Cet homme parle mal, mais il agit bien. »
« Cet homme parle et agit bonne ment. »
« Cet homme aime à parler long-temps ; Cet autre aime à ecouter toujours. »
Il ne faut pas perdre de vue quels sont les élémens qui entrent dans la composition de l’adverbe et surtout il faut se souvenir de ces trois exemples, où l’on retrouve chacun de ces élémens. Ainsi un mot qui seroit un nom partout ailleurs est adverbe quand il modifie une qualité. La nature des mots ne dépend pas de leur forme, mais du rôle qu’ils jouent d’où dépend toujours leur signification.
Nous dirons aussi qu’un mot qui peut être remplacé par une préposition et un nom est un adverbe et que tout mot qui ne peut être remplacé ainsi doit donc appartenir à une autre classe de mots.
§ 3 Différentes espèces d’adverbes.
Si nous pouvions oublier qu’il /ne/ s’agit dans ce cours que des principes de grammaire générale, et si nous traitions de ceux de la grammaire particulière à notre langue, nous en classerions tous les adverbes et nous en donnerions une nomenclature exacte. Mais nous ne pouvons terminer cette leçon sans dire |[113] au moins qu’il doit y avoir autant d’adverbes qu’il y a d’espèces de manières d’être qui peuvent être énoncées par une préposition et son complément. Nous dirons donc qu’il y a des adverbes de temps ; des adverbes de lieu ; des adverbes de quantité ; des adverbes de qualités ; des adverbes de manière ; des adverbes exprimant la diversité ; des adverbes de nombre[ ;] des adverbes d’interrogation, d’affirmation, de négation, de diminution, d’exception, de comparaison.
§ 4 Erreurs où sont tombés le plus grand nombre des grammairiens au sujet de ladverbe.
Il n’y a peut être pas dans l’art de la parole d’élément à légard duquel on soit tombé dans plus de méprises. On a tout confondu et les adverbes et les conjonctions et les prépositions et les phrases adverbiales. De véritables noms abstraits tels que hier, aujourd’hui, demain &c. ont été pris pour des adverbes, et la preuve évidente qu’ils ne le sont pas, c’est qu’ils sont tantôt sujets des verbes, tantôt objets d’action ; tantôt supports des adjectif[s] comme les noms substantifs, tantôt complément des prépositions. Ce qui a induit en erreur plusieurs grammairiens c’est qu’il arrive souvent que la préposition dont ces mots sont le complément est sousentendue et cette sousentente leur donne alors un air adverbial qui les fait confondre avec les adverbes.
|[114] Exemples pour les substantifs considérés comme sujets Dans la proposition.
« Hier fut un beau jour pour vous. »
« Demain sera pour moi, si vous venez me voir un jour encore plus beau. »
Exemples pour les substantifs considérés comme complément d’une préposition.
« J’irai vous voir demain. »
C’est comme s’il y avoit
« J’irai vous voir à demain. »
Si on confond les pronoms parmi les adverbes, on ne confond pas moins les adverbes parmi les pronoms. y et en en sont la preuve. Des grammairiens ont regardé ces mots comme pronoms, ce sont certainement des adverbes.
Exemples :
« Demeurez-vous à Toulouse ? oui j’y demeure. »
« On dit que vous arrivez dans ce moment ; non je n’en arrive pas. »
Dans le 1er Exemple y e[s]t l’élipse de ces deux mots-ci à Toulouse. c.a.d. d’une préposition et de son complément. Or nous savons qu’il n’y a que l’adverbe qui puisse tenir lieu de l’une et de lautre.
Dans le second exemple en est l’élipse de ces deux mots-ci : de Toulouse c.a.d. d’une préposition et de son complément, par conséquent en est un adverbe.
|[115] Voilà des adverbes transformés en pronoms ; Voici des adverbes transformés aussi mal à propos en conjonctions.
Ces adverbes sont cependant, néanmoins, po/u/rtant, afin, aussi encore, lorsque, toute fois &c.
Cependant signifie pendant ce temps-là ce qui revient à cette phrase, ce temps-là étant pendant, n’étant pas encore passé.
Pourtant ; comme si on disoit « cet homme avoit solennelement promis de ne jamais aliéner une propriété qu’il tenoit de la générosité de ses amis et pourtant il l’a aliénée. » c.a.d. quelque grande, quelque solennelle que fut sa promesse &c.
Afin : tout le monde sait que ce mot est ?? l’élipse de ces trois mots-ci à telle fin, à cette fin ; il n’est pas plus conjonction que ces formules-ci à cause de, à raison de.
??
Nous terminerons ici cette explication des adverbes équivoques, parce qu’elle nous meneroit trop loin. Il suffira sans doute d’avoir donné ces exemples, et de dire en finissant qu’un mot qui semble unique comme le sont les conjonctions est un véritable adverbe, toutes les fois qu’il peut avoir pour synonime une phrase entière ou un membre de phrase exprimé par une préposition et son complément. D’après ce principe dont l’explication est extremement facile les mots ainsi, aussi, encore &c. seront donc des adverbes et non des conjonctions. Car ainsi peut avoir pour synonime |[116] cette forme-ci de cette manière ; aussi peut avoir celle-ci : de même pareillement et on ne niera pas que ce dernier mot-là ne soit un adverbe. Or seroit-il raisonnable de donner à des conjonctions, des adverbes pour synonimes. Voici des exemples qui achèveront la démonstration.
« Vous trouvez admirables les tragédies de Racine. »
« Et moi aussi. »
N’est-ce pas comme si je disois :
Ou« Vous trouvez les tragédies de Racine admirables. »
« et moi pareillement. »
« Je les trouve admirables de la même manière que vous les en trouvez. »
Chapitre VIII.
De la Conjonction.
Nous avons eu souvent occasion de comparer le tableau de la pensée aux tableaux où l’on représente et les objets de la nature et les êtres considérés en mouvement et en actions. Nous avons comparé les élémens de la parole pris isolement et un à un à des portraits ; et les êtres agissant entre eux à des tableaux. Mais ces tableaux sont plus ou moins simples, plus ou moins développés. Le tableau le plus simple représente un acteur considéré sous un rapport |[117] quelconque ; et par conséquent c’est la réunion de deux idées, dont l’une est celle du sujet et l’autre celle de la qualité. Pour peu qu’on veuille sortir de cette simplicité, aussitôt se fait sentir le besoin d’autres mots qui viennent exprimer un rapport de plus : et on l’exprime ce rapport par un mot destiné à remplir cette fonction nouvelle. Mais s’il sagit d’unir une proposition à une autre, d’ajouter une phrase à une phrase de former un seul tout de plusieurs propositions, qui se rapportent toutes à une proposition principale, c’est alors qu’il faut de nouveaux mots qui fondent toutes ces couleurs diverses pour n’en faire qu’un seul tableau dont toutes les parties soient tellement liées entre elles, que rien ne rompe cette unité précieuse sans laquelle tout seroit discordant dans la représentation quand tout es un dans le modèle.
Ces mots lians ont été appellés conjonctions. On ne pouvoit dans la langue latine choisir une dénomination qui leur fut plus propre : car le mot conjonction vient de junctus qui signifie joint ou lié et de cum qui signifie avec.
Quel intérêt va résulter de la réunion de toutes les idées accessoires, avec la principale idée ? quelle richesse dans ce rapprochement ! Et c’est aux conjonctions qu’on les devra. Dans quelles bornes étroites n’étoit pas circonscrite la pensée, avant l’heureuse invention de ce mot, |[118] à l’aide duquel on pourra désormais en supprimer tant d’autres. Réduit à des formes toujours les mêmes, n’établissant encore aucune relation dans les actions, puisqu’il n’avoit encore sous la main, aucun moyen de réunir des idées faites pour être grouppées, combien l’homme qui n’avoit pas l’usage des conjonctions devoit-il être et lent et monotone dans l’expression de ses idées ? On n’a pour s’en convaincre qu’à transcrire quelques phrases d’un ouvrage bien écrit : disjoindre ou séparer toutes les propositions liées par des conjonctions. Chaque membre de la période, formant une phrase complette, quelle prodigieuse et fatiguante lenteur dans la marche d’un discours ainsi décousu ? Et au contraire quelle rapidité dans un discours périodique !
§ 1er La fonction de la conjonction est de lier les parties du discours et les pensées entre elles.
La fonction de la conjonction dans le discours n’est pas seulement d’attacher les mots les uns avec /les/ autres ; mais encore de lier les pensées entre elles et les propositions. Dans l’exemple suivant on verra des mots liés en apparence ; mais une attention moins legère y fera remarquer plusieurs propositions.
« Les merveilles du ciel et celles de la terre publient l’existence et la gloire de l’Etre qui les a tirés du néant et qui les conserve. »
Otons les conjonctions, voici les résultats que cette suppression nous donne.
« Les merveilles du ciel /et de la terre/ publient l’existence de l’être qui les a tirés du néant. »
« Les merveilles du ciel /et de la terre/ publient l’existence de lêtre qui les conserve. »
|[119] « Les merveilles du ciel /et de la terre/ publient la gloire de lêtre qui les a tirés du néant. »
« Les merveilles du ciel /et de la terre/ publient la gloire de lêtre qui les conserve. »
Que de répétitions fastidieuses quand on veut se dispenser de recourir aux conjonctions. Combien au contraire on presse les idées quand la conjonction unit les choses aux choses et combien de mots disparoissent pour faire place aux pensées. On exprime celles-ci avec la même rapidité qu’on les conçoit.
§ 2 Différentes espèces de conjonctions.
Les Principales conjonctions servent à lier, à séparer et à désunir pour donner le choix entre deux phrases.
Exemples :La 1ère est Et.
La 2e est ni.
La 3e est ou.
1o « Le jour est beau et propre à la promenade. »
2o « Celui d’hier n’étoit ni beau ni laid. »
3o « Celui de demain sera l’un ou l’autre. »
Après ces trois conjonctions, la conjonction par excellence est que. Les grammairiens ont distingué plusieurs sortes de que, mais toutes ces sortes rentrent dans une seule, qui est le que conjonctif.
|[120] Ainsi que le que soit relatif, comparatif, exclamatif &c. il n’en est pas moins conjonctif.
Exemples :
1o « Nous Croyons que le monde n’a pu se faire lui même et qu’il ne peut être éternel. »
2o « Le soleil est plus grand que la lune. »
En décomposant cette dernière phrase, on y trouve ces deux propositions « La lune est grande le soleil est plus grand. »
Le que qui s’y trouve est donc une conjonction, d’après ce principe que toute conjonction disparoît dans la décomposition d’une phrase. Il en est de même du que exclamatif.
« Qu’il est grand, qu’il est digne de nos homages, celui à qui le ciel, la terre et les mers obéissent. »
Vous devez observer dans cette phrase que pressé par la force de la proposition principale, on en supprime le premier membre pour aller vîte où commence l’intérêt, et on se précipite vers ce qui est un sentiment. mais ce que n’en est pas moins lié dans l’esprit à ce premier membre je dis qu’il est grand &c.
Quelquefois le que admiratif prend la forme interrogative quel fut son désespoir ? quelle fut sa joie ?
Celui qui interroge ainsi a l’air de dire « son désespoir fut tel que les bornes ne m’en sont pas connues, elles sont au delà de ma pensée et par conséquent excitent mon étonement. »
|[121] Il y a des propositions unies qui présentent une opposition et alors des conjonctions d’une certaine espèce expriment cette opposition. On pourroit les appeller adversatives.
« Vous êtes riche, mais les pauvres, vos frères, souffrent et vous leur devez des secours. »
Des propositions unies présentent un choix entre des choses qui ne peuvent se trouver ensemble. Les conjonctions dans ce cas-là sont disjonctives.
« Je viens te demander la vie ou la mort, disoit Véturie à Coriolan son fils. »
Des propositions unies présentent une explication ou développement de l’une par l’autre alors les conjonct. sont explicatives.
« Vous devez secourir les infortunés, car ils sont hommes et vos frères et vous êtes riche. »
Des propositions liées présente[nt] une relation à une même époque, les conjonctions qui lient ces propositions sont périodiques.
« Faites le bien quand vous le pourrez. »
Les conjonctions sont hypothétiques quand la liaison est fondée sur une supposition.
« Evitez le mal, si vous voulez éviter les remords. »
|[122] Mais lorsqu’on veut tirer une conséquence d’un principe, la conjonction qui unit l’une et lautre est appellée conclusive.
« Vous êtes homme, donc vous êtes sujet à l’erreur. »
On appelle la conjonction causative, quand dans deux propositions qui forment la phrase, la 1ère est la cause de la 2de.
« On estime les gens instruits parce qu’ils peuvent être utiles. »
La Conjonction est transitive quand elle marque un passage ou une transition d’une chose à une autre.
« Il faut rechercher ce qui peut nous rendre meilleurs or linstruction nous procure cet avantage. »
La Conjonction est dubitative quand elle marque une liaison fondée sur quelque doute.
« Je ne sais si l’homme juste fut jamais véritablement esclave, même dans ses fers. »
La Conjonction est enfin déterminative quand entre deux propositions, elle désigne une liaison fondée sur ce que la dernière complete ou détermine le sens de la première.
« On a toujours pensé que la vieillesse méritoit le plus grand respect. »
|[123]
Chapitre IX.
De l’interjection.
C’est ici, chez tous les grammairiens, le dernier élément de la parole, la dernière partie du discours. C’est le signe écrit des élans d’une ame affligée ou joyeuse ; une sorte de cri involontaire, l’accent du plaisir, de la douleur, ou de l’admiration que l’homme ne peut retenir au fond de son ame.
Aussi les interjections sont-elles dans toutes les langues de petits mots monosyllabiques qu’on jette comme sans dessein dans la période pour marquer et rendre sensible aux autres les émotions d’un cœur oppressé.
L’interjection n’est donc pas comme le mot en général le signe de la simple idée ; elle est le signe de la sensation même dont l’idée est leffet. aussi précède-t-elle toujours l’expression de la pensée. une ame froide expose ce qu’elle voit, exprime ce qu’elle veut sans connoître l’usage de linterjection. une ame de feu s’interrompt quand elle raconte, quand elle voit, quand elle pense, quand elle veut |[124] et ces interruptions sont des traits de flamme rendus par des interjections.
Exemple :« Oh mon fils ! oh ! ma joie ! oh ! l’honneur de mes jours !
Oh ! d’un état penchant l’inespéré secours !
Vertu digne de Rome et sang digne d’Horace ! »
Je ne m’étendrai pas davantage sur les diverses espèces d’interjections, parce que la grammaire générale ne s’occupe que de diriger le langage de l’esprit. Celui du cœur étant purement celui de la nature, n’est point soumis aux règles de l’art, qui dans les mots n’en distingue les espèces que pour en déterminer plus nettement les usages.
fin de la 2e Partie