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Grammaire générale

 

Table des matières Notions préliminaires. Grammaire générale.

 

 

 

Suite du cours de
grammaire générale.
3eme partie.
Grammaire française.
4eme partie.
La logique.

 

 

 

 

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Grammaire générale

 

le mot grammaire paroît d'abord avoir été pris au hazard: il ne présente par lui-même aucune idée à l'esprit. mais remontons à son origine, nous verrons qu'on a eu raison de le choisir.

gramma en grec signifie peinture, tableau. de cette racine on fit grammatica qui, chez les grecs et les latins, désignoit l'art de peindre. de grammatica les françois ont fait grammaire. on trouve donc dans l'etymologie du mot sa vraie signification; en effet la grammaire est l'art de peindre les idées.

les mots sont les élémens de la parole, comme les couleurs sont les élémens de la peinture. mais afin que les mots puissent se réunir en tableaux et peindre les idées, il faut les assortir entr'eux de maniere qu'ils correspondent aux diverses parties de la pensée, et les unir de façon qu'ils ne forment qu'un tout comme elle; c'est l'objet de la grammaire: elle nous apprend quelle espece de mots répond à chaque partie d'une pensée, et les formes qu'il faut donner à chacun de ces mots.

si elle donne les regles communes à toutes les langues, on la nomme grammaire générale; si elle donne les regles propres à une langue, on la nomme grammaire particuliere. la premiere, immuable comme la nature dont elle est la copie, est commune à tous les siecles et à tous les peuples. la seconde, variable à l'infini, se prête au génie de chaque peuple, de chaque siecle; parce que la nature qui oblige les hommes à se conformer à elle, lorsqu'ils veulent l'imiter, les abandonne à leur propre génie, dans la maniere d'exprimer cette imitation.

ainsi un tableau est exécuté de différentes manieres, sans cesser d'être le même.

les grammaires particulieres, qui dérivent toutes de la grammaire générale, ne doivent avoir rien de contraire à celle-ci: il ne doit y avoir aucun procédé chez elles, dont on ne puisse rendre raison, dès qu'on le rapproche des principes de la grammaire générale.

|2 si vous voulez que vos peintures produisent les effets que vous en attendez: parlez aux autres, comme vous vous êtes parlé à vous-même.

que certains mots expriment les objets qui vous frappent; que d'autres peignent les effets que ces objets produisent sur vous; que d'autres encore servent à unir toutes les parties, en marquant leurs rapports; et que de cet amalgame résulte un tout lumineux qui peigne votre idée à l'esprit de vos semblables, avec la même exactitude et la même précision qu'elle est peinte dans votre esprit.

ce procédé est de tous les pays; car il est impossible de peindre une idée, si on n'analyse pas les différentes parties dont elle est composée.

la logique a un grand rapport avec la grammaire: toutes les deux s'occupent d'idées; mais elles les envisagent sous des faces différentes.

la grammaire ne s'occupe que de l'expression des idées. la logique en examine la vérité. la grammaire nous apprend à peindre nos idées, telles qu'elles sont dans notre esprit; la logique, à les rendre conformes à leurs modeles.

toutes deux sont très intéressantes, parce que de leur réunion résulte la communication des idées la plus agréable et la plus parfaite.

l'idée est claire, vive et rapide; la peinture doit avoir les mêmes qualités: elle doit être lumineuse, énergique et aussi prompte qu'il est possible.

ce n'est pas tout: l'idée d'un objet se peint dans notre esprit tout à-la-fois; il seroit à désirer qu'elle put être rendue avec la même rapidité; cela seroit d'autant plus avantageux que les hommes en societé ont beaucoup de choses à se communiquer, et qu'on est aussi impatient de connoître la pensée des autres, qu'on l'est soi-même de manifester la sienne.

l'on fera donc succéder les paroles avec rapidité: on fera plus, on supprimera toutes celles qui pourront se suppléer; et souvent on mettra deux ou trois mots en un. de là les ellipses, ou les phrases abrégées, qui paroissent si bizarres, quand on ne peut pas suppléer ce qui a été supprimé.

ces tours elliptiques sont très communs dans toutes les langues, et les rendent très difficiles à apprendre pour ceux qui n'ont pas eu la force de s'élever aux principes généraux du langage; sans ces principes tout etonne, tout embarrasse: une langue apprise ne sera presque d'aucune utilité pour en apprendre une autre. au lieu que si on a bien saisi les regles communes à toutes les langues, on en apprendra plusieurs en peu de temps, et on les saura bien.

|3 puisque la grammaire générale donne les regles qu'on doit observer dans la peinture des idées, elle embrassera les objets suivans:

1º les élémens qui entrent dans cette peinture, ou les diverses especes de mots qui constituent le discours parlé ou écrit.

2º les diverses formes dont les mots sont susceptibles.

3º la forme et la place que chaque mot doit avoir; ce qui formera trois sections qui offriront:

1º les parties du discours.

2º les diverses formes que les mots peuvent prendre.

3º la syntaxe.

 

 

Section 1ere.

Des parties du discours.

 

nos idées n'ont pour objet que des rapports. rapports d'objets entr'eux; rapports des objets avec les qualités qu'ils réunissent; rapports avec nous. or tout rapport suppose des objets comparés. donc la parole qui doit être l'expression des idées aura deux especes de mots très distincts: les uns qui désignent les objets comparés; les autres qui font voir qu'on les compare: les uns sont les matériaux; les autres sont le ciment.

le tableau de la parole aura plus ou moins de parties, selon que l'idée à peindre, embrassera plus ou moins de rapports.

ces parties diverses seront cependant en petit nombre, vu qu'il y a peu de rapports de différente nature.

quelque peu nombreuses que soient les parties du discours, les grammairiens n'ont pas encore pu s'accorder, pour en fixer le nombre; cependant le succès de ce que nous avons à dire, dépend des idées nettes et distinctes que nous en aurons. il faut donc, avant tout, examiner les caracteres distinctifs de chacune d'elles.

comment sait-on qu'une partie d'un corps n'est pas la même que telle autre? c'est parce qu'on ne peut pas affirmer de l'une ce que l'on affirme de l'autre; qu'elles ont des fonctions et des places différentes; qu'elles produisent des |4 effets divers, et que sans elles le corps seroit incomplet ou défectueux.

or les différentes parties du discours réunissent ces caracteres. un exemple suffira pour mettre à même d'en juger.

dans cette phrase, Cicéron fut éloquent, il y a trois mots qui sont trois parties différentes du discours, aussi chacun d'eux réunit-il les caracteres allégués.

1º l'on ne peut pas dire de l'un ce qu'on dit de l'autre: l'un est un nom, les deux autres sont des parties toutes différentes.

2º ils remplissent des fonctions diverses; car l'un désigne le sujet du tableau, l'autre une qualité de ce sujet, le troisieme les lie.

3º ils produisent des effets différens, puisque l'un réveille l'idée d'un individu, l'autre celle d'une qualité, le troisieme celle de l'existence.

4º ils sont indispensables; car si on en supprime un, quelqu'il soit, il n'y aura plus de tableau.

toute autre espece de mot qui réunira ces quatre propriétés, formera une nouvelle partie du discours.

des trois parties déjà trouvées, la premiere s'appelle un nom, parce qu'elle sert à nommer les objets.

celle qui est placée la troisieme s'appelle ordinairement adjectif, d'adjectus qui signifie ajouté. parce que les mots de cette espece s'ajoutent au nom, pour exprimer la qualité qu'on apperçoit dans l'objet que ce nom désigne: elle seroit mieux nommée qualificatif.

celle qui est placée au second rang s'appelle verbe, du mot latin verbum, qui signifie mot par excellence; en effet le verbe est comme l'ame du tableau; il en réunit les parties, pour en faire un tout unique.

ce sont là les trois parties constitutives du langage; celles qui doivent se trouver au moins implicitement, dans tous les tableaux, et sans lesquelles il ne pourroit en exister un seul.

c'est à ces trois parties que doivent être ramenés, en derniere analyse, tous les discours les plus longs; et ce n'est même qu'autant qu'on sera en état de les réduire à des tableaux aussi simples, qu'on pourra être sur d'en avoir une connoissance exacte.

on entreprendroit en vain d'analyser une phrase quelconque, même celles qui ne sont composées que de deux mots, comme il pleut, ou d'un seul, comme [?pluie]. si l'on n'a pas des notions claires et distinctes de ces trois parties; |5 mais avec leur secours, il n'est aucune phrase, dans une langue quelconque, qu'on ne puisse analyser.

à ces trois classes de mots il s'en joint une autre dont le but est tout-à-fait différent.

dans l'exemple cité Cicéron fut éloquent, l'objet étoit si déterminé par le nom qu'on ne pouvoit le confondre avec un autre. il n'est pas ainsi de tous les noms; plusieurs peuvent s'appliquer à tous les objets de la même espece; tels sont les mots, homme, plante, montagne.

toutes les fois qu'on voudra les appliquer à un seul homme, à une seule plante, il faudra les accompagner d'un mot qui les tire de cette généralité, qui fasse connoître déterminément l'objet qu'on a en vue.

on ne peut pas dire, par exemple: assemblée étoit brillante, maison est belle. ces tableaux sont si vagues qu'ils ne peignent rien de déterminé. dites, l'assemblée étoit brillante, cette maison est belle, aussitôt on connoît les objets dont vous voulez parler.

ainsi le, ce, sont une nouvelle partie du discours; on les appelle articles, du mot latin articulus, qui signifie jointure. le nom déterminatif leur convient beaucoup plus que celui d'article; car les articles sont joints aux noms, mais ils ne servent pas à joindre.

les hommes sont souvent acteurs dans le tableau de la parole; mais les rôles dont ils sont chargés, ne sauroient être les mêmes. le premier rôle est sans contredit, le rôle de celui qui parle; le second est rempli par ceux à qui il adresse la parole; le troisieme comprend ceux dont il parle.

dans tous ces cas, il n'est pas question du nom propre de ces acteurs; ce qui est essentiel, c'est que celui qui parle se désigne comme l'être qui parle, et qu'il désigne distinctement ceux à qui il s'adresse, et ceux dont il fait mention.

ce qui se fera par une cinquieme espece de mots, appellés pronoms, tels que je, vous, ils, etc.

ces pronoms désignent les acteurs, comme acteurs, quelque soit leur nom: ils sont comme ces masques d'Arlequin et de Pantalon, qui sont portés par quiconque est chargé de jouer un de ces rôles, quoiqu'il ne soit ni Arlequin, ni Pantalon.

de là est venu l'usage d'appeller du nom de personne, qui en latin |6 signifie masques, les acteurs du discours.

ces cinq especes de mots completent la premiere classe des parties du discours, de celles qui se revêtent de diverses formes, suivant le sujet du tableau dont elles font partie; comme elles se rapportent toutes à ce sujet, elles doivent en prendre la livrée.

nous n'avons considéré jusqu'ici le sujet du tableau, que relativement à lui-même. cependant il est souvent lié avec les sujets d'autres tableaux, qui sont, comme il est lui- même, à la tête d'un grand nombre de mots: il faudra donc des expressions pour unir ces divers tableaux, de maniere à n'en former qu'un tout. le caractere distinctif de ces expressions sera de ne jamais changer de forme, parce que faits pour lier deux objets différens, ils ne peuvent prendre la livrée d'aucun des deux.

cette seconde classe contiendra les diverses especes de mots destinés les uns à marquer les diverses nuances de nos qualités et de nos actions, ce sont les adverbes; d'autres à lier les objets en rapport les uns avec les autres, ce sont les prépositions; d'autres à lier divers tableaux d'idées, ce sont les conjonctions: il y en aura encore pour exprimer les affections de notre ame, qui accompagnent nos idées, sans se mêler avec elles, ce sont les interjections, ainsi appellées du latin, inter, entre et jactus, jetté; parce que ces mots sont semés ça et là dans le discours, qu'ils semblent interrompre.

nous pouvons donc compter neuf parties du discours, dont nous traiterons dans cet ordre:

le nom, le déterminatif, le qualificatif, le pronom, le verbe, la préposition, l'adverbe, la conjonction, l'interjection.

toutes ces parties du discours sont communes de droit ou de fait à tous les peuples; elles remplissent toutes des fonctions différentes, toutes sont nécessaires pour rendre une langue complete.

 

 

Chapitre premier.

Du nom.

 

le mot nom vient du latin nomen, ellipse de notamen qui signifie marque ou signe d'un objet quelconque. en effet le nom désigne tous les êtres existans ou qu'on suppose exister. on trouve dans cette etymologie, comme dans celle de la plupart des mots, et surtout des mots composés, toute la signification du mot.

le nom est le plus nécessaire des élémens de la parole; il désigne les objets sans lesquels il ne peut y avoir de discours: tous les autres se rapportent |7 à lui, et n'ont de valeur que par lui. il doit donc marcher à la tête des parties du discours; c'est la nature elle-même qui lui a assigné le premier rang.

 

 

§ premier.

Des différentes especes de noms.

 

comme nous disons, soleil, lune, qui désignent des objets existans, nous disons de même, homme, plante, mots qui ne sont le nom d'aucun objet en particulier; mais qui nous présentent tous ceux qui sont de la même nature, et qui nous donnent des idées nettes de tous les êtres, sans nous accabler par leur nombre.

nous disons également, blancheur, bonté, désignant par là, non des êtres, mais des qualités du corps ou de l'ame que nous considérons, abstraction faite du sujet où elles se trouvent.

de ces trois especes de noms, le premier s'appelle nom propre, parce qu'il appartient en propre à celui qui le porte. le second s'appelle nom appellatif, parce qu'il sert à donner une appellation commune à tous les êtres de la même espece. le troisieme s'appelle nom abstrait ou plutôt abstractif, parce qu'on le donne à une qualité que l'on considère comme abstraite du sujet auquel elle appartient.

cette division des noms est prise dans la nature: elle est nécessaire pour la perfection du langage.

sans les noms abstraits, il seroit impossible de former certains tableaux qui sont d'une ressource infinie pour analyser les êtres et par conséquent pour les connoître mieux.

les grammairiens discutent longuement la question de savoir lequel du nom propre ou du nom appellatif, on a trouvé le premier.

d'un côté la nature n'offre que des individus: on a eu des idées individuelles avant de s'élever à l'idée de l'espece. les noms propres durent donc être les premiers.

d'un autre côté on a remarqué que la plupart des noms propres sont appellatifs par leur nature; il faut donc que ceux-ci ayent été les premiers en usage. de quel côté est la vérité?

on conçoit aisément que ces deux especes de mots ont pu être inventé[e]s en même temps.

l'homme voyoit d'un côté une grande quantité d'êtres de la même espece, |8 tels que des arbres, des plantes, des étoiles; il voyoit en même temps des objets seuls de leur espece, un seul soleil, une seule lune, une seule riviere, à chacun de ceux-ci il donna sans doute un nom individuel, un nom propre; mais fit il la folie de donner à chaque arbre, à chaque étoile, un nom particulier? ne se contente-t'il pas d'envelopper tous les objets de la même nature sous un même nom?

si, dans le principe, les noms ont été propres, ils ont pu aisément devenir appellatifs. à mesure que l'homme découvroit des objets semblables à ceux qu'il connoissoit, il donnoit à ces nouveaux objets le même nom qu'il avoit déjà donné aux premiers.

de cette maniere les noms propres devinrent autant de noms appellatifs, qui à leur tour devinrent noms propres, quand on les appliqua à un seul objet particulier. c'est ainsi que les noms de bible et d'alcoran, qui dans le principe signifioient livre en général, ne désignent plus chez les chrétiens et les [?mahométans] que leurs livres sacrés; c'est par le même principe que nous disons dans un sens individuel, la ville, la montagne.

cette propriété qu'on les noms appellatifs de s'employer dans un sens très étendu, ou dans un sens très restreint, répand de l'obscurité sur les auteurs anciens et sur les étymologies des noms propres.

il est à remarquer que l'on ne donne des noms propres à chacun des objets qui forment des classes nombreuses, qu'autant qu'on a un besoin habituel de les distinguer par leur nom: ainsi l'astronome désigne chaque étoile par un nom propre: le chasseur , chacun de ses chiens.

de là cette multitude de termes propres à chaque art, à chaque métier, qui ne sont connus que de ceux qui se consacrent à ces arts, à ces métiers.

 

 

§ second.

Noms source ou racine de tous les mots.

 

une des prérogatives des noms être est d'être la source des autres parties du discours; en sorte qu'on ne peut indiquer aucun mot, de quelque espece qu'il soit, qui ne descende d'un nom.

cette assertion paroitra sans doute un paradoxe: cependant on peut en prouver la vérité, sans recourir à des faits dont le détail ne peut entrer dans un abrégé.

|9 en effet les noms seuls peignent les objets; les autres mots ne peignent que les qualités, les actions, les différens états de ces objets: il faut donc que ces derniers mots ayent avec le nom le même rapport que les qualités ont avec leur objet; c'est à dire qu'ils en dérivent de la même maniere que les qualités dérivent de la nature de l'objet.

les mots dérivés reveilleront l'idée du nom radical aussi promptement que l'idée d'une qualité reveille celle de l'objet auquel elle appartient.

c'est cette harmonie simple et noble qui constitue la beauté du langage, et qui seule peut en faciliter l'étude.

les noms deviennent ainsi la base, la clef des langues; c'est presque à eux qu'on en doit réduire l'étude: l'on ne sera assuré de saisir le vrai sens de différens mots, qu'autant qu'on sera en état de les ramener au nom qui leur donna naissance.

 

 

§ troisieme.

De l'invention des noms.

 

dans toutes les langues, les accens communs aux deux langages auront sans doute été les premiers noms. c'est la nature qui les donne, et ils suffisent pour indiquer nos besoins, nos craintes, nos désirs, tous nos sentimens susceptibles de différentes inflexions, ils expriment naturellement les différens degrés de nos affections.

les hommes dans la nécessité de se demander et de se donner des secours, firent une étude de ce langage. ils apprirent à s'en servir avec plus d'art; et les accens qui n'étoient d'abord pour eux que des signes naturels devinrent insensiblement des signes artificiels qu'ils modifierent par différentes articulations. voilà vraisemblablement pourquoi la prosodie a été dans plusieurs langues une espece de chant.

quant aux objets de nos idées, comment entre tous les sons, peut-on se décider pour celui qui devient le nom de chacun?

|10 nous l'avons dit et nous ne saurions trop le répéter: la parole est une peinture de nos idées; et nos idées une peinture de ces objets. il faut donc qu'il existe un rapport entre les mots et les idées qu'ils présentent, comme il en existe un entre les idées et leurs objets. en effet ce qui peint ne sauroit être arbitraire; il est toujours déterminé par la nature de l'objet à peindre. les hommes furent donc obligés pour désigner un objet ou une idée, de choisir le son le plus analogue à cet objet, à cette idée; en sorte qu'aussitôt qu'il étoit énoncé, chacun pût reconnoître le modele qu'il vouloit peindre.

à cet égard les noms, surtout les primitifs, se divisent en deux grandes classes.

1º ceux qu'on appelle onomatopées, c'est à dire noms déjà formés par la nature, et qui désignent les objets par un son qui imite leur cri, si ce sont des animaux, ou le bruit, ou les sons qui résultent de leurs mouvemens, si ce sont d'autres êtres.

tels sont, 1º ces noms d'animaux: [?Bœuf], [?Belier], coucou, etc.

2º ces noms d'instrumens: tambour, cymbale, trompette, fanfare, trictrac, etc.

3º ces mots encore, soufle, sifflement, mugissement, tonnerre, bombe, etc.

4º on peut joindre à cette classe, les noms des organes tirés des sons qu'ils rendent. la bouche prend son nom de ce qu'on prononce sur son ouverture la labiale B. les dents prennent leur nom de ce qu'elles forment l'intonation D. la gorge, le gosier, le glouton, les gargarismes s'appellent tous ainsi de ce que le G se prononce du gosier. c'est par la même raison que la langue et presque toutes ses fonctions sont désignées par la lettre L.

la deuxieme classe des noms renferme tous ceux qui rappellent l'objet par le rapport du nom avec une qualité distinctive de l'objet. il est impossible ici d'entrer dans de grands détails, sans se perdre dans de vaines conjectures.

nous dirons seulement que l'on trouva quelques couleurs propres à peindre les objets, dans la douceur et la dureté des syllabes, dans la longueur et la brieveté des mots, dans la lenteur et la rapidité de la prononciation et dans les différentes inflexions dont la voix est susceptible.

enfin puisque l'analogie a pu faire du langage d'action, un langage artificiel, pourquoi n'auroit-elle pas pu donner le même |11 avantage au langage des sons articulés.

il paroît d'abord bien difficile d'imaginer comment les hommes ont pu donner des noms aux opérations de l'esprit. en effet, ils ne pouvoient les montrer avec des gestes, comme ils avoient montré les objets sensibles; et il n'en étoit pas de ces opérations, comme des sentimens de l'ame, dont les noms se trouvent dans les accens de la nature. cependant si nous considérons que, dans toutes les langues, les noms des opérations de l'entendement sont des expressions figurées qui telles que, attention, réflexion, imagination, pensée, offrent des images sensibles, nous jugerons que les hommes ont pu réussir à donner des noms aux opérations intellectuelles, comme ils avoient pu en donner aux actions sensibles qui avoient quelque analogie avec ces opérations.

 

 

§ quatrieme.

Des noms dérivés, composés et figurés.

 

les mots sont toujours en proportion avec les idées et les besoins: comme ceux-ci étoient très bornés dans les premiers hommes qui ne connoissoient ni les arts ni les sciences, le nombre des noms primitifs dut être très petit; mais à mesure que leurs idées s'étendirent, et que leurs besoins augmenterent, ils furent obligés d'inventer de nouveaux noms.

on modifia différemment les noms primitifs, tantôt en leur ajoutant des lettres, tantôt en leur associant d'autres mots; quelque fois en les transportant du sens propre au sens figuré. de là les dérivés, les composés et les figurés.

par cet artifice admirable, l'homme supplée au petit nombre des sons primitifs. par le secours des dérivés, le même nom devient successivement verbe, adverbe, qualificatif, etc.; par le secours des composés, on réduit en un seul mot, diverses idées; par le secours des figurés, on double, on triple la valeur des primitifs. /Nous avons lu à cette occasion quelques chapitres des tropes./ (nous donnerons de vive voix différens exemples.) ainsi un même mot se reproduit presque à l'infini, pour exprimer toutes les idées qui ont quelque rapport à un objet physique.

on peut faire des discours très longs, où il n'entre que des mots désignant des objets physiques, qui ne s'appliquent qu'à des objets intellectuels ou moraux. il en existe de pareils, et on les appelle allégories, c'est à dire discours dont les mots renferment un sens différent de celui qu'il semblent présenter.

il y a d'autres noms qu'on appelle les uns diminutifs et les autres augmentatifs, parce qu'ils semblent diminuer la grosseur d'un objet, pour le faire |12 paroître plus joli, ou l'augmenter pour le faire paroître plus difforme. ils produisent cet effet par la simple addition d'une syllabe. elle est douce ou rude, selon que la sensation qu'on veut exprimer, est agréable ou désagréable.

ces mots sont très communs dans les langues du midi, qui sont chantantes et remplies d'images; ils sont plus rares dans les langues du nord, qui sont plus philosophiques que pittoresques. on ne les y emploie que dans le stile familier et dans les poësies légères et badines.

on ne sauroit distinguer avec trop de soin, les diverses significations d'un même nom, ni faire trop d'efforts pour ramener à une même famille, tous les dérivés et tous les composés qui s'en sont formés; c'est le moyen de rendre moins pénible l'étude des langues et même de la rendre satisfaisante, en mettant sous les yeux la raison de chaque mot, avec ses différentes significations. alors nous ne sommes plus réduits à ne faire usage que de la mémoire; l'intelligence nous prête les plus grands secours.

cette distribution des mots, par familles, est d'autant plus nécessaire, que le nombre des radicaux est peu considérable, en comparaison de la masse prodigieuse des autres mots, qui forment un cahos effroyable quand on n'y met aucun ordre.

 

 

§ cinquieme.

Des genres.

 

les noms ne sont pas tellement invariables qu'ils ne prennent différentes formes, à raison de la nature des individus qu'ils désignent. deux genres partagent tous les êtres en deux grandes sections, à chacune desquelles on donne le nom de sexe. ce mot vient du latin secare qui signifie couper. l'une des sections est celle des mâles, et leur genre est appellé pour cela, le genre masculin; l'autre est celui des meres, des femelles, et est appellé, le genre féminin.

les choses qui ne sont pas engendrées n'appartiennent sans doute à aucune de ces deux classes, et ne de devroient être d'aucun genre, ou devroient du moins appartenir à un genre particulier: mais le caprice classa les choses, comme la raison avoit classé les êtres; et il y eut des choses mâles, comme il y eut des choses femelles. cette bizarrerie dont les langues anciennes nous ont donné l'exemple, a été bannie de la langue |13 anglaise, où tous les noms qui ne sont d'aucun des deux grands genres ont un genre particulier.

le caprice n'a pas même toujours respecté ce partage qu'avoit fait la raison entre les êtres vivans car on trouve les deux sexes d'une espece connue sous un seul genre: on dit constamment un livre, un renard, une mouche, sans avoir égard à la distinction des sexes.

on conçoit assez pourquoi les premiers hommes ont mis beaucoup de précision dans la distinction des deux genres, pour certains animaux, et pourquoi ils en ont mis si peu, pour quelques autres. il ont dû naturellement soigner davantage ce qui leur étoit plus utile, ce qui avoit plus de rapport avec eux.

la distinction des genres, même quand il s'agit des choses qui n'ont pas de sexe, compense par quelques avantages, la difficulté qu'elle présente dans l'étude des langues.

1º elle donne plus de chaleur et de vie au discours, en revêtant les mots d'un sexe et en les personnifiant. 2º elle répand sur la diction les charmes de la variété, d'où naissent les graces et l'harmonie du stile. 3º elle fait connoître les mots qui sont liés par quelque rapport, et contribue ainsi à la clarté du langage.

 

 

§ sixieme.

Des nombres.

 

le nom appellatif a cet avantage qu'on peut l'appliquer à un seul individu ou à plusieurs. s'il ne désigne qu'un individu, il est au nombre singulier: s'il en désigne plusieurs, il est au nombre pluriel.

cette distinction des noms en singulier et en pluriel est de toutes les langues parce qu'elle est donnée par la nature; mais chaque langue varie dans la maniere d'énoncer cette distinction: cependant elles le font toutes par le plus léger changement possible, et évitent ainsi une répétition fastidieuse.

admirons l'art avec lequel se forment les langues, et avec quelle simplicité elles parviennent à cette brièveté qu'exige la parole: une lettre ou un son de plus ou de moins, et le tableau change totalement.

le grec a un duel, c'est à dire une terminaison particuliere pour les noms qui expriment deux choses. l'hébreu en a aussi un, mais seulement pour les choses doubles, comme les yeux, les mains.

ces observations paroitront minutieuses à ceux qui n'ont jamais réfléchi |14 sur l'art avec lequel on est parvenu à parler: cependant elles sont indispensables, dès qu'on veut analyser cet art. on s'en apperçoit surtout quand on étudie des langues étrangères, où tous les procédés paroissent extraordinaires.

 

 

Chapitre second.

Du déterminatif.

 

le nom appellatif peut s'appliquer à tous les individus de l'espece, comme dans, les hommes; ou à une partie de ces individus, comme dans, des hommes; ou à un seul individu, comme dans, cet homme ou il peut être pris, abstraction faite de tout individu, comme dans, agir en homme, c'est à dire d'une maniere conforme à la nature humaine.

il faut donc qu'il y ait dans toutes les langues quelque mot, pour tirer le nom appellatif de cet état d'abstraction et pour déterminer l'étendue qu'il a dans la proposition; autrement il n'y auroit rien que de vague et d'indéterminé dans le discours. ce mot est le déterminatif ordinairement appellé article.

cette partie intéressante du discours a été si peu connue, si mal définie, que les grammairiens les plus célèbres ne sont nullement d'accord sur le nombre des articles: les uns n'en admettent qu'un, tandis que d'autres en admettent jusqu'à neuf especes différentes. le seul article sur lequel ils s'accordent tous, c'est l'indicatif le, la, les. ceux qu'on y ajoute, sont: trois universels, dont un collectif, tout; un distributif, chaque; un négatif, nul.

les suivans qu'ils appellent indéfinis, plusieurs, aucun, certain, quelque.

les numériques un, deux, trois, etc.

les possessifs, mon, ton, son, etc.

un démonstratif pur, ce, cette, ces.

un démonstratif conjonctif, qui, lequel etc.

il faut convenir que tous ces mots ont un grand rapport avec les déterminatifs, qu'ils en tiennent même lieu; et qu'on a raison de ne les regarder ni comme des pronoms ni comme des adjectifs.

il faut convenir encore que ceux qui ne voient dans la langue française que le mot le, pour tout déterminatif, en bornent trop le nombre, et donnent lieu à le faire retrancher du nombre des parties du discours; puisque ce le manque dans plusieurs langues.

|15 n'y a-t'il pas un milieu entre n'admettre qu'un déterminatif, ou étendre ce nom à une si grande quantité de mots?

du premier coup d'œil on apperçoit une différence frappante entre quelques uns de ces mots.

tous servent en effet à déterminer l'étendue des noms appellatifs; mais les uns ne remplissent que cette fonction; tandis que d'autres y joignent des idées accessoires: tels sont, mon, ton, notre, qui offrent l'idée de la personne à qui appartient l'objet.

ces mots sont elliptiques: ils ont été substitués à plusieurs autres, pour rendre le discours plus coulant, plus concis. mon livre, par exemple, se décompose par le livre de moi.

le conjonctif qui est aussi une formule abrégée: il tient lieu d'une conjonction, d'un article et d'un nom. quand nous disons: la personne qui vous déplaisoit est partie, cette phrase en constitue deux: c'est comme s'il y avoit, la personne est partie, et cette personne vous déplaisoit.

ces possessifs et ces conjonctifs ne jouent le rôle d'article, que parce qu'ils contiennent un article; mais comme ils contiennent autre chose, on ne peut les rapporter à aucune partie du discours: il faut les ranger dans la classe nombreuse des mots elliptiques.

d'après cela nous croyons qu'il n'y a que trois especes de déterminatifs proprement dits: le démonstratif, l'indicatif et l'énonciatif. appliquons les à un mot, pour en mieux sentir la différence. donnez moi ce livre; donnez moi le livre; donnez moi un livre.

par le démonstratif ce, je montre le livre; par l'indicatif le, je l'indique, sans le montrer, parce qu'il est assez connu; par l'énonciatif un, je ne le montre ni nel'indique, mais seulement je l'énonce comme individu.

c'est dans la classe des énonciatifs que l'on doit ranger les articles universels, indéfinis et numériques que nous avons déjà cités. ce sont de vrais déterminatifs, parce qu'ils déterminent avec plus ou moins de précision, l'étendue des noms appellatifs; mais ils sont de l'espece des énonciatifs, parce qu'ils ne font qu'énoncer les individus, sans les supposer connus ou présens.

de tous les déterminatifs, le plus usité et le plus important dans les langues modernes, c'est l'indicatif; il est surtout le déterminatif de la langue française: il ne sert pas seulement, comme plusieurs grammairiens le disent, à marquer le genre et le nombre du nom qu'il précède; il sert encore à tirer du milieu de son espece un individu, et à le désigner suffisamment. ainsi on dit en france: |16 la nation, la convention; on est sur d'être entendu. il est vrai que cet effet provient plutôt des circonstances que de la nature du déterminatif.

on doit même convenir avec Duclos qu'il y a beaucoup de bizarrerie dans l'emploi de ce déterminatif, et qu'il y a beaucoup de cas où il n'est que d'une nécessité d'usage. mais ce n'est pas une raison pour le déclarer, comme l'a fait un certain grammairien, un mot tout-à-fait inutile.

le n'est pas toujours déterminatif, il est souvent objet d'action, comme dans cet exemple: le livre n'est pas bon, je vous le rendrai. le dans cette phrase est de la classe des mots qu'on appelle pronoms. on ne peut pas dire que le est mis, par ellipse, pour le livre, car il s'agit de ce livre.

si le, quand il est objet d'action, n'étoit pas pronom, notre langue seroit privée d'un mot essentiel; on ne pourroit plus dire: il le flatte, comme on dit, il te flatte.

c'est la différence du service ou emploi des mots, dit le judicieux Dumarsais, et non la différence matérielle du son, qui les fait placer en différentes classes.

le déterminatif doit accompagner le nom, mais il n'est pas nécessaire qu'il le précède. c'est peut-être, parce que quelques peuples le mettent après, qu'on a prétendu qu'ils n'avoient pas d'articles. n'a-t'on pas aussi soutenu que les latins n'en avoient point? il est vrai qu'ils ne faisoient pas usage de l'article indicatif, parce que dans cette langue transpositive, il étoit facile d'y suppléer par le sens et la terminaison des noms; cependant ils avoient quatre articles différens: hic, ille, unus, is, le dernier désignoit surtout les personnes. ils faisoient un usage si fréquent de ille, illa, qu'il y a lieu de croire, dit Dumarsais, « que c'est de ces mots que viennent notre le et notre la. »

les déterminatifs produisent les meilleurs effets dans le discours: ils le rendent plus clair, plus varié et plus énergique. sans eux il est impossible d'exprimer toutes les vues de l'esprit, comme on le verra par différens exemples.

« il y a dans les livres latins, dit le grammairien déjà cité, bien des passages obscurs, qui ne sont tels que par le défaut d'articles. »

pour faire mieux sentir la nécessité du déterminatif, nous comparerons avec Court de Gebelin, le même morceau écrit d'abord sans article, et puis avec les articles.

 

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Chapitre 3eme.

Du qualificatif.

 

le nom présente l'objet; le qualificatif n'en présente qu'une qualité: le nom marche seul, sans avoir besoin de support; le qualificatif a besoin d'un nom qui le soutienne et avec lequel il présente un sens absolu.

il y a encore cette différence entre le nom et le qualificatif, que le nom ne convient qu'à un objet, ou du moins à des objets de la même espece; au lieu que le qualificatif peut s'associer à des objets ou à des noms de différente espece.

le qualificatif differe aussi du déterminatif, en ce que celui-ci n'affecte que l'étendue du nom; tandis que l'autre affecte sa compréhension: deux mots essentiels qu'il faut bien distinguer.

l'étendue d'un nom est le nombre d'individus auxquels il s'applique: sa compréhension est la réunion des propriétés de l'objet énoncé par le nom.

il est de la nature du qualificatif d'être subordonné au nom qui lui sert de soutien, et dont il exprime une maniere d'être: de là les regles de convenance dont nous parlerons dans la suite.

l'influence du nom est telle, qu'il peut quelque fois remplir la fonction du qualificatif, comme dans cet exemple: un philosophe magistrat. le mot magistrat devenu qualificatif par cette affirmation, reprend sa dignité de nom, dans cet autre exemple: un magistrat philosophe.

le qualificatif se divisent naturellement en qualificatif physique et en qualificatif métaphysique, selon que les objets qu'il modifie sont eux-mêmes physiques ou métaphysiques.

on peut considérer les qualificatifs sous un autre rapport: ou ils expriment une qualité inhérente à l'objet, sans nulle action reçue ou faite, et alors leur réunion aux noms forme la phrase seulement énonciative; telle est la suivante: la terre est ronde.

ou la qualité affirmée exprime une action, et alors c'est la phrase active, comme dans celle-ci: l'art surpassant la nature etc.

ou la qualité affirmée est l'effet d'une action, comme dans cet exemple: ce pere est aimé de ses enfans; et c'est une troisieme espece de phrase qu'on peut appeller énonciative passive.

ces trois sortes de qualificatifs servent à former trois phrases différentes, |18 précisément parce qu'ils sont eux-mêmes différens.

on pourroit regarder les qualificatifs comme des ellipses, car ils peignent moins la qualité elle-même, que l'état de l'être qui possede telle ou telle qualité. haut, savant, riche, n'expriment pas, à proprement parler, des qualités, mais ils présentent les êtres, comme possedant la hauteur, la science, les richesses. un homme prudent est un homme qui possede la qualité que nous appellons prudence.

il est cependant à remarquer que prudent n'est pas dérivé de prudence; on n'aura pas commencé par de telles abstractions: ce n'est pas là la marche naturelle; c'est de blanc qu'on a fait blancheur, d'élevé qu'on a fait élévation. ainsi prudent ne peut pas être une ellipse de prudence. on pourroit aussi à la rigueur se passer ordinairement des qualificatifs, et ne se servir que des abstractifs. au lieu de dire, ce mur est élevé, on peut dire, ce mur a de l'élévation. mais outre que cette phrase est postérieure à la premiere, si on vouloit toujours se servir des abstractifs, le discours deviendroit infiniment plus diffus, et parconséquent plus lache; il seroit d'une monotonie fatigante.

que deviendroit la poësie, si on lui ôtoit la magnificence qu'elle emprunte des qualificatifs, ou épithetes, mot grec qui signifie mis par dessus, parce qu'ils sont comme une vraie parure mise par dessus le nom, pour le rendre plus intéressant.

il faut donc conserver le qualificatif, mais ne point le prodiguer.

les qualificatifs, comme les autres mots, dérivent des noms; mais comment les mots qui désignoient des objets, ont-ils pu désigner aussi des qualités? on peut l'expliquer de cette maniere.

certaines qualités se trouvoient éminemment dans certains êtres de la nature, comme la fidélité dans le chien, la douceur dans l'agneau, la constance dans la tourterelle, la cruauté dans le tigre, la hauteur dans la montagne. rappeller ces objets, c'est rappeller les qualités qui leur conviennent si particulierement. les noms de ces objets durent être, suivant un grand étymologiste, des noms de qualités: ainsi homme montagne, signifie homme d'une grande taille; homme agneau signifie homme doux; femme tourterelle signifie femme constante dans son amitié; ainsi les qualificatifs furent dans les premiers temps des noms de substances.

mais comme il étoit incommode de faire marcher de front deux noms, |19 et qu'il étoit quelque fois difficile de saisir le vrai sens, on chercha sans doute à rémédier à cet inconvenient. on put s'aviser d'un moyen qui paroît bien simple: ce fut d'ajouter à la fin du nom une sillabe qui faisoit connoître que ce mot ne se prenoit plus comme nom, mais comme qualificatif.

dès lors au lieu de dire un lieu glace, on objet monstre, un jardin fleur, on dit un lieu glacé, un objet monstrueux, un jardin fleuri.

on conçoit qu'on a pu de cette maniere multiplier les qualificatifs, sans augmenter le nombre des noms primitifs.

ce seroit ici le lieu de parler des degrés de comparaison, mais nous en avons suffisamment parlé dans nos leçons élémentaires.

 

 

Chapitre quatrieme.

Du pronom.

 

les grammairiens n'ont pas été d'accord sur la nature du pronom: plusieurs l'ont confondu avec le nom; d'autres ont cru qu'on le mettoit à la place du nom, pour éviter des répétitions fastidieuses.

il étoit aisé de tomber dans ces erreurs quand on n'avoit pas d'idées nettes des parties du discours. on a pu confondre les pronoms avec les noms, parce qu'ils sont employés de la même maniere dans la proposition; et qu'employés comme sujets, ils obligent, ainsi que les noms, les autres parties du discours, à prendre leur livrée.

on aura cru aussi que les pronoms remplaçoient les noms, parce que ceux de la troisieme personne remplissent cette fonction.

malgré ces rapports des pronoms avec les noms, on ne peut cependant les confondre, à cause des différences essentielles qui se trouvent entr'eux. le nom indique par lui-même un objet; et il ne peut indiquer que des êtres de la même nature. le pronom n'est le signe d'aucun objet; il n'offre que l'idée des personnes. si on ne voyoit que ces mots, lui, vous, je, pourroit-on dire quels êtres on a voulu désigner par là? on sauroit bien que je indique un être qui parle; mais on ne sauroit pas quel il seroit.

le pronom convient tantôt à un être raisonnable, tantôt à un être inanimé, selon le rôle que les êtres jouent dans la proposition, et il ne sert jamais à exprimer que ce rôle.

le nom est le signe de l'objet; mais cet objet devient-il acteur dans le discours, est-ce lui qui parle, ou est-ce lui à qui on adresse la parole? ici les |20 noms sont [?nuls]: ils ne peuvent rendre l'idée exprimée par les pronoms, puisqu'on ne nomme que les objets absens, ou ceux qui ne prennent point part à la conversation. d'ailleurs la méthode de mettre le nom à la place du pronom, seroit tout à fait burlesque, comme on le verra par des exemples.

il faut donc des mots particuliers qui soient tels qu'à leur vue, on distingue la personne qui parle, de celle à qui on adresse la parole. ces mots ont été appellés jusqu'ici pronoms personnels: pronoms, parce que, disoit-on, ils remplaçoient le nom; et personnels, parce qu'ils indiquoient quel rôle jouoit l'acteur. de ce que nous avons dit, il résulte que cette définition n'est pas exacte. les pronoms ne servent qu'à désigner les personnes; on pourroit les appeller des personnificatifs.

 

 

Des différentes especes de pronoms.

 

un objet peut être successivement, ou le sujet qui agit dans une proposition, et qui annonce son action lui-même, et alors il est considéré comme premiere personne, et c'est le mot je ou nous qui exprime ce rôle; s'il est objet, on se sert alors de me ou de nous.

ou la parole lui est adressée, alors il est second acteur. c'est la seconde personne énoncée ainsi, tu pour le sujet d'action, te pour l'objet, et vous pour l'un et l'autre, quand il s'agit de deux acteurs, ou que l'acteur dont il s'agit n'est pas un ami intime.

ou on s'entretient de lui, comme absent; alors il n'est que troisieme acteur. c'est il, elle, pour le singulier, ils, elles pour le pluriel. l'objet de l'action dans ce cas est exprimé par le. quand c'est le sujet d'action qui agit sur lui-même, c'est se ou soi.

ce mot qui exprime la réflexion de l'action d'un sujet sur lui-même, est appellé pronom réfléchi; on l'appelle aussi réciproque, parce qu'il désigne l'action réciproque de plusieurs personnes, les unes envers les autres; comme dans cette phrase: ils s'aiment tendrement.

il auroit pu y avoir des pronoms réfléchis, pour les deux premieres personnes, puisque chacune d'elle peut agir sur elle-même. mais l'usage n'introduit guère de choses superfluesdans les langues, et ces deux pronoms réfléchis eussent été inutiles. car il n'y a que le sujet qui parle, qui soit de la premiere personne, et il n'y a que le sujet à qui l'on parle, qui soit de la seconde; ainsi il n'y a pas |21 d'équivoque à craindre. mais comme tous les objets dont on parle, sont de la troisieme personne, il y auroit des équivoques, s'il n'y avoit pas un pronom particulier qui marquât l'identité du sujet avec l'objet d'action; car il s'estime est bien différent de, il l'estime. aussi ce pronom a-t'il été adopté dans toutes les langues.

il n'en est pas de même du pronom direct, il, elle: les latins, par exemple, n'en avoient pas, ou du moins n'en faisoient guère usage. le pronom direct étant destiné particulierement à présenter le sujet comme troisieme personne, un mot exprès pour cet objet, seroit inutile dans une langue qui désigne toujours ce point de vue, sans équivoque, par les terminaisons de ses verbes.

on ne doit pas être surpris de la différence qui regne relativement au sexe, entre les pronoms des deux premieres personnes et ceux de la troisieme. il eût été inutile que la personne qui parle, eût indiqué son sexe, ainsi que de la personne à laquelle elle parle, puisqu'elles le savent toutes deux, au lieu qu'on peut l'ignorer relativement à une troisieme personne qu'on ne voit pas.

on demandera aussi peut-être pourquoi nous n'avons que les pour le pluriel, tandis que nous avons pour le singulier le et la? c'est que l'on ne connoît le pluriel que par le singulier, et le genre ayant été marqué au singulier, il est inutile de le prononcer si fortement au pluriel.

c'est ainsi que les choses qui, du premier coup d'œil, paroissent purement arbitraires, sont cependant fondées en raison.

beaucoup de mots n'ont été insérés que par méprise dans le catalogue des pronoms; tels sont les suivans: autrui, c'est à dire autre homme; quiconque, c'est à dire tout homme qui; on, c'est à dire homme; ceci, ou cette chose; quoi, ou quelle chose; rien, ou aucune chose.

tous ces mots, malgré les formes dont ils sont révêtus, sont de la même nature que les noms homme ou chose: ils sont nécessairement de la même classe, par là même que les uns se mettent pour les autres. car il n'y a que le pronom il, elle, etc., qui puisse représenter le nom; encore ne le peut-il, qu'autant que celui-ci a déjà paru sur la scene. c'est donc se faire une fausse idée des pronoms que de les prendre pour des mots qui se mettent à la place des vrais noms. si cela étoit, dit Dumarsais, »quand les latins disent Cérès pour le pain et Bacchus pour le vin, Cérès et Bacchus seroient des pronoms. »

 

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Chapitre 5eme.

Du verbe.

 

les élémens du discours que nous avons déjà trouvés, pouvoient suffire quand les hommes n'avoient que des idées détachées à exprimer, quand ils n'avoient aucune action à peindre, aucun évenement à raconter, aucun intérêt à tenir compte des époques. on pouvoit bien rapprocher des sujets les mots qui exprimoient les qualités actives; mais on ne savoit pas si ces qualités leur convenoient, au moment qu'on en parloit, si elles leur avoient déjà convenu, ou si elles ne devoient leur convenir que dans un temps qui n'étoit pas encore. qu'il étoit donc pauvre ce langage! qu'elle fut heureuse, cette précieuse invention d'un mot qui, sans rien peindre, aida tous les autres mots à tout peindre!

sa forme variant au gré du nombre des acteurs et du rôle que chacun jouoit, servit à faire connoître et le nombre des acteurs et le rôle de chacun.

il fit plus, entre tous les instans dont le temps se compose, il détermina celui où l'action s'étoit faite, se faisoit ou devoit se faire. /nous ne traiterons du temps que dans la seconde section./

faut-il s'étonner si de si grands services rendus à la communication de la pensée, lui firent donner le nom de mot par excellence.

mais nous oublions que c'est de sa nature dont nous devons ici particulierement nous occuper.

 

 

§ premier.

Qu'est-ce que le verbe?

 

énoncer l'existence d'un sujet sous un attribut, ou lier le nom d'un sujet au mot qui exprime sa qualité, telle est la fonction essentielle du verbe; et comme nous ne parlons que pour faire connoître aux autres ces liaisons, le verbe vient se mêler à tous nos discours, et former toutes nos propositions. il est l'ame de nos jugemens: c'est ce oui de l'esprit qui se montre au dehors, à la faveur du verbe. lors même que nous nions une qualité d'un sujet, le verbe nous est encore nécessaire, mais il est accompagné d'un autre mot qui détruit son effet, avant même qu'il soit produit.

essayez de retrancher le verbe du discours, il ne vous reste plus de propositions. vous n'avez que des idées détachées et décousues, telles qu'on en trouve dans le langage des enfans.

 

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§ second.

Combien y a-t'il d'especes de verbes?

 

il n'y a à proprement parler, qu'un seul verbe, qui est le verbe être. les autres ne le sont qu'en vertu de leur union avec lui. ainsi on ne doit pas plus les mettre au rang des verbes, qu'on ne doit mettre au rang des pronoms, tous les mots qu'on avoit confondus avec eux, que parce qu'ils s'étoient unis aux vrais pronoms, pour ne former qu'un seul tout, tels que mon, ton, notre.

les grammairiens n'ont été si embarrassés pour définir le verbe, que parce qu'ils avoient confondu avec lui des mots très différens, mais qui avoient réuni en eux toute sa valeur.

mais que sont donc, me dira-t'on, ces mots appellés jusqu'ici verbe, tels que parler, aimer? ce sont des ellipses, des mots composés de deux élémens, d'un qualificatif et du verbe. c'est dans la terminaison de ces mots composés que se trouve le verbe être, qui a été quelque fois altéré au point d'être méconnoissable: c'est de ces composés qu'est venue la dénomination des verbes adjectifs; de ces verbes qui rendent le discours plus concis, plus nerveux, moins monotone, en faisant disparoître des mots qui reviendroient continuellement, et dont la répétition trop fréquente allongeroit inutilement le discours.

 

 

Chapitre 6eme.

De la préposition.

 

la préposition est ainsi nommée, pour marquer qu'elle a un espece d'empire sur le mot qui la suit, et qu'elle doit être placée devant lui comme le préposé est placé devant ses subordonnés.

la fonction de la préposition est d'indiquer le rapport, la relation qu'il y a d'un objet à un autre, d'une qualité à un objet, d'une action à un terme. le mot rapport signifie proprement l'action de celui qui rapporte un objet à l'endroit d'où il l'avoit tiré.

un rapport dans le discours a à-peu-près le même sens. quand il manque un complément à l'idée précédente, il y a un rapport à faire. ce rapport est celui de l'idée complémentaire, et c'est à la préposition à indiquer ce rapport.

je dis à indiquer, et non à exprimer, comme le disent la plupart des |24 grammairiens; parce qu'il paroît évident que c'est l'ensemble des termes liés par la préposition, qui fait juger de l'espece du rapport; et que la préposition n'est entre les deux termes, que pour indiquer seulement qu'il y a un rapport. elle est, pour ainsi dire, entre les deux mots, comme une planche qu'on jette sur deux rives, et qui sert à passer de l'une à l'autre. dans cet exemple: la vertu est nécessaire à l'homme, supprimez la préposition à, il n'y a plus de liaison entre nécessaire et homme. de même si vous rétranchez l'homme, qui est le terme de la préposition, le rapport reste suspendu, indéterminé. mais disons nécessaire à l'homme, alors tout est complet, parce qu'on apperçoit le rapport d'un terme à l'autre. le premier terme commande au signe de rapport; le signe de rapport, à son tour, commande au second terme qui devient son complément.

nous prouverons par différens exemples que la préposition considérée seule, n'indique qu'un rapport vague; et que considérée dans la proposition, elle indique un rapport déterminé.

de là il résulte que la même préposition n'exprime point par elle-même différens rapports, et que le même rapport n'est pas exprimé par différentes prépositions, comme le prétendent presque tous les grammairiens.

il résulte aussi que la préposition est un élément simple et parconséquent qu'on a tort de mettre au rang des prépositions, des mots composés comme à l'égard de, à cause de etc. si on ne veut pas tout confondre, il faut toujours rappeller les expressions aux premiers élémens du discours.

on ne doit pas non plus classer parmi les prépositions, dedans, dehors, le long, dessus, arriere et autres mots semblables. ce sont des noms, ou plutôt des phrases elliptiques qui tiennent lieu de prépositions.

en effet soit qu'on les employe comme noms, ou comme adverbes, soit qu'on les fasse précéder ou suivre de quelque préposition, on ne peut se dissimuler qu'on ne sous entendedes mots entre lesquels ils faisoient la fonction de préposition. par exemple: le dehors d'un vase, est la portion de vase qui est hors de sa capacité.

enfin on peut conclure qu'il y a ellipse, toutes les fois qu'une |25 préposition est liée à une autre et semble la régir; que la préposition ne peut avoir pour complément qu'un nom, un pronom, ou l'infinitif d'un verbe; et que destinée à porter, en quelque sorte, une chose à un terme, elle ne peut jamais être séparée de ce terme qui lui sert de complément. ainsi on ne peut pas dire: je viens de, j'ai passé par.

qu'il est intéressant cet élément de la parole, quand on considère tous les services qu'il rend. sans lui, on peut bien annoncer une action; mais quand on veut faire connoître la maniere dont cette action a été faite, le lieu où elle a été faite, le temps qu'on a employé à la faire, la préposition devient nécessaire au point que rien ne peut la suppléer. sans rien peindre, elle vivifie tout le discours.

c'est surtout dans la langue française que la préposition est d'une grande ressource; on en use avec une sorte de profusion, tous les français aiment à ne rien laisser de brusque dans le tableau de la pensée. cependant on supprime quelque fois la préposition, quand elle doit avoir un pronom pour complément.

nous ne donnons pas ici le tableau de nos prépositions; c'est l'objet de la grammaire française. nous remarquerons seulement qu'il doit y en avoir autant d'especes différentes, qu'il y a de rapports divers entre les objets dans le discours.

le premier emploi des prépositions a été d'indiquer des rapports entre les objets sensibles; bientôt elles en auront sans doute indiqué entre les êtres abstraits. en effet, on dit du vice à la vertu, comme de la ville à la campagne.

mais les prépositions ne sont pas seulement des signes de rapports, elles servent encore à multiplier, à diversifier la valeur des mots, en s'associant à eux. à la faveur de ces prépositions, le même mot exprime les différentes nuances d'une idée, et plus souvent encore des idées opposées. tous les peuples ont eu recours à ce moyen ingénieux de multiplier leurs expressions, sans multiplier les racines primitives; mais chacun s'en est servi avec plus ou moins de succès. la langue française, quoique très timide, et empruntant de l'étranger ses prépositions initiales, en a cependant tiré un grand parti. prenons pour exemple le verbe mettre. l'adjonction des prépositions nous a donné les onze mots suivans: admettre, commettre, démettre, omettre, permettre, promettre, remettre, |26 soumettre, transmettre, s'entremettre, émettre.

si on ajoutoit à cette liste, les noms qui se sont formés de la réunion des prépositions avec le même radical, tels que commis, commissaire, com-missionnaire, di-missoire, etc. elle deviendroit bien plus longue.

quelque fois même on réunit deux prépositions, pour former de nouveaux mots. c'est ainsi que nous disons en français, redevenir, recomposer.

la connoissance des prépositions initiales sert beaucoup à découvrir le véritable sens des mots, et à les classer tous par familles.

 

 

Chapitre 7eme.

De l'adverbe.

 

on ne peut guère s'occuper de la préposition, sans penser à l'adverbe, qui équivaut à la préposition réunie à son complément.

sagement, par exemple, signifie, avec sagesse, ou plutôt avec un esprit sage. car ment est un mot dérivé de mens, qui signifie, esprit, raison. les italiens ont conservé le mot latin , dans la terminaison de leurs adverbes qui sont composés de deux mots très distincts: de mente et d'un qualificatif dont ce nom est le support. ils disent veramente, comme nous disons vraiment; et notre ment a la même signification que leur mente. comme eux, nous le faisons servir, par analogie, de support aux qualités physiques ainsi qu'aux qualités intellectuelles; comme eux, nous supposons la préposition qui est sous entendue devant ment, comme devant mente.

l'adverbe n'est donc pas, à proprement parler, un élément de plus dans le langage; c'est seulement la réunion de plusieurs mots en un seul.

si l'adverbe peut être suppléé par une préposition et un nom abstractif, l'adverbe, à son tour, supplée la préposition et son complément.

il étoit donc inutile, dira-t'on, d'inventer ce mot.

1º la préposition et son complément ne peuvent pas toujours être remplacés par l'adverbe. c'est ce qui arrive, quand la préposition désigne le rapport d'un objet avec un objet. ainsi aucun adverbe ne peut remplacer la forme suivante: je me suis défendu |27 avec mon épée.

pour que la substitution de l'adverbe puisse avoir lieu, il faut que le rapport à indiquer, soit entre un objet et une qualité.

2º l'adverbe rend le stile plus vif: il fait perdre au discours la monotonie qui y regneroit par un usage trop fréquent des prépositions et par la répétition des mêmes formules.

3º on ne dit pas indifféremment se conduire sagement, ou avec sagesse. l'adverbe exprime mieux l'habitude de la qualité: la préposition et son complément s'emploient mieux, quand il s'agit d'un seul acte. ainsi on doit dire: cet homme se conduit sagement; mais dans cette circonstance, il n'a pas agi avec sagesse.

l'adverbe ne peut donc pas toujours être remplacé convenablement par la préposition avec son complément, quoiqu'il soit vrai qu'il ont toujours une sorte d'ellipse, où l'on n'apperçoit quelque fois que le nom tout seul; quelque fois l'adjectif avec le support ment que nous venons d'expliquer; quelque fois le nom et l'adjectif réunis. voici deux exemples de ces trois cas: écrire mal, écrire obligeamment, écrire longtemps.

mal est un nom qui est devenu adverbe, en se dépouillant de tout ce qui accompagne ordinairement les noms; il est adverbe, parce qu'il modifie une maniere d'être et que la nature des mots ne dépend pas de leur forme, mais de leur signification, qui dépend du rôle qu'ils jouent.

obligeamment est un adverbe formé d'un adjectif qui s'est chargé d'une terminaison qui tient lieu d'un nom supprimé.

longtemps est la réunion d'un nom et d'un adjectif.

l'analyse de quelques adverbes français, nous fournira des ellipses de différentes especes.

selon presque tous les grammairiens, l'adverbe est ainsi nommé, parce qu'il est ordinairement auprès du verbe, et qu'il en modifie la signification.

on doit remarquer qu'ordinairement il ne modifie pas le verbe, mais seulement la qualité réunie au verbe; qu'il ne modifie que ce qui est susceptible de différens degrés, tels que les qualificatifs; et que sa dénomination n'est juste qu'autant que le mot latin verbum sera pris dans son sens propre, qu'autant qu'il signifie mot et non pas verbe.

il y a la plus grande analogie entre l'adverbe et la préposition, ce sont deux especes qui appartiennent au même genre. tous deux indiquent |28 des rapports généraux, avec indétermination du premier terme. la différence consiste en ce que les prépositions ne déterminent pas le second terme et que les adverbes le déterminent.

il en est de la préposition et de l'adverbe, comme du verbe proprement dit, et du verbe adjectif, dont le premier fait abstraction de tout attribut, tandis que le second renferme expressément l'idée d'un attribut déterminé.

de même donc que le verbe joint à un attribut déterminé, quoiqu'exprimé séparément, équivaut à un verbe adjectif; de même aussi une locution qui renferme une préposition avec son complément, équivaut à un adverbe. d'où il suit que tout mot qui peut être rendu par une préposition, et un nom, est un adverbe; et qu'un mot qui ne peut être remplacé par une préposition et un nom, ne peut être rangé dans cette classe.

ainsi les mots oui et non, ne sont pas des adverbes, car ils ne peuvent jamais être réduits à une préposition et à son complément; mais ce sont des mots elliptiques qui tiennent lieu d'une phrase entiere. nous l'expliquerons de vive voix.

il n'y a peut-être pas d'article qui ait été plus mal expliqué que celui de l'adverbe. on a tout confondu, les adverbes, les conjonctions, les prépositions et les phrases adverbiales.

de véritables noms tels que hier, aujourd'hui, demain, etc. ont été pris pour des adverbes, et la preuve qu'ils ne le sont pas, c'est qu'ils sont tantôt sujets des verbes, tantôt objets d'action, tantôt complémens des prépositions. ce qui a induit en erreur plusieurs grammairiens, c'est qui arrive souvent que la préposition dont ces mots sont le complément est sous entendu, et cette sous entente leur donne un air adverbial.

si l'on confond les noms avec les adverbes, on ne confond pas moins les adverbes avec les pronoms: y et en en sont la preuve.

voici des adverbes transformés aussi mal à propos en conjonctions: ainsi, afin, aussi, etc.; tout mot qui peut avoir pour synonyme, un membre de phrase exprimé par une préposition et son complément, est un véritable adverbe. d'après ce principe dont l'application est très facile, les mots afin, ainsi, etc., seront des adverbes et non des conjonctions.

nous terminerons en observant qu'il peut y avoir autant d'especes d'adverbes, qu'il y a d'especes de manieres d'être qui peuvent être |29 énoncées par une préposition et son complément.

Beausée remarque avec raison qu'il se trouve dans une langue des adverbes qui n'ont dans une autre, aucun équivalent sous la même forme, mais qui s'y rendent par une préposition avec son complément.

 

 

Chapitre 8eme.

De la conjonction.

 

les mots déjà trouvés suffisent pour constituer la phrase. mais s'il s'agit d'unir une phrase à une autre, de former un seul tout de plusieurs propositions, de nouveaux mots sont nécessaires.

ces mots lians ont été appellés conjonctions. il étoit difficile de leur donner une dénomination plus caractéristique.

c'est ici le lieu de bien distinguer les différentes liaisons qu'on apperçoit dans le discours.

les voyelles lient les consonnes; de ce lien résulte le mot: le verbe sert à lier la qualité et le sujet; de cette liaison résulte la phrase simple: la préposition lie les mots qui ont des rapports entr'eux; de cette liaison résulte la phrase avec ses complémens: la conjonction lie les phrases entr'elles; de ce lieu résulte la période.

quelques conjonctions semblent au premier coup d'œil, ne servir qu'à lier un mot à un autre; ce qui arrive surtout, quand divers attributs sont énoncés du même sujet, où que le même attribut est énoncé de différens sujets. mais un peu plus d'attention suffit pour faire trouver dans ces sortes de phrases, deux propositions bien distinctes. ainsi toute conjonction suppose deux propositions; elle rappelle ce qu'il seroit trop long de répéter. pour faire sentir l'importance des services qu'elle rend, nous supprimerons dans quelque morceau bien écrit les différentes conjonctions, et nous mettrons à leur place tous les mots dont elles tiennent lieu.

accoutumés dès l'enfance à lier nos idées par le moyen des conjonctions, nous soupçonnons à peine qu'on ait pu parler autrement; mais quand on veut remonter à la formation du langage, on est étonné et des difficultés qu'on a eues à vaincre et des succès qu'on a obtenus. presque tous les grammairiens admettent un grand nombre de conjonctions, mais ils rangent dans cette classe beaucoup d'adverbes et de phrases |30 conjonctives. nous croyons avec Court de Gebelin, qu'il n'y a que quatre conjonctions proprement dites, c'est-à-dire qui servent uniquement à marquer la liaison des propositions, sans aucune idée accessoire. ces conjonctions sont et, ni, ou et que.

on se sert de la conjonctions et, quand les deux propositions liées sont affirmatives; on se sert de ni, quand les deux sont négatives; enfin on emploie ou, quand elles affirment séparément, en sorte que des deux une seule puisse être vraie.

que est la conjonction par excellence: elle est d'une ressource infinie dans le discours.

on distingue ordinairement plusieurs sortes de que; mais toutes rentrent dans une: le que est toujours conjonctif; différens exemples le prouveront.

il y a des propositions unies qui présentent une opposition, et alors des conjonctions d'une certaine espece, expriment cette opposition; on les appelle adversatives. « vous êtes heureux, mais les pauvres, vos freres souffrent. »

de deux propositions unies, quelque fois l'une explique ou développe l'autre. alors les conjonctions sont explicatives. « la terre est divisée en quatre parties, savoir, l'europe, l'asie, l'afrique et l'amérique. » « des propositions liées présentent une relation à une même époque. les conjonctions qui lient ces propositions sont périodiques. « faites le bien quand vous le pourrez. »

les conjonctions sont hypothétiques, quand la liaison est fondée sur une supposition. « préparez vous à la guerre, si vous voulez avoir la paix. »

quand on veut tirer une conséquence d'un principe, la conjonction qui unit les deux propositions est appellée conclusive. « vous êtes homme, donc vous êtes sujet à l'erreur. »

on appelle la conjonction causative, quand de deux propositions qui forment la phrase, l'une est la cause de l'autre. « on estime les gens instruits, parce qu'ils sont souvent utiles. »

la conjonction est transitive, quand elle marque un passage, une transition d'une chose à une autre. « du terrein et de l'argent suffisent pour bâtir: or vous avez l'un et l'autre. »

la conjonction enfin est déterminative, quand entre deux propositions, |31 elle désigne une liaison fondée sur ce que la derniere complete ou détermine le sens de la premiere. « il est important que les juges soient instruits. »

on convient généralement qu'on ne doit pas regarder comme de vraies conjonctions les locutions composées de plusieurs mots, telles que c'est-à-dire, pourvu que, par conséquent, d'ailleurs, etc.

quelques uns prétendent que ces mots, afin, enfin, ainsi, aussi, etc. sont des conjonctions, attendu qu'ils sont simples; mais outre que ce sont des adverbes, comme nous l'avons déjà vu, ils ne sont conjonctifs, qu'autant qu'ils sont accompagnés de la conjonction que.

nous ferons même voir par des détails dont ces cahiers ne sont pas susceptibles, que ces mots si, car, or, etc. n'ont de force conjonctive, qu'autant qu'ils contiennent implicitement cette même conjonction que.

en un mot les expressions qui ajoutent quelque idée accessoire à l'idée de liaison, ne peuvent être, seroient-elles simples, que des conjonctions elliptiques. la simplicité de ces expressions ne prouveroit que la hardiesse de l'ellipse. c'est donc par la signification et non par la simplicité du mot, qu'il faut juger s'il doit être mis au rang des conjonctions proprement dites. d'où il suit que ceux qui regardent le mot latin ut, comme une conjonction tandis qu'ils refusent ce nom à notre afin que, se font illusion. ils ne prennent pas garde que cet ut, étant accompagné du subjonctif, marche toujours avec la conjonction que, puisque celle-ci n'est pas supprimée, que parce qu'elle est représentée constamment en latin par la terminaison du subjonctif; au lieu que dans notre langue, rien ne peut la représenter.

 

 

Chapitre 9eme.

De l'interjection.

 

cet élément de la parole differe tellement de tous les autres, qu'on a été souvent tenté de l'exclure de leur nombre. cependant il vient naturellement se placer dans le discours; il y produit de grands effets, et ne peut être remplacé par aucune autre espece de mots. le grammairien ne sauroit donc lui refuser une place dans ses divisions grammaticales.

l'étymologiste commence par les interjections, parce qu'il y trouve l'origine des mots dont il cherche la filiation. mais comme elles n'influent sur aucune partie du discours et qu'elles paroissent toujours étrangeres à leur égard, elles ne doivent s'offrir que les dernieres |32 à l'examen du grammairien.

l'interjection exprime les élans d'une ame vivement agitée: c'est une sorte de cri involontaire.

il faut donc distinguer des expressions de deux especes différentes: les unes sont les signes naturels des sentimens; les autres sont les signes artificiels des idées: celles-là constituent le langage du cœur, elles sont affectives; celles-ci forment le langage de l'esprit, elles sont discursives.

il y a encore une autre différence entr'elles. les dernieres excitent dans l'esprit de ceux à qui on parle les idées dont elles sont les signes; mais les premieres ne font point passer dans leur ame, les sentimens qu'elles indiquent: elles leur en présentent seulement une idée plus ou moins vive.

effet admirable de la nature qui par ces divers moyens, pourvoit aux besoins et à l'instruction de tous! par l'interjection, nos sensations se communiquent à nos semblables, dans le degré nécessaire pour les porter à y prendre part; mais non au point de les affecter aussi vivement, surtout quand il s'agit de sensations douloureuses.

les interjections sont en très petit nombre dans toutes les langues, et ne doivent paroître que rarement dans le discours; mais nous ne disons pas pour cela avec [?Meynier], qu'elles ne méritent pas d'être comptées parmi les élémens de la parole. les lois de la division n'ont jamais demandé ni proportion, ni symmétrie; elles ne demandent que des caracteres distinctifs.

les mots affectifs sont presque tous des monosyllabes, où l'h aspirée joue un grand rôle. quoique peu variés par le son, ils se multiplient beaucoup par le ton qu'on leur donne, par le plus ou le moins de force avec laquelle on les prononce. suggérés par la nature et tenant à la constitution de l'organe, ils sont de tous les temps et de tous les lieux: ils forment un langage universel qui n'exige aucune étude. de là l'inutilité d'en préparer l'usage par aucun art, puisqu'on est sur d'être bien dirigé par la nature.

quelques auteurs ont donné aux interjections le nom de particules; mais ce mot qui signifie petite partie, ne présente ici aucune idée distincte: aussi a-t'il été pris dans diverses acceptions. on diroit qu'il n'a été inventé que pour se dispenser de donner des définitions claires et exactes.

 

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Section 2eme.

Des diverses formes que les mots peuvent prendre.

 

nous n'avons considéré jusqu'ici les élémens de la parole qu'en eux-mêmes: nous devons actuellement les rapprocher les uns des autres, et chercher les différentes formes qu'ils peuvent prendre, afin de pouvoir s'unir entr'eux. nous ferons plus: nous chercherons la raison de ces changemens. autrefois on s'occupoit plus de la connoissance de ces variétés que de leurs causes; n'en soyons pas surpris: il est plus facile d'appercevoir un phénomene, que d'en découvrir la raison.

si les mots n'avoient qu'une seule fonction à remplir dans le discours, ils n'auroient jamais besoin d'aucune modification; ils seroient tous indéclinables. mais si quelqu'un d'eux est chargé de diverses fonctions, il faudra nécessairement qu'il prenne différentes formes.

il suffira de jetter un coup d'œil sur les définitions des parties du discours, pour appercevoir aussitôt celles qui sont susceptibles de changemens et celles qui ne le sont pas.

l'adverbe qui se borne à désigner le degré de la qualité; la préposition qui indique un simple rapport entre deux mots; la conjonction qu'on n'emploie que pour lier les phrases, et l'interjection qui indique un sentiment de l'ame, doivent être invariables dans leurs formes, et nous n'avons plus rien à en dire.

il n'en est pas de même des autres parties du discours. obligées de jouer différens rôles, elles ne peuvent y parvenir, qu'en prenant chaque fois une forme nouvelle.

le nom appellatif indique tous les objets de la même espece; mais ces objets peuvent être pris un à un, ou plusieurs ensemble: il faudra donc que ce nom varie, suivant qu'il indique un ou plusieurs individus.

le pronom, étant dans le même cas, éprouvera les mêmes modifications; il devra en être de même des mots qui leur sont assujétis, tels que le déterminatif, le qualificatif et le participe.

les noms varieront encore, suivant qu'ils peindront les genres des objets qu'ils désignent.

les pronoms varieront aussi, suivant le genre des personnes, et suivant que leur état sera actif ou passif.

|34 le verbe désignant le temps de nos actions, temps qui varie sans cesse, et qui se subdivise en une multitude de portions, sera obligé, pour peindre ces variétés de revêtir lui-même une multitude de formes diverses.

la déclinaison et la conjugaison renfermeront donc un grand nombre de modifications différentes, qui toutes auront été inventées pour peindre nos idées d'une maniere conforme à la nature. les langues auront varié dans l'expression de ces changemens, mais le fond sera à-peu-près le même partout.

la premiere de toutes les modifications sera celle que prendra un nom pour désigner le genre de l'objet.

la seconde sera celle que reçoit un mot, relativement au nombre d'individus qu'il désigne.

les modifications que reçoivent les pronoms, suivant qu'ils sont actifs ou passifs, forment une troisieme classe qu'on nomme cas.

les deux premieres de ces modifications appartiennent à toutes les especes de mots déclinables: la troisieme n'appartient dans la langue française qu'au pronom; mais dans plusieurs langues elle s'étend à tous les autres mots qui se déclinent.

ces trois especes de modifications, genres, nombres, cas, constituent ce qu'on appelle déclinaison.

les mots qui se conjuguent, reçoivent, comme les précédens, la modification des nombres, parce qu'ils s'associent aux pronoms; mais ils ont leurs modifications propres, qu'on appelle temps et modes.

ainsi c'est à la déclinaison et à la conjugaison que se rapporte tout ce que nous avons à dire dans cette seconde section.

 

 

Chapitre 1er.

De la déclinaison.

 

comme nous avons déjà parlé des nombres et des genres, en traitant du nom, il nous reste peu de choses à dire sur ces deux articles.

les nombres sont les différentes terminaisons qu'éprouve un mot, selon qu'il désigne un ou plusieurs individus.

les genres sont les différentes modifications que les noms reçoivent, suivant qu'ils désignent des être masculins ou féminins.

|35 la distinction des genres se désigne en français de trois manieres: par une terminaison différente, comme un fils, une fille; par des terminaisons affectées à chaque genre, comme chapeau, dont la terminaison est masculine, et abeille, dont la terminaison est féminine; et par l'article qui varie, selon qu'il est joint à un nom masculin ou féminin.

dans les langues grecque et latine il y avoit trois articles différens à raison des trois genres. ces articles, selon Court de Gebelin, au lieu de précéder les noms, comme en français, leur servoient de terminaison; de sorte que les noms se trouvoient terminés, conformément au genre dont ils étoient. il faut cependant convenir que cette regle étoit sujette à bien des exceptions.

les pronoms de la troisieme personne ont aussi des genres; ils en ont même dans des langues qui n'en reconnoissent pas à l'égard des noms: tel est l'anglais.

les cas sont les changemens que les noms éprouvent indépendamment du genre et du nombre. ces changemens se trouvent à la chûte des mots. de là on les appelle cas, de casus, qui signifie chûte. dire toutes ces terminaisons dans un certain ordre, s'appelle décliner, parce qu'on descend, on décline de la premiere jusqu'à la derniere.

c'est la nature elle-même qui conduisit à la formation des cas. le pronom qui désignoit une personne active, ne devoit pas la désigner comme passive: il fallut varier le pronom, suivant qu'il remplissoit l'une ou l'autre fonction; de là je et me, tu et te.

dès qu'on eut des cas aux pronoms, il n'y eut plus qu'un pas à faire, pour les étendre aux noms: on varia la terminaison de ceux-ci, suivant le rôle qu'ils jouoient. les déterminatifs et les qualificatifs, se rapportant aux noms et aux pronoms, subirent des changemens analogues à ceux de leurs supports.

cette invention des cas fut un trait de génie, auquel durent toute leur énergie ces langues qu'on admire avec raison, et qu'on néglige tant depuis quelques années. par le moyen de ces terminaisons, elles expriment toutes ces idées accessoires que nous ne pouvons rendre, qu'en multipliant les articles et les prépositions.

dès lors on put varier à son gré la place des mots, sans craindre la confusion. la terminaison, la physionomie de chacun rendoit |36 toute méprise impossible. aussi quelle variété, quelle harmonie dans les langues grecque et latine! là une phrase, composée des mêmes élémens, paroît sous différentes formes plus agréables les unes que les autres. quelle monotonie au contraire dans les langues modernes, où les mots conservent toujours et la même forme et la même place!

qu'on juge des grands effets qui devoient résulter chez les anciens de la liberté indéfinie de varier la place des mots, par les beautés qui résultent du peu de liberté dont jouissent à cet égard les poëtes français!

 

 

Du nombre des cas et de leurs noms.

 

l'italien, l'espagnol, le portugais, le français, l'anglais, etc. n'ont point de cas pour les noms: c'est par les prépositions et la construction qu'ils parviennent à exprimer les différens rapports des objets. le péruvien au contraire n'a pas de prépositions: il y supplée par le grand nombre de ses cas. entre ces deux extrêmes, il y a beaucoup d'intermédiaires: l'allemand admet quatre cas; le grec cinq; le latin six; les langues du malabar, huit; l'armenien, dix; le lapon, quatorze.

le langues qui ont peu de cas trouvent les moyens de faire servir le même à différens usages. les pronoms français, par exemple, n'ont que trois terminaisons différentes: je, me, moi: et cependant ils remplissent six fonctions très distinctes, comme nous le verrons ci-après.

les latins, dont les déclinaisons passent pour les plus parfaites, avoient: 1° un cas actif, pour exprimer le sujet agissant;

2° un cas passif, pour exprimer l'objet recevant;

3° un cas déterminatif, pour restreindre l'étendue d'un mot;

4° un cas interjectif, pour appeller;

5° un cas terminatif, pour indiquer le terme de l'action;

6° un cas relatif, pour exprimer, à l'aide des prépositions, différens rapports.

tu est notre cas actif, te le cas passif, toi le cas interjectif. le cas passif est aussi quelque fois terminatif, selon le verbe qui le suit. le cas interjectif toi devient aussi passif, termi-|37-natif, relatif, et déterminatif, suivant les mots qui le précédent ou qui le suivent.

les cas que nous venons d'indiquer ou leurs équivalents, doivent se trouver dans toutes les langues; car toutes ont pour objet d'exprimer les jugemens de notre esprit. or dans la plupart de nos jugemens, il y a un sujet agissant et un objet recevant: voilà déjà deux cas, l'actif et le passif. dans presque tous, cette action a un terme: voilà le cas terminatif. souvent un mot est déterminé par celui qui le suit: il faut un cas de plus pour ce second mot, c'est le déterminatif. quelque fois on adresse la parole à un individu, c'est le cas interjectif. il est rare que l'on ne dise pas de quelle maniere une chose s'est passée: alors le cas relatif devient nécessaire.

les anciens noms des cas étoient empruntés du latin: aussi ont-ils un air étranger et propre à rebuter les commençans, quand on n'a pas soin de les expliquer.

le cas que nous avons nommé actif, les latins l'appelloient nominatif, parce qu'il servoit seulement à nommer l'objet. le cas que nous avons nommé passif, étoit appellé accusatif, parce qu'il accusoit ou montroit l'objet de l'action. notre cas terminatif, ou attributif étoit leur datif, ainsi appellé, parce qu'il indiquoit celui à qui on donnoit. notre cas interjectif étoit leur vocatif, ainsi nommé, parce qu'il servoit à appeller. le cas relatif étoit leur ablatif, mot tiré du latin ablatus, qui signifie enlevé: on l'appelloit ainsi, soit parce qu'il avoit été enlevé au datif grec dont on fit deux cas; soit plutôt parce qu'il indiquoit les moyens d'enlever les choses. le cas déterminatif étoit leur génitif, qu'ils nommoient ainsi, non parce qu'il servoit à la génération des autres cas, comme plusieurs l'ont prétendu, mais parce qu'il servoit à faire connoître le sujet générateur, comme dans cet exemple, le fils D'Anchise.

Priscien remarque avec raison que certains cas avoient plusieurs usages; et que les dénominations de ces cas se tiroient de l'usage le plus connu et le plus fréquent.

on doit aussi remarquer que des cas qui ont le même nom dans différentes langues, n'ont pas pour cela la même valeur: le datif |38 grec, par exemple, répond plus exactement à l'ablatif latin qu'au datif même, malgré l'identité des dénominations.

six cas ne suffisent pas dans les langues qui n'ont pas de prépositions; mais ils sont très suffisans dans celles qui en ont un certain nombre.

on croit communément que les cas dépendent des prépositions, qu'ils en sont le régime et l'effet naturel; c'est une erreur. les cas sont déterminés par la nature même du langage. les prépositions, au lieu de les déterminer, ont été obligées de se joindre à ceux avec lesquels elles avoient le plus d'analogie. de là on voit la même préposition in tantôt avec l'accusatif, tantôt avec l'ablatif, selon que le verbe annonce du mouvement ou du repos. /note en marge: la plupart de mes éleves n'ayant aucune teinture du latin, je n'ai pu m'étendre beaucoup sur les déclinaisons./

 

 

Chapitre 2eme.

De la conjugaison.

 

conjuguer vient du latin conjugare qui signifie mettre sous le même joug. en effet conjuguer, c'est ranger toutes les terminaisons d'un verbe dans une seule liste, c'est comme les assujétir à un même joug.

dans toutes les langues il y a des verbes qui se conjuguent de la même maniere, tandis que plusieurs autres se conjuguent d'une autre façon. les grammairiens en ont fait différentes classes, qu'ils appellent conjugaisons. elles sont plus ou moins nombreuses dans les différentes langues. en français on en distingue ordinairement quatre, qu'on est obligé de subdiviser en plusieurs autres. si des philosophes avoient présidé à la formation des langues, les conjugaisons auroient été plus uniformes: il n'y en auroit eu probablement qu'une seule pour tous les verbes de chaque langue; c'est alors qu'ils eussent été véritablement assujétis à un même joug.

la conjugaison qui est la réunion de toutes les terminaisons d'un verbe ne peut manquer de présenter les idées de nombres, de personnes, de temps et de modes.

nous avons déjà parlé des nombres; nous ajouterons seulement que dans les langues qui ont un duel, ce duel a lieu pour les pronoms comme pour les noms, et que par conséquent dans ces langues il y a plus de six terminaisons à chaque temps du verbe.

|39 nous avons aussi parlé des personnes, en traitant du pronom; mais nous observerons que l'on entend ici par personnes, les différentes terminaisons que les verbes prennent à raison de la diversité des acteurs.

 

 

§ premier.

Du temps.

 

le temps est l'existence successive des êtres; mais pour la mesurer, cette existence, il faut pour ainsi dire la fixer, et pour cela nous établissons des points caractérisés par quelque fait particulier. on donne à ces points le nom d'époque; d'un mot grec qui signifie arrêter; parce que ce sont des instans dont on arrête, en quelque façon, la rapidité, pour en faire comme des lieux de repos, d'où l'on observe ce qui coexiste, ce qui précéde et ce qui suit.

mais dans cette suite infinie d'instans qui se succedent rapidement, auquel doit-on principalement s'arrêter? comme il paroît naturel que le géographe se détermine pour le méridien du lieu où il opère, il paroît aussi plus raisonnable que le grammairien se fixe à l'instant même de l'action de la parole. c'est en effet celui qui dans toutes les langues sert de dernier terme à toutes les relations d'existence.

on appelle période une portion de temps dont le commencement et la fin sont déterminés par des époques. époque, moment déterminé dans le temps; période, espace de temps déterminé: mots essentiels que l'on doit distinguer avec soin.

les temps dans le verbe sont les différentes formes qu'on lui fait prendre, pour ajouter à sa signification principale, l'idée accessoire d'un rapport d'existence à une époque. ils ont été inventés pour peindre l'ordre dans lequel les actions et les évenemens se succedent.

toutes les langues n'ont pas la même quantité de temps: les langues anciennes ont plus de temps simples que les modernes; celles-ci en ont plus de composés. beaucoup de personnes croient que les temps formés de plusieurs mots sont une imperfection dans nos langues, et qu'il seroit à désirer que tous nos temps fussent formés de la racine du verbe, avec quelque légere modification. il est certain qu'on y gagneroit du côté de la brièveté; mais on y perdroit beaucoup à d'autres égards.

si l'on vouloit exprimer de cette maniere tous les temps possibles d'un verbe, l'étude en deviendroit très pénible, par la difficulté de distinguer |40 exactement, dans une liste aussi longue, le sens de chaque terminaison. il paroît plus aisé de les saisir, lorsqu'ils sont exprimés par la réunion de plusieurs mots. de plus un pareil usage rendroit les langues trop monotones.

on ne doit pas être surpris que les langues different beaucoup dans le nombre de leurs temps, soit simples, soit composés.

il n'y a que trois temps généraux: le passé, le présent et le futur. mais le passé peut être plus ou moins éloigné, le futur plus ou moins prochain. il y a des intermédiaires au moyen desquels ces trois temps se rapprochent plus ou moins les uns des autres. dans certaines langues on s'est attaché à rendre toutes ces nuances; dans d'autres on s'est contenté d'exprimer les plus sensibles, les plus importantes.

c'est ainsi que nous distinguons avec soin une même action considérée comme se faisant dans un temps très peu éloigné, ou dans un temps plus éloigné, ou comme faite dans un temps passé purement et simplement: qu'au premier sens, nous disons, je faisois; au second, je fis; au troisieme, j'ai fait: tandis que les latins confondent ces deux dernieres formules en une seule, et que les allemands et les anglais confondent les deux premieres.

les différentes langues s'accordent à admettre plus de temps passés que de futurs; sans doute parce qu'on raconte plus qu'on ne prévoit, et qu'il est plus aisé de distinguer les temps écoulés, que ceux qui ne sont pas encore.

l'habitude de n'étudier le français que pour apprendre le latin, engagea la plupart des grammairiens à calquer les principes de la langue française sur ceux de la langue latine; de là l'introduction bizarre des déclinaisons dans une langue qui n'avoit point de cas, et les quatre conjugaisons en français, parce qu'en latin il y en avoit quatre; de là les temps, parfait, plus que parfait, gérondif, etc., parce que c'étoient les dénominations usitées chez les latins. en vain s'étoit-il glissé dans notre langue des temps qui n'avoient pas de correspondans dans la langue latine, on faisoit tout correspondre sans rien expliquer.

enfin un homme armé d'un grand courage ne craignit pas de renverser l'échafaudage de la conjugaison soi-disant française, |41 qui n'avoit été jusque là que la conjugaison latine. il osa d'une main hardie refaire à neuf, cet édifice, sans respect pour l'ancien dont il crut ne devoir conserver que quelques dénominations.

ce novateur si extraordinaire, c'est Beausée: il apperçoit dans les verbes français, seulement pour le mode indicatif, vingt temps différens qu'il classe ainsi qu'il suit:

présent
présent antérieur
présent antérieur périodique
présent postérieur

passé
passé antérieur
passé antérieur périodique
passé postérieur

passé comparatif
passé comparatif antérieur
passé comparatif périodique
passé comparatif postérieur

passé prochain
passé prochain antérieur
passé prochain postérieur

futur
futur antérieur
futur postérieur

futur prochain
futur prochain antérieur

je chante
je chantois
je chantai
je chanterai

j'ai chanté
j'avois chanté
j'eus chanté
j'aurai chanté

j'ai eu chanté
j'avois eu chanté
j'eus eu chanté
j'aurai eu chanté

je viens de chanter
je venois de chanter
je viendrai de chanter

je dois chanter
je devois chanter
je devrai chanter

je vais chanter
j'allois chanter


on regardera d'abord comme un paradoxe insoutenable de mettre je chantai et je chanterai parmi les présens. ne préjugeons cependant rien. voyons quels sont les principes sur lesquels notre auteur se fonde.

Beausée, comme tous les autres grammairiens, admet pour bases principales celles qui sont connues de tout le monde: le présent le passé et le futur.

|42 ces trois temps peuvent d'abord être considérés d'une maniere absolue, sans aucune relation à une époque déterminée; et alors les temps qu'on appelle, pour cette raison, absolus et indéfinis, s'expriment ainsi: je chante, pour le présent, j'ai chanté, pour le passé, je dois chanter pour le futur.

mais aussitôt que l'esprit considère un temps par rapport à une époque déterminée, ce temps nommé relatif prend aussitôt un caractere conforme à la position de cette époque, par rapport à l'instant de la parole, c'est-à-dire que le présent est actuel, si l'époque à laquelle on le compare, a précédé est simultanée à l'instant de la parole; qu'il est présent antérieur, si l'époque à laquelle on le compare a précédé l'instant de la parole; et qu'il est présent postérieur, si l'époque à laquelle on le compare suit l'instant de la parole.

les autres temps relatifs ou définis sont aussi simultanés, antérieurs ou postérieurs, suivant que l'époque à laquelle ils sont comparés est simultanée, antérieure ou postérieure à l'instant de la parole. quelques exemples suffiront pour rendre cette doctrine sensible.

exemples pour les présens relatifs.

« je lisois quand vous m'avez rencontré. »

l'intention de celui qui parle, est de présenter l'action de lire, comme simultanée à l'époque de la rencontre, qui est passée. c'est donc un présent relatif au passé et par conséquent un présent antérieur.

« je vis hier votre pere. »

l'intention de celui qui parle est également ici de montrer l'action de voir, comme présente à l'époque d'hier. aussi dans le récit, on met souvent le présent pour ce que l'on appelle ordinairement le parfait défini.

« je partirai demain pour paris. »

cette maniere de parler équivaut à celle-ci: je pars demain pour paris. je partirai marque donc un présent, relatif à une époque postérieure à l'instant de la parole, et qui pour cela est appellé présent postérieur.

exemples pour les passés relatifs.

« j'avois diné lorsque vous êtes entré. »

l'intention de celui qui parle, est de faire voir l'action de diner comme passée avant le moment de l'entrée qui est antérieur |43 à l'acte de la parole, et par conséquent passé; aussi est-ce un passé antérieur.

« j'eus soupé, hier, avant qu'il partit. »

celui qui parle, indique 1° l'antériorité de son souper au départ en question. 2° ce départ est lui-même antérieur au temps où il parle, comme l'annonce le mot hier. 3° il est certain qu'on ne peut dire, j'eus soupé, que pour marquer l'antériorité du souper, à l'égard d'une époque prise dans une période antérieure à celle où l'on parle; aussi ce temps est-il un passé antérieur périodique.

« j'aurai écrit quand vous arriverez. »

l'intention de celui qui parle, est de faire voir son action d'écrire comme passée, par rapport à l'époque de l'arrivée qui est future. aussi est-ce un passé postérieur.

exemples pour les futurs relatifs.

« je devois, hier, souper avec vous. »

ces mots je devois souper, expriment la postériorité de mon souper au commencement du jour d'hier, qui est une époque antérieure au temps où je parle. je devois souper est donc un futur antérieur.

« lorsque je devrai subir un examen, je m'y préparerai avec soin. »

il est évident que mon action de subir l'examen est désignée comme postérieure à une époque postérieure elle-même à l'acte de la parole. c'est donc un futur postérieur.

on dira peut-être que ces temps, je chantai, je chantois, je chanterai, ne sont relatifs qu'accidentellement et qu'en conséquence les deux premiers doivent être classés parmi les passés, et le dernier parmi les futurs.

ces temps sont relatifs de leur nature; ils sont destinés à exprimer la simultanéité d'existence, le premier avec une époque d'une période entierement écoulée, le second avec une époque d'une période qui peut n'être pas finie; le troisieme avec une époque d'une période [] postérieure. ils ont chacun une forme destinée à exprimer une relation. tant qu'ils conservent cette forme, ils sont relatifs de leur nature, et s'ils sont pris quelque fois d'une maniere absolue, ce n'est qu'accidentellement, ce n'est que quand ils ne sont pas associés à l'époque pour laquelle ils sont faits, comme dans cet exemple, j'écrirai.

les temps comparatifs sont toujours passés de leur nature; ils n'ont |44 d'autre fonction que de servir de point comparatif aux passés positifs, comme on peut le voir dans cet exemple:

« dès que j'ai eu diné, le courrier est arrivé. »

on y voit que le premier est comparatif, et que le second est seulement positif; que l'un n'est là que pour fixer l'esprit sur l'époque précise de l'autre.

le temps passé comparatif est composé, comme tous les passés, d'un auxiliaire; mais cet auxiliaire ne peut être que le verbe avoir, et encore faut-il que ce soient les passés composés de ce verbe qui servent à la formation des passés comparatifs; qu'il y ait deux auxiliaires pris dans ce verbe, comme dans cet exemple: j'ai eu diné. l'un de ces deux auxiliaires y caractérise l'antériorité, comme dans les autres passés; le second désigne une antériorité plus ancienne, accessoire à l'égard de la premiere qui est fondamentale. cette antériorité accessoire exprimée par le mot eu est relative à un évenement qui nécessairement est postérieur. c'est ainsi que dans l'exemple cité, l'arrivée du courrier est postérieure au diner.

les passés comparatifs sont donc ainsi appellés parce qu'ils établissent une comparaison d'antériorité entre deux évenemens qui tous précédent l'acte de la parole.

dans les phrases qui renferment des temps comparatifs, on veut fixer l'attention sur les propositions où se trouvent les temps positifs. ce sont là les propositions principales, quoiqu'elles ne soient ordinairement placées qu'après celles où se trouvent les temps comparatifs. dans l'exemple que nous avons déjà cité: dès que j'ai eu diné, le courrier est arrivé, c'est sur la seconde proposition, le courrier est arrivé, que l'attention est provoquée; la premiere, dès que j'ai eu diné, n'est là que pour indiquer le moment de l'arrivée du courrier.

quant aux temps prochains, ils ont pour caractere distinctif, l'idée accessoire de proximité jointe à l'idée commune à tous les temps passés. ils ne présentent aucune difficulté, d'après les notions que nous avons données sur les autres temps absolus et relatifs.

« ce systeme des temps, dit le savant auteur du monde primitif, réunit les avantages de la simplicité avec la plus vaste étendue; l'on peut, par ce moyen classer tous les temps, sans en multiplier les dénominations et en les ramenant toujours à une mesure commune: trois mots en font tout le mystere: |45 un passé, un présent, un futur. ces trois divisions étant également appliquées ensuite à chacune de ces époques, qui ont nécessairement un temps avant et un temps après, elles donnent les neuf temps qui sont de toutes les langues, et à chacun desquels on imposoit des noms plus difficiles à concevoir que la chose même. »

on sera peut-être tenté de rejetter du nombre des temps, ceux qui sont formés par des verbes différens des verbes avoir et être.

mais dès qu'on admet des temps formés d'un de ces verbes et même de la réunion de deux, pourquoi rejetter ceux qui dérivent des mêmes principes? si on met j'ai fait, j'ai été aimé, au nombre des temps, parce qu'ils ne désignent qu'une action, ou qu'une maniere d'être, pourquoi ne pas reconnoître comme temps de verbes, des locutions composées de deux ou trois mots qui n'expriment qu'une seule action, ou une seule maniere d'être?

dès lors on devra non seulement admettre les vingt temps déjà trouvés, mais on pourra en étendre le nombre et enrichir par ce moyen, nos langues déjà supérieures, sous ce rapport, aux anciennes.

on nous objectera aussi, peut-être, que nos meilleurs écrivains ne font pas usage des passés comparatifs. nous répondrons qu'on en trouve des exemples dans les auteurs comiques, épistolaires etc., que les puristes les plus rigoureux emploient, dans la conversation, ces sortes d'expressions; et qu'enfin, comme le remarque Dangeau, « si elles ne sont pas encore dans le langage écrit, elles méritent du moins de n'en être pas rejettées. »

ce qui doit singulierement [?prévenir] en faveur du systeme de Beausée, c'est l'analogie qui regne entre les mêmes classes de temps dans plusieurs langues modernes et surtout dans l'italienne, l'espagnole et la française. dans ces trois langues les mêmes temps sont simples; et dans l'une comme dans l'autre, il n'y a de simples que ceux qu'ils regarde comme des présens. dans ces trois langues, tous les passés sont composés, et dans toutes ils sont formés des mêmes auxiliaires, et du même participe. les futurs ont aussi leur analogie distinctive dans les trois langues, quoiqu'il y ait quelque différence de l'une à l'autre.

la langue latine dont le génie est si différent des langues modernes, nous donne les mêmes résultats. tous les temps qui, d'après les principes de Beausée, doivent être classés parmi les présens, sont simples, tant à l'actif qu'au passif; et ils ont tous une racine immédiate commune. |46 tous les passés sont encore simples à l'actif; mais le changement d'inflexion à la racine commune, leur donne une racine immédiate, toute différente et qui caractérise leur analogie propre. d'ailleurs les temps correspondans du passif sont tous composés de l'auxiliaire naturel et du futur du participe actif ou passif, suivant que le verbe a une signification active ou passive.

 

 

§ 2eme.

Des modes.

 

on ne se contente pas de considérer une action relativement au temps où elle a lieu: ces considérations quoique très étendues sont trop bornées pour les besoins de la parole. de même que nous mettons les noms en opposition entr'eux, pour en marquer les divers rapports, nous faisons contraster les verbes les uns avec les autres, afin de peindre les divers sentimens dont nous sommes affectés.

ces contrastes ne peuvent avoir lieu, sans que les verbes prennent de nouvelles formes. de là les diverses especes de modes ou de manieres.

les modes expriment les différens aspects sous lesquels on peut présenter la signification principale d'un verbe.

veut-on exprimer directement et purement l'existence d'un sujet sous un attribut, on donne au verbe, une forme propre à cet aspect, c'est le mode indicatif.

ce mode exclut toute idée qui n'est pas comprise dans la signification essentielle du verbe. c'est ce qui le distingue de tous les autres modes personnels qui à la signification principale du verbe, ajoutent quelqu'idée accessoire. de là vient que dans quelque langue que ce soit, l'indicatif admet toutes les especes de temps autorisés par l'usage de cet idiome, et qu'il est ordinairement le seul mode qui les admette tous.

nous avons déjà indiqué les vingt temps de l'indicatif français.

à la signification principale du verbe, veut-on ajouter l'idée accessoire de volonté ou d'ordre, on donne alors au verbe une nouvelle forme, qui est le mode impératif comme sortez.

ce mode n'a point de premiere personne, parce qu'on ne se commande pas à soi-même; ou si on le fait, on se divise en deux personnages, et c'est le second qui reçoit l'ordre. l'impératif français n'a qu'une personne au singulier et deux au pluriel; il n'a aussi que deux temps.

|47

présent postérieur
passé postérieur

chante
aye chanté


quelques uns ont prétendu que ce dernier temps étoit un passé positif; mais c'est à tort. on ne commande pas les choses antérieures à l'acte de la parole.

à la signification principale du verbe veut-on ajouter l'idée accessoire d'une supposition, d'une condition, ou donner au verbe une nouvelle forme, c'est le mode suppositif.

ce mode, comme tous les précédens sert à former la proposition principale, mais il n'énonce la pensée que dépendamment d'une condition. c'est un mode nécessaire: aussi est-il dans toutes les langues, ou en nature, ou exprimé par des circonlocutions. les langues qui lui ont consacré des temps particuliers, sont plus parfaites, sous ce rapport, que celles qui ne se sont pas ménagé cette ressource, telles que la grecque et la latine. dans la nôtre il y a six temps.

présent

passé
passé comparatif
passé prochain

futur
futur prochain

je chanterois

j'aurois chanté
j'aurois eu chanté
je viendrois de chanter

je devrois chanter
j'irois chanter


ces temps sont tous indéfinis, c'est-à-dire qu'ils peuvent, selon les circonstances, s'appliquer à toutes les époques. nous nous contenterons de le prouver par rapport au premier: on pourra juger des autres par celui-là.

il est présent actuel dans cet exemple: il vivroit encore, si vous l'aviez voulu. il est présent antérieur dans ce récit: il s'arrache les cheveux, il déteste la vie, il mourroit, s'il avoit une épée. en effet ce, il mourroit est un présent relativement au temps dont on parle, qui est lui-même antérieur à l'acte de la parole.

il est évidemment présent postérieur dans cet exemple: je partirois demain, si ma voiture étoit prête.

à la signification principale du verbe veut-on ajouter l'idée accessoire de dépendance d'une autre signification déjà exprimée, c'est une nouvelle forme donnée au verbe: on l'appelle le mode subjonctif.

les temps de ce mode ne peuvent former que des propositions sub-|48-ordonnées: ils doivent toujours se rapporter à un autre temps qu'ils déterminent, et auquel ils servent de complément; d'où il résulte qu'ils sont toujours précédés d'une conjonction exprimée ou sous entendue.

nous avons au subjonctif les mêmes classes générales de temps qu'à l'indicatif; et les temps de chaque classe se forment de la même maniere que ceux qui leur correspondent dans l'indicatif et dans les autres modes.

 

temps du subjonctif.

présent
présent antérieur
passé
passé antérieur

passé comparatif
passé comparatif antérieur

passé prochain
passé prochain antérieur

futur
futur antérieur
futur prochain
futur prochain antérieur

 

que je chante
que je chantasse
que j'aye chanté
que j'eusse chanté

que j'aye eu chanté
que j'eusse eu chanté

que je vienne de chanter
que je vinsse de chanter

que je doive chanter
que je dusse chanter
que j'aille chanter
que j'allasse chanter


veut-on présenter la signification du verbe indépendamment de tout sujet, et de toute idée accessoire, d'une maniere indéfinie, et même en quelque sorte infinie, la forme du verbe adaptée à ce point devient le mode infinitif.

ce mode differe entierement de tous les précédens: il ne se lie point, comme eux, avec les pronoms, il s'accompagne, comme les noms, d'articles et de prépositions; il sert comme eux de sujet, d'objet, de terme etc.: il reçoit des cas dans les langues où les noms en sont susceptibles, de sorte qu'il a tous les caracteres du nom.

d'un autre côté, il peint des actions et des états comme les verbes: comme eux, il s'associe à l'idée du temps, de sorte qu'il participe aussi à la nature du verbe; c'est de là que Beausée l'appelle le nom-verbe.

selon Court de Gebelin, l'infinitif est une ellipse dans laquelle on |49 a supprimé le nom d'action dans les verbes actifs, et celui d'état dans les verbes neutres et passifs, en conservant le mot qui déterminoit la nature de cette action, de cet état. il est temps de parler, « c'est, dit-il, comme s'il y avoit, c'est le temps de l'action par laquelle on parle, ou que nous appellons parler. »

ce principe une fois admis, il est plus facile d'expliquer les diverses propriétés de l'infinitif, et toutes ces bizarreries apparentes qui tourmentent tant les grammairiens. il n'est plus étonnant qu'il s'employe comme nom, puisqu'il renferme en lui un nom. quand nous disons, mentir est un crime, c'est comme si nous disions, l'action de mentir est un crime.

d'après cela il n'est pas étonnant qu'on puisse l'accompagner d'articles et de prépositions, et l'employer comme un nom à la suite des verbes.

d'une autre part, puisqu'il sert à désigner des actions, il aura les qualités du verbe: il pourra réunir différens temps, aussi en a-t'il plusieurs dans les diverses langues. en français il en a six.

présent
passé
passé comparatif
passé prochain
futur
futur prochain

chanter
avoir chanté
avoir eu chanté
venir de chanter
devoir chanter
aller chanter


les latins n'avoient que trois temps à l'infinitif; mais pour éviter la monotonie des mêmes terminaisons, ils donnerent à ces temps différentes inflexions semblables à celles de leurs cas: de là les gérondifs et les supins.

les gérondifs étoient les cas du présent de l'infinitif, ils en tenoient la place, vicem gerunt, dont on fit gérondif. leur terminaison varioit, selon que l'infinitif servoit de complément, de terme ou d'objet dans la proposition: de là les gérondifs en di, en do et en [?dum].

en français nous n'avons qu'un gérondif: en lisant, en chantant. lisant est employé ici comme nom, puisqu'il sert de complément à la préposition: c'est le nom abstrait ou participe lisant, comme le beau est le nom abstrait de l'adjectif beau.

les supins étoient au passé de l'infinitif, ce que les gérondifs étoient au présent: comme ceux-ci étoient les cas du présent, les supins |50 étoient les cas du passé.

c'est une grande question parmi les grammairiens de savoir si nous avons un supin. si le mot fait, par exemple, dans j'ai fait mon devoir, est un supin ou un participe. ceux qui sont pour le supin observent que j'ai fait, signifie, j'ai d'avoir fait, que ce mot est indéclinable et qu'il a une signification active. ceux qui tiennent pour le participe, disent que, j'ai fait mon devoir, est pour, j'ai mon devoir fait par moi; que la premiere de ces deux locutions n'est qu'une maniere plus abrégée de dire la même chose, et qu'elle l'est insensiblement formée de la seconde.

veut-on enfin exprimer l'existence sous un attribut, comme une idée communicable à plusieurs natures? on donne alors au verbe une nouvelle forme qui devient un autre mode, et comme ce mode tient lieu et du verbe de l'adjectif, on l'appelle participe: il tient du verbe, parce que comme lui, il marque l'existence, et qu'il a les trois temps généraux; il tient de l'adjectif, parce que, comme lui, il modifie un sujet par l'idée accidentelle de l'évenement qu'il exprime, et qu'il prend quelque fois les terminaisons relatives au genre et au nombre.

il y a deux participes, l'actif et le passif, chantant et chanté. mais comme l'analogie demande que j'expose ici les temps du participe, de la même maniere que j'ai exposé ceux des autres modes, je m'en tiendrai au participe actif.

présent

passé
passé comparatif
passé prochain

futur
futur prochain

chantant

ayant chanté
ayant eu chanté
venant de chanter

devant chanter
allant chanter


de tout ce que nous avons dit sur les modes, il suit qu'il y en a de personnels et d'impersonnels, de directs et d'obliques, de purs et de mixtes.

les modes personnels sont ceux où le verbe reçoit des terminaisons relatives à la personne et au nombre du sujet: ils servent à constituer les propositions. de là la sousdivision des modes personnels |51 en directs et en obliques. les modes directs qui sont l'indicatif, l'impératif et le suppositif, servent à constituer la proposition principale. le mode oblique, qui est le subjonctif, ne peut servir qu'à former une proposition subordonnée.

les modes impersonnels sont ceux où le verbe ne reçoit aucune terminaison relative à la personne d'un sujet déterminé: ils ne peuvent former aucune proposition, parce qu'il ne peut pas y avoir de proposition sans sujet; par conséquent ils doivent rentrer dans la classe des autres mots. de là l'infinitif est classé parmi les noms et le participe parmi les adjectifs.

de ces six modes tant personnels qu'impersonnels, il y en a trois qui sont purs, parce qu'ils n'ajoutent aucune idée accessoire à la signification principale du verbe: ce sont l'indicatif, l'infinitif et le participe. d'autres sont mixtes pour une raison contraire; ce sont l'impératif, le suppositif et le subjonctif.

les modes purs se trouvent dans toutes les langues qui ont donné différentes formes à leurs verbes. il n'en est pas de même des modes mixtes. les hébreux n'ont ni suppositif, ni subjonctif; les latins n'ont point de suppositif; l'impératif est tronqué partout, c'est que ces modes ne tiennent pas aussi étroitement que les premiers, à la nature du verbe: leur caractere distinctif est d'exprimer des idées ajoutées accidentellement à la signification fondamentale.

 

 

Section 3eme.

De la syntaxe.

 

jusqu'ici nous n'avons parlé que des élémens du discours et des différentes formes dont ils sont susceptibles; il s'agit maintenant de les lier, de les employer de maniere à former les différens tableaux de la pensée. les mots sont nos couleurs, il faut les modifier et les placer de façon qu'on apperçoive leurs différens rapports, que l'on distingue facilement ce qui est principal, ce qui n'est que subordonné, et que le tableau produise le plus grand effet, par une belle distribution de toutes ses parties.

ainsi un peintre habile donne à chacune de ses figures la forme la plus convenable, et les place de maniere que loin de se nuire, elles se donnent mutuellement du relief, et qu'on apperçoit sans peine le sujet du tableau et tous ses accessoires.

on a donc deux choses à considérer, quand on veut peindre ses idées: 1° la forme qu'exige chaque mot pour se lier avec ses voisins, |52 suivant le rôle qu'il remplit dans ce tableau; 2° la place qu'il doit occuper, d'après le rôle dont il est chargé: deux objets bien distincts, dont l'un regarde la syntaxe proprement dite et l'autre la construction.

ces deux termes ont à-peu-près la même étymologie. syntaxe est composée de deux mots grecs, sun, avec, et taxis arrangement. construction a aussi à-peu-près le même sens. de là la plupart des grammairiens ne distinguent pas ces deux parties, dont cependant les attributions sont bien différentes.

la syntaxe habille les personnages qui figurent dans le discours, elle les rend tels qu'ils doivent être pour remplir leur rôle: la construction leur assigne d'après cela la place qui leur convient le plus.

 

 

Chapitre premier.

De la syntaxe proprement dite.

 

l'objet du langage est l'énonciation de la pensée; or les mots ne peuvent former aucun sens parfait, s'ils ne sont assortis d'une maniere qui rende sensibles leurs rapports mutuels, qui sont l'image de ceux qui existent entre les idées. car quoique la pensée soit indivisible, on parvient cependant à l'analyser en quelque sorte, en considérant séparément les idées différentes qui les composent et les relations qui les unissent dans l'esprit.

c'est cette analyse de la pensée qui est le modèle que la parole est chargée de peindre. ce qu'elle ne peut exécuter que par les différentes formes et l'heureux assortiment des mots.

avant de développer les regles de la syntaxe, il est nécessaire de donner quelques notions sur la proposition qui en est l'objet essentiel.

la proposition est l'expression totale d'un jugement.

plusieurs mots ne sont pas toujours nécessaires pour exprimer un jugement: en latin, souvent un mot suffit pour cet objet, tel est vincemus.

dans toute proposition, il faut distinguer trois choses, le sujet, l'attribut et la liaison.

le sujet est l'être duquel on affirme, ou on nie quelque chose; l'attribut est ce qu'on affirme ou ce qu'on nie; la liaison, c'est le verbe être qui sert à lier l'attribut au sujet.

|53 on peut considérer une proposition ou grammaticalement ou logiquement. quand on la considère grammaticalement, on n'a égard qu'aux rapports réciproques qui sont entre les mots; quand on la considère logiquement, on n'a égard qu'au sens total qui résulte de l'assemblage des mots.

exemple: Alexandre qui étoit roi de macédoine, vainquit Darius. si on examine cette phrase grammaticalement, on y trouve deux propositions: Alexandre vainquit Darius, premiere proposition; qui étoit roi de macédoine, seconde proposition; qui, en est le sujet. mais logiquement, ces mots, Alexandre qui étoit roi de macédoine, ne présentent qu'un sens total équivalent à Alexandre roi de macédoine. ce sens total est le sujet de la proposition entiere.

de là on distingue deux manieres d'analyser une phrase: l'une grammaticale, l'autre logique.

dans l'analyse grammaticale on examine chaque mot en particulier, on indique son espece, on ne le considère que relativement aux mots dont il est accompagné. dans l'analyse logique, au contraire, on considère moins les mots que les idées. on recherche les parties intégrantes de la proposition, le sujet, l'attribut et la liaison. nous donnerons de vive voix quelques exemples de l'une et de l'autre analyse.

les différentes manieres dont les parties grammaticales forment les parties logiques, font naître des propositions de différentes especes.

la proposition simple est celle dont le sujet et l'attribut sont simples. le sujet est simple, quand il ne présente à l'esprit, qu'un être déterminé par une idée unique, comme, les français sont braves; la gloire qui vient de la vertu est durable.

l'attribut est simple, quand il n'exprime qu'une seule maniere d'être d'un sujet, soit qu'il le fasse en un seul mot, comme dans les exemples précédens, soit qu'il le fasse en plusieurs mots, comme dans l'exemple suivant: l'avare recherche des biens dont il ne sait pas jouir.

la proposition composée est celle dont le sujet ou l'attribut, ou même tous les deux sont composés.

le sujet est composé quand il présente plusieurs êtres déterminés par des idées différentes, comme dans l'exemple suivant: |54 la bravoure et la prudence sont nécessaires. l'attribut est composé, quand il exprime plusieurs manieres d'être d'un sujet, comme, Dieu est juste et miséricordieux.

une proposition composée par le sujet, peut se décomposer en autant de propositions simples qu'il y a d'idées totales dans le sujet composé, et elles auront toutes le même attribut et des sujets différens.

une proposition composée par l'attribut, peut se décomposer en autant de propositions simples qu'il y a d'idées totales dans l'attribut composé, et elles auront toutes le même sujet et des attributs différens.

une proposition composée par le sujet et par l'attribut peut se décomposer 1° en autant de propositions ayant le même attribut composé, qu'il y a d'idées totales dans le sujet; 2° chacune de ces propositions élémentaires peut se décomposer en autant de propositions simples, qu'il y a d'idées totales dans l'attribut composé.

la proposition incomplexe est celle dont le sujet et l'attribut sont incomplexes.

le sujet est incomplexe, quand il n'est exprimé que par un seul nom, un pronom ou un infinitif: ce sont les seules especes de mots qui puissent présenter un objet déterminé.

l'attribut est incomplexe, quand la maniere d'être d'un sujet est exprimée en un seul mot. cette maniere d'être est quelque fois liée au verbe qui énonce l'existence, comme dans cet exemple: Dieu me voit.

la proposition complexe est celle dont le sujet ou l'attribut, ou même tous les deux sont complexes.

le sujet est complexe, quand il est accompagné de quelque addition qui sert à l'expliquer ou à le déterminer: exemple: les principes de la morale méritent d'être médités.

l'attribut est complexe, quand le mot principal destiné à énoncer la maniere d'être du sujet, est accompagné d'autres mots qui en modifient la signification, comme quand on dit: je lis avec attention.

quand les additions faites, soit au sujet, soit à l'attribut, soit |55 à quelqu'autre terme modificatif de l'un ou de l'autre, sont elles-mêmes des propositions: ces propositions partielles sont incidentes, et celles dont elles sont parties intégrantes, sont principales. dans cet exemple: les savans qui sont plus instruits que le commun des hommes, devroient les surpasser en sagesse. les savans devroient surpasser les autres hommes en sagesse, voilà la proposition principale; qui sont plus instruits que le commun des hommes, c'est la proposition incidente. la premiere s'appelle principale, parce qu'elle énonce ce qu'on veut principalement dire; la seconde s'appelle incidente, d'incidere, tomber sur, parce qu'elle tombe sur un mot de la phrase. d'où il suit qu'une proposition incidente est dans une proposition complexe, une proposition partielle qui sert à déterminer ou à expliquer un terme qui appartient à une autre proposition: cette autre proposition est principale à l'égard de l'incidente; l'une et l'autre constituent la proposition totale.

il y a donc deux sortes de propositions incidentes: l'une explicative et l'autre déterminative. elle est explicative, quand elle sert à développer la nature ou les propriétés de l'être représenté par le mot auquel elle est liée. dans l'exemple déjà cité, les savans etc., la proposition incidente est explicative: le développement qu'elle donne contribue à prouver la vérité de la proposition principale. nous ferons connoître les différentes formes que l'on peut donner à une proposition complexe, dont l'incidente est explicative.

il est à remarquer que les additions que l'on fait aux noms qui marquent distinctement un individu, sont toujours explicatives; vu que les termes individuels se prennent toujours dans toute leur étendue, et ne sont susceptibles d'aucune détermination.

la proposition incidente est déterminative, quand elle restreint l'étendue du mot auquel elle est liée. exemple: le courage qui naît de l'amour de la patrie, fait les héros. qui naît de l'amour de la patrie détermine l'espece de courage dont on veut parler.

la proposition incidente est toujours nécessaire, quand elle est déterminative; on peut s'en passer, quand elle est explicative. d'où il résulte que la proposition complexe qui renferme une incidente déterminative n'est pas susceptible d'autant de changemens que celle dont l'incidente est explicative. nous donnerons ces détails de vive voix.

|56 il est une autre espece de proposition qu'on appelle subordonnée. elle sert particulierement à faire connoître les circonstances de l'action: on pourroit la nommer circonstancielle. elle est, pour ainsi dire, au service de la proposition principale; c'est ce qui lui fait donner le nom de subordonnée. dans la période suivante on trouvera proposition principale, subordonnée et incidente.

le grand Corneille, après avoir quelque temps cherché le bon chemin, et lutté contre le mauvais goût de son siecle, fit voir sur la scene la raison, mais la raison accompagnée de toute la pompe, de tous les ornemens dont notre langue est capable.

après avoir cherché, etc., après avoir lutté etc. sont des propositions subordonnées: c'est comme s'il y avoit, après qu'il eut cherché, après qu'il eut lutté.

les propositions incidentes ne peuvent se trouver qu'après le mot qu'elles modifient: les propositions subordonnées peuvent être avant ou après la proposition principale qu'elles développent; mais quelque place qu'elles occupent, elles n'énoncent jamais un sens fini et complet. quand elles commencent le discours, elles font attendre la proposition principale, et la supposent, quand elles le terminent.

le dernier point de vue sous lequel il importe à la grammaire de considérer les propositions, est celui qui les divise en propositions détachées et en périodes.

la proposition détachée est celle qui seule et séparée de toute autre, énonce un sens complet et fini, comme l'ambitieux n'est jamais content. la proposition détachée peut être simple ou composée, incomplexe ou complexe: ce qui la rend détachée, c'est d'exprimer un sens complet et fini par la réunion de ses parties intégrantes, et de n'être pas mise dans la dépendance d'une autre proposition, par le moyen de quelque conjonction qui feroit concourir les deux à l'expression totale d'un sens complet, sans les rendre partie intégrante l'une de l'autre. ainsi quand on dit: on recherche trop avidement les biens qui ne méritent pas d'être recherchés; c'est une proposition détachée, quoique ce soit une proposition complexe qui en renferme une |57 incidente; parce que l'incidente y est une partie intégrante de la principale.

mais quand quelqu'un a dit: « si les romains n'avoient su que combattre et vaincre, s'ils ne s'étoient pas distingués par la sagesse de leurs lois, s'ils n'avoient pas fait fleurir les arts et les sciences, je les mettrois au rang des barbares »; quoique tout cela soit nécessaire à l'expression du sens complet, ce n'est pourtant pas une proposition détachée; parce qu'il y a plusieurs propositions réunies par les conjonctions, et que ces propositions ne sont point parties intégrantes les unes des autres: le tout est une période.

une période est donc l'expression d'un sens complet et fini, au moyen de plusieurs propositions qui ne sont point parties intégrantes les unes des autres, mais qui sont tellement liées ensemble que les unes supposent nécessairement les autres pour la plénitude du sens total.

ces propositions se nomment les membres de la période; et l'on appelle période de deux, de trois, de quatre membres, celle qui est composée de deux, de trois, de quatre propositions indépendantes grammaticalement les unes des autres.

il faut cependant observer que quand ces propositions sont très courtes, on ne les appelle plus des membres de période, mais seulement des incises, c'est-à-dire phrases coupées; telles sont celles qui composent la période suivante: « Turenne est mort; la victoire s'arrête; la fortune chancele; tout le [?camp] demeure immobile. »

dans la période relative aux romains, il n'y a, à proprement parler que deux membres: le premier énonce une hypothèse; et le second exprime une conséquence. mais le premier membre a trois incises; parce qu'il est composé de trois propositions parallelles dont chacune comprend un article de l'hypothèse totale.

la période qui suit a quatre membres bien distincts et |58 bien liés:

« comme donc, en considérant une carte universelle, vous sortez du pays où vous êtes né et du lieu qui vous renferme, pour parcourir toute la terre habitable que vous embrassez par la pensée avec toutes ses mers et tous ses pays; ainsi en considérant l'abrégé chronologique, vous sortez des bornes de votre âge, et vous vous etendez dans tous les siecles: mais de même que pour aider sa mémoire dans la connoissance des lieux, on retient certaines villes principales, autour desquelles on place les autres, chacune selon sa distance; ainsi dans l'ordre des siecles, il faut avoir certains temps marqués par quelque grand évenement auquel on rapporte tout le reste. »

ainsi une période peut être composée, ou seulement de membres, ou seulement d'incises, ou de membres et d'incises.

d'après ces préliminaires sur les propositions, il sera plus facile de comprendre les regles de la syntaxe, qui commande à chaque mot sa forme propre.

si nous n'avions à parler que des langues modernes et de leurs syntaxes, nous n'aurions presque rien à dire; car il n'y a guère dans ces langues que des regles de construction, mais comme c'est une grammaire générale que nous donnons, nous devons rechercher les motifs des formes variées que les mots prennent dans les langues anciennes.

ces formes ont été inventées pour indiquer les rapports des objets; pour augmenter l'harmonie des langues; et afin de pouvoir placer chaque mot dans l'endroit où il doit produire le meilleur effet.

de plus la pensée étant, comme nous l'avons déjà dit, indivisible dans l'esprit qui conçoit, il doit regner la plus grande liaison entre les élémens qui servent à l'exprimer. d'après cela est-il étonnant que les anciens qui avoient tout à cœur de perfectionner leurs langues, ayant inventé des |59 formes qui, comme autant de nuances, servent à unir les mots de maniere à n'en faire qu'un tout indivisible, en quelque sorte, comme la pensée elle-même.

les mots ayant entr'eux ou une convenance commune, ou une dépendance les uns des autres, nous aurons tout dit sur la syntaxe, quand nous aurons parlé de la convenance et de la dépendance. la convenance ou la concordance réunit tous les mots qui concourent à exprimer un seul et même objet: la dépendance unit à l'objet principal les mots qui indiquent les rapports des autres objets avec lui.

tous les mots qui expriment les qualités d'un objet prennent sa livrée; c'est convenance. ceux qui expriment les rapports des autres objets avec lui, prennent les formes nécessaires pour indiquer ces rapports, et pour faire voir qu'ils ne sont là qu'en second; c'est dépendance.

 

 

§ 1er.

De la convenance.

 

dans toutes les propositions, il y a des mots si essentiels que, sans eux, ou même si un d'eux manquoit, il ne pourroit y avoir de jugement énoncé; tels sont le sujet, l'attribut et le verbe. ces trois parties sont si étroitement liées, qu'elles ne forment qu'un tout. au point que les latins les exprimoient quelque fois par un seul mot, comme amat.

il doit y avoir convenance entre ces mots essentiels: ils ne peuvent être liés sans s'imposer mutuellement des lois.

le déterminatif, le nom, le verbe et le qualificatif ne présentent aussi qu'un même objet, comme dans cet exemple, ce livre est beau.

il doit donc y avoir aussi convenance entre ces quatre mots. mais quelle convenance peut-il y avoir entre des mots aussi disparates?

le premier rapport de convenance est celui du nombre. quand le nom est au pluriel, les trois autres ne peuvent être au singulier.

il y a entre le déterminatif, le nom et le qualificatif une convenance de plus, c'est celle des genres, et dans les langues transpositives, |60 comme la grecque et la latine, celle des cas ou de la terminaison.

il est encore d'autres regles relatives au genre, au nombre, et à la personne, mais elles sont faciles à saisir et nous les avons déjà données dans nos leçons élémentaires.

 

 

§ 2eme.

De la dépendance.

 

les tableaux de la pensée ne sont pas toujours composés seulement d'un nom, d'un verbe et d'un qualificatif. ils renferment souvent un grand nombre d'autres mots, dont la réunion forme des phrases chargées d'une multitude d'idées.

ces nouveaux mots, quand ils sont placés avec ordre, au lieu de jetter de la confusion dans le discours, servent à déterminer les parties essentielles de la proposition, et à les rendre plus intéressantes: ils leur restent subordonnés, ils sont en dépendance.

il est indispensable de pouvoir distinguer ces mots secondaires des mots essentiels.

les marques distinctives se réduisent à trois. 1° la place qu'ils occupent dans la proposition; 2° les mots auxquels on les unit, et par lesquels on les lie aux autres. 3° la différences des ces terminaisons.

ces trois manieres de distinguer les deux especes de mots dont le discours se compose, peuvent exister ensemble ou séparément dans chaque langue.

dans les langues modernes ou n'emploie que les deux premiers, excepté à l'égard des pronoms. dans les langues anciennes, telles que la grecque et la latine, on n'emploie que les deux dernieres.

ainsi nous reconnoissons l'objet d'action, en ce qu'il marche après le verbe, tandis que le sujet marche le premier; au lieu qu'en latin on reconnoît celui-ci par sa terminaison active, et celui-là par sa terminaison passive.

nous employons la différence des terminaisons à l'égard des pronoms: mais en même temps nous leur assignons constamment la même place je indique le sujet, me l'objet; mais nous plaçons constamment le second entre le sujet et le verbe: ce qui fait rentrer |61 cet usage dans le génie propre de notre langue qui ne distingue les mots que par leur place.

quant au second moyen de distinguer les mots secondaires des mots essentiels, il est commun à presque toutes les langues; il n'est presqu'aucune qui ne lie ces mots par des prépositions. n'en soyons pas étonnés: les prépositions ont les mêmes avantages que les terminaisons et elles leur sont supérieures par leur variété, par l'étendue de leurs services, et par l'énergie qu'elles donnent au discours.

chacun des mots essentiels de la proposition peut être accompagné de mots secondaires.

le sujet ou le nom, par exemple, peut avoir dans sa dépendance plusieurs mots qui le déterminent différemment, comme un livre de grammaire; le livre de Pierre; un livre que je puisse entendre.

c'est surtout le verbe qui peut avoir beaucoup de mots dans sa dépendance, tels que ceux qui expriment l'objet d'action, la maniere, le moyen, le terme, la fin ou le motif, les circonstances; nous en donnerons des exemples.

le verbe être a moins d'accompagnemens: les mots qui le modifient expriment les circonstances de temps, de lieu, d'ordre.

le qualificatif amene également à sa suite des mots qui servent à le déterminer; tels sont principalement les adverbes de comparaison, plus, moins, aussi, etc., tels sont les mots avec lesquels il est en rapport, comme, utile à sa patrie, digne de récompense.

il n'y a quelque fois qu'un mot en dépendance, quelque fois il y en a plusieurs. de là deux sortes de complémens, l'un incomplexe, l'autre complexe.

un mot qui sert de complément à un autre, peut lui-même en exiger un second, qui, pour la même raison, peut encore être suivi d'un troisième; aussi dans cette phrase: avec les soins requis dans les circonstances de cette nature, on distingue trois complémens.

dans le complément complexe, il faut distinguer du reste du complément le mot qui est le premier dans l'ordre analytique.

|62 si ce premier mot est déclinable, on l'appelle complément grammatical, parce qu'il prend toutes les formes que la grammaire exige. le complément entier prend alors le nom de complément logique, parce que c'est l'expression de l'idée totale que la raison considère comme le vrai complément.

si le premier mot est indéclinable, on ne peut plus l'appeler grammatical, il prend le nom d'initial, et le complément entier se nomme complément total. dans l'exemple déjà cité, avec les soins requis etc., le nom nature est le complément grammatical de la préposition de, et cette nature en est le complément logique: la préposition de est le complément initial du nom appellatif les circonstances, et de cette nature en est le complément total.

quoique ces détails paroissent minutieux, ils sont cependant nécessaires pour bien analyser. on doit même appliquer les mêmes distinctions au sujet et à l'attribut complexe. quand on dit: la gloire qui vient de la vertu est supérieure à celle qui vient de la naissance, la gloire est le sujet grammatical de la proposition; la gloire qui vient de la vertu en est le sujet logique: supérieure est l'attribut grammatical, supérieure à celle qui etc. est l'attribut logique.

quelque fois les mots en dépendance forment eux-mêmes des tableaux qui réunissent toutes les parties essentielles à la proposition, comme on le voit dans le vers suivant:

attaque un ennemi qui te soit plus rebelle.

les mots, qui te soit plus rebelle, sont le complément d'ennemi et forment eux seuls un tableau complet.

si plusieurs complémens concourent à déterminer le même mot, on doit suivre les regles suivantes:

1ere il faut mettre le complément le plus court le premier après le mot completé; puis le plus court de ceux qui restent, et ainsi de suite jusqu'au plus long de tous, qui doit être le dernier. ainsi l'on diroit, parer le vice des dehors de la vertu, et parer des dehors de la vertu les vices les plus honteux et les plus décriés.

|63 2eme si par ce moyen quelqu'un de ces complémens se trouvoit trop éloigné du mot completé, et qu'on ne put appercevoir bien clairement son rapport avec ce mot, on n'a qu'à le placer avant. on peut même le faire pour mettre plus d'élégance dans le tableau. c'est ainsi que l'auteur de Télémaque a dit: c'est un des rois qui ont, après un siege de dix ans, renversé la fameuse troye.

3eme ces regles cessent dès qu'il en résulte un sens obscur et équivoque. ainsi au lieu de dire, d'après la seconde regle, il se persuada qu'il répareroit la perte qu'il venoit de faire, en attaquant la ville par divers endroits; il faut dire, il se persuada qu'en attaquant la ville par divers endroits, il répareroit etc., puisque c'est l'attaque de la ville qui doit réparer la perte, loin d'en avoir été la cause.

4eme si les divers complémens d'un même mot ont sensiblement la même étendue, c'est au goût, c'est-à-dire au jugement éclairé par une saine logique, à en fixer la place. il en est de même pour les différentes parties d'un même complément. il est mieux de dire, je leur montrerai que sa façon d'écrire est excellente, et qu'il mérite le nom de poëte, que de dire, je leur montrerai qu’il mérite le nom poëte et que sa façon d'écrire etc.

5eme si le sujet de la phrase étoit précédé d'un complément qu'il écartât trop de son verbe, ce sujet doit être placé après le verbe. ainsi on ne dira pas avec l'auteur de Télémaque: c'est ce que Minos, le plus sage et le meilleur de tous les rois, avoit compris; mais, c'est ce qu'avoit compris Minos etc.

6eme il ne faut jamais séparer les portions d'un complément par un autre complément: ainsi on ne dira pas, il y a un air de vanité et d'affectation dans Pline le jeune qui gâte ses lettres; mais il y a dans Pline le jeune un air etc.

 

 

Chapitre second.

De la construction.

 

la construction est l'arrangement des mots dans le discours. c'est une sorte de combinaison, non seulement des mots qui constituent la |64 proposition, mais encore des différentes phrases qui servent à former la période. de là la construction grammaticale et la construction logique.

c'est ici véritablement que la parole est un art et qu'on distingue ceux qui ne parlent que parce qu'ils ont entendu parler, de ceux qui ont étudié leur langue et qui en connoissent le génie. il n'y a de netteté dans le discours, qu'autant qu'on observe rigoureusement les lois de la construction. il est donc essentiel de bien apprendre ces regles.

la construction grammaticale se subdivise en 2 principales: dans l'une le sujet précède le verbe, et le verbe précède le qualificatif, ou l'objet d'action, si la phrase est active; dans l'autre le sujet peut être le dernier mot de la phrase, comme l'objet peut être le premier. quelques opposées que soient ces constructions, chacune d'elles a été adoptée par plusieurs peuples.

l'une étoit usitée chez les grecs et les latins, l'autre est actuellement en usage chez tous les peuples, à quelque variété près.

dans les langues modernes, on se rapproche de la construction latine, autant qu'on le peut, sans nuire à la clarté du sens.

de là résulte une troisieme espece de construction, composée des deux autres, qu'on peut nommer construction mixte.

nous appellerons les deux autres, l'une construction locale, et l'autre construction libre. construction locale, où le rapport des mots est marqué par la terminaison des mots place qu'ils occupent: construction libre, où ce rapport est marqué par la terminaison des mots. la premiere s'appelle ordinairement construction directe ou analogue, et la seconde construction renversée ou transpositive; mais les appeller ainsi, c'est supposer que la construction des langues modernes a plus d'analogie, de conformité avec la nature, et que la construction des langues anciennes intervertit l'arrangement naturel des mots; c'est supposer aussi que la nature a un ordre fixe qui lui est propre, et dont elle ne peut pas s'écarter. c'est trancher des questions qui ne sont pas décidées.

les grammairiens modernes ont fait de longs traités sur la construction. chacun a défendu son systeme avec toutes les armes de la dialectique. chacun a examiné laquelle des deux constructions |65 étoit la plus naturelle.

Batteux a été le premier à s'élever contre la construction locale: il a le premier soutenu qu'il n'y a de construction naturelle que celle qui est fondée sur l'importance des mots et la conformité aux vues de celui qui parle.

Beausée au contraire soutient que les décisions de l'intérêt ne sont pas assez constantes, assez uniformes, pour servir de regle à la construction, et que cette regle fondamentale ne peut se trouver que dans l'ordre analytique qui est le même dans toutes les langues, et dont les empreintes sont telles que les mots ne peuvent abandonner le poste qu'il leur assigne, sans être revêtus des formes qui les y rappellent d'une maniere évidente.

comme nous n'avons pas le temps de donner, au moins par écrit, de grands développemens à ces matieres, nous nous contenterons de dire que la grande regle, en fait de construction, c'est d'arranger les mots selon l'usage de la langue; que la construction est vicieuse, quand elle blesse cet usage, et que de ce désordre naissent l'obscurité et l'amphibologie.

nous ajouterons qu'il n'y dans l'esprit ni ordre direct, ni ordre renversé, puisqu'il apperçoit à-la-fois toutes les idées dont il juge; qu'il les énonceroit toutes à-la-fois, s'il lui étoit possible de les énoncer, comme il les apperçoit. voilà ce qui lui seroit naturel; et c'est ainsi qu'il parle, lorsqu'il ne connoît que le langage d'action.

c'est parconséquent dans le discours seul que les idées ont un ordre direct ou renversé, parce que c'est dans le discours seul qu'elles se succedent.

ces deux ordres qui paroissent si opposés, peuvent être également naturels. en effet, pourvu que nos idées se peignent d'une maniere exacte et intelligible, qu'importe à la nature que nos mots soient arrangés d'une maniere ou d'une autre. qu'importe qu'on dise, du fils d'Anchise les grands exploits, ou les grands exploits du fils d'Anchise, si le sens est parfaitement le même. le naturel dans chaque langue ne consisteroit-il pas, non dans l'exclusion de l'une ou de l'autre de ces deux constructions, mais dans leur juste mélange?

lorsqu'on voit le latin se rapprocher souvent de la construction française |66 et le français imiter le plus qu'il peut, la marche libre des latins; peut-on se refuser à l'idée que ces deux constructions sont également naturelles? que la nature nous entraine tour à tour à ces diverses constructions, pour rendre nos discours plus variés et plus harmonieux? comment seroit arrivé, sans cela, le mélange perpetuel qu'on en fait dans les différentes langues? comment, après avoir adopté un de ces genres, reviendrions-nous, sans cesse, à l'autre, comme si nous ne pouvions nous dispenser d'être en contradiction avec nous-mêmes?

la langue la plus parfaite n'est-elle pas celle où nous pouvons choisir, entre plusieurs formes, où nous pouvons les assortir à la nature de nos idées; où après avoir imité par l'arrangement de nos mots le calme des idées contemplatives, nous pouvons par un autre arrangement, peindre l'impétuosité des passions. loin donc de nous tout idiome qui seroit asservi à un seul arrangement de mots, qui n'auroit toujours qu'une même maniere de présenter ses idées.

Dira-t'on que tous ces arrangemens de mots ne sont qu'en sous ordre? qu'ils sont précédés d'un acte de l'esprit qui décompose sa propre pensée, et que pour qu'il fasse cette analyse, il faut qu'il ait une marche simple et unique; qu'il cherche d'abord le sujet, ensuite le verbe, après l'objet d'action, et qu'ainsi cette marche est la seule naturelle.

tout seroit dit en effet, si cela étoit prouvé; il ne resteroit plus qu'à découvrir comment l'homme a pu former de si beaux tableaux, en s'éloignant si fort de la méthode qu'il suit pour analyser ses pensées. mais je doute fort que dans ces sortes d'analyses, nous suivions toujours une même méthode, et précisément celle dont il s'agit ici.

nous nous accoutumons à analyser ici nos idées, c'est-à-dire à nous parler à nous-mêmes, comme nous parlerions aux autres. nous ne prenons pas la peine de décomposer les tableaux de nos idées pour nous-mêmes, et de recomposer ces tableaux d'une maniere conforme à notre façon de nous exprimer différente pour les autres. nous les saisissons |67 au contraire d'une maniere conforme à notre façon de nous exprimer; c'est ce qu'on appelle penser dans la langue même dans laquelle on veut s'exprimer.

ainsi bien loin que la maniere d'analyser la pensée indique nécessairement la construction naturelle, elle est au contraire, elle-même, l'effet de l'art et de l'habitude: elle varie chez tous les peuples, de la même maniere que l'expression.

c'est ce rapport intime du langage avec les procédés de notre esprit, qui fait que tant de personnes qui ne connoissent que leur langue maternelle, ne soupçonnent même pas qu'on puisse parler autrement.

concluons donc que la construction latine et la construction française peuvent être également naturelles: que toutes les deux sont conformes à l'analyse que l'esprit fait des pensées; parce que cette analyse tombe plutôt sur les parties dont elles sont composées que sur leur arrangement: que de ces deux constructions l'une est plus relative au sentiment et à l'harmonie, et l'autre à la clarté du discours.

la construction logique consiste dans l'arrangement des propositions dans le cadre de la période. cette construction appartenant plus à l'art d'écrire qu'à un traité de grammaire, nous n'en donnerons que quelques notions générales.

les propositions principales se lient entr'elles par la gradation des idées, par les conjonctions, par l'opposition.

par la gradation. « l'une donne son attention, elle compare, elle juge, elle réfléchit, elle imagine, elle raisonne. »

par la gradation et par les conjonctions. « le peuple accorde son estime aux richesses et au pouvoir, et les grands se laissent gouverner par l'opinion du peuple. »

par l'opposition et par les conjonctions. « Annibal sut vaincre, mais il ne sut pas profiter de ses victoires. »

les phrases subordonnées se lient aux principales.

1° par des conjonctions. « il n'est rien qu'on ne tente, quand on a de l'ambition. »

|68 2° par des prépositions. « l'intelligence nous manque pour découvrir les causes naturelles, les yeux même nous manquent pour voir les effets. »

3° par des gérondifs. « vous étudiez une montre, et vous en découvrez le mécanisme, en la décomposant, en arrangeant sous vos yeux toutes ses parties. »

nous avons déjà vu que la proposition subordonnée peut précéder ou suivre la proposition principale. quand elle la précède, il faut que, dès qu'on arrive à la principale, on voie que c'est à elle que la subordonnée se rapporte. par exemple: tandis que les hommes adoptent avec tant de facilité des opinions qu'ils n'entendent pas, ils se refusent aux vérités les plus claires. à peine lisez-vous ils, que vous voyez que c'est le commencement de la phrase principale.

lorsque la proposition subordonnée vient après, il faut qu'en lisant le premier mot de cette proposition, vous sachiez à quelle phrase principale vous devez la rapporter. comme dans cet exemple: Alcibiade coupa la queue à son chien, afin que les athéniens parlassent de cette singularité.

nous ferons lire des phrases où cette liaison est altérée.

quand une phrase principale se lie naturellement à d'autres, il faut bien se garder d'en faire une phrase subordonnée; car si ces conjonctions n'embarrassent pas le discours, elles le rendent au moins languissant. nous le ferons sentir par quelques exemples.

quant aux propositions incidentes, elles doivent toujours être placées, comme nous l'avons déjà dit, après le mot qu'elles modifient.

il y a des grammairiens qui prétendent que le conjonctif se rapporte toujours au substantif qui le précède immédiatement. cette regle est tout à fait fausse, comme on le voit dans la phrase suivante: ce sont là des fautes d'habitude qui vous font grand tort: qui ne se rapporte certainement pas à habitude. 1.° parce que qu'un conjonctif ne se rapporte jamais à un nom qui n'a pas été déterminé par un article ou par quelque chose d'équivalent. 2° d'habitude n'est pas là pour être modifié par ce qui suit, mais pour modifier lui-même ce qui le précède. voilà pourquoi l'esprit lie naturellement qui à fautes.

|69 ainsi Vertot s'est mal exprimé quand il a dit: « il les fit patriciens avant de les élever à la dignité de senateurs qui se trouverent jusqu'au nombre de trois cens. »

on seroit aussi choqué de cette construction: « vous avez lu l'histoire du peuple de Dieu, qui est le créateur du ciel et de la terre. » c'est donc une regle de rapporter le conjonctif au substantif le plus éloigné, toutes les fois que le dernier substantif, n'étant employé que pour déterminer le premier, ne demande lui-même aucune modification.

mais si l'on disoit avec Bossuet: « on vous a montré avec soin l'histoire de ces grandes provinces que vous êtes obligé de rendre heureuses »: que se rapporteroit à ces grandes provinces. car si ce substantif commence à être déterminé, il ne l'est pas encore assez: il faut encore attendre quelqu'autre modification.

en général la regle est de n'avoir aucun égard à la forme matérielle de la phrase, de ne point examiner quel est le dernier substantif: mais de considérer l'idée sur laquelle l'esprit se porte plus naturellement.

plusieurs propositions incidentes peuvent se rapporter à un seul substantif, comme on le voit dans ces vers:

tel fut cet empereur sous qui rome adorée
fit renaître les jours de Saturne et de Rhée;
qui rendit de son joug l'univers amoureux;
qu'on n'alla jamais voir sans revenir heureux;
qui etc.


tous ces conjonctifs se rapportent à empereur; et cette construction est bonne. la construction suivante au contraire est très défectueuse, quoique le conjonctif se rapporte presque toujours au substantif qui le précède immédiatement: « la poësie qui avoit brillé à rome du temps d'Auguste, s'éclipsa peu à peu sous ses successeurs et demeura enfin comme éteinte dans les ténèbres de la barbarie, qui amena du fond du nord ce deluge de nations féroces, qui, des débris de l'empire romain, forma la plupart des états qui subsistent aujourd'hui dans l'europe. »

ce n'est pas là une phrase où les idées soient liées; c'est une suite de phrases qui tiennent mal ensemble. l'esprit s'écarte insensiblement du point d'où il est parti; et on ne sait plus où l'on est.

la construction est encore plus vicieuse, lorsque les conjonctifs |70 se rapportent tantôt au dernier substantif, tantôt à un substantif éloigné; car il en résulte ou de l'embarras ou des équivoques. comme on peut le voir par la phrase qui suit: « nous tombons, sans y penser, dans une infinité de fautes, à l'égard de ceux avec qui nous vivons, qui disposent à prendre en mauvaise part ce qu'ils souffriroient sans peine, s'ils n'avoient déjà un commencement d'aigreur dans l'esprit. »

on pourroit éviter le second qui en disant: et par là nous les disposons etc.

nous ne pouvons terminer ce chapitre, sans parler d'une sorte de construction qu'on nomme figurée: cette construction étant de toutes les langues, doit faire partie de notre travail.

la construction est figurée, ou quand les mots dans la proposition, sont en moindre nombre que les idées, ou quand ils sont plus nombreux, ou quand ils sont arrangés dans un ordre qui n'est pas l'ordre grammatical. ce qui produit autant de figures auxquelles les grammairiens ont donné des noms tirés des langues anciennes, qui signifient précisément ce qui arrive dans une proposition, quand on s'écarte de l'ordre grammatical.

1° il arrive que les mots sont en moindre nombre que les idées, toutes les fois que l'empressement où nous sommes d'énoncer l'idée qui nous affecte, ne nous permet pas de songer aux mots qui ne sont pas essentiels à son énonciation. nous retranchons tous ces mots, comme dans ces phrases: au feu, au voleur, victoire. cette figure s'appelle ellipse qui en grec signifie retranchement.

les formes elliptiques, malgré le vuide qu'elles laissent, ne sont pas moins intelligibles. il seroit même ridicule de remplir ces vuides, quand on parle, mais il est indispensable de la faire, quand on étudie une langue étrangère, parce qu'il est impossible d'en bien concevoir les sens, et dans d'en sentir toute l'énergie, si l'on n'en approfondit la raison grammaticale.

d'ailleurs plus on suppléera ce qui manque dans les constructions abrégées, et plus on facilitera l'étude d'une langue.

dès lors on verra disparoître la plus grande partie des regles, |71 surtout de celles qui ne sembloient fondées que sur des exceptions. on doit particulierement employer cette méthode, quand on enseigne le latin. en effet cette langue a beaucoup plus d'ellipses que les langues modernes; et on en conçoit aisément la raison. les mots latins étant présentés d'une maniere plus déterminée, à raison de leurs cas, il étoit plus aisé d'en supprimer quelques uns, sans nuire au sens.

l'art de remplir les vuides que laissent les ellipses, se réduit à deux points principaux. le premier est de ne suppléer que d'après les anciens, quand ils fournissent des phrases completes qui ont le même sens, ou un sens analogue à celui dont il s'agit. mais il y a tant d'ellipses dans certaines langues, qu'il n'est pas possible d'en justifier toujours les supplémens par des exemples; il faut se contenter alors de ceux qui sont indiqués par la logique grammaticale, en se rapprochant, le plus qu'il est possible, des usages de la langue dont il est question.

il est des ellipses communes à presque toutes les langues, telles que les conjonctions, les adverbes, les pronoms possessifs et les verbes actifs. il en est d'autres qui sont particulieres à chaque langue: tel peuple abrege certaines locutions que tel autre peint avec tous leurs développemens, ou qu'il abrege d'une maniere toute différente. c'est ce qui fait que la plupart des ellipses sont très difficiles à traduire.

2° il arrive qu'au lieu de supprimer des mots, on en ajoute qui paroissent surabondans, et c'est une figure contraire à l'ellipse, on la nomme pléonasme. ce mot vient aussi du grec, il signifie surabondance.

on emploie cette figure, quand on ajoute des mots dont le sens grammatical n'a aucun besoin, mais qui ajoutent à la proposition des idées accessoires, qui y répandent plus de clarté et plus de force. comme quand on dit: je l'ai vu de mes yeux. ces derniers mots, qui d'abord paroissent inutiles, augmentent l'énergie de l'expression, et annoncent qu'on a examiné la chose attentivement.

c'est par cette raison que les langues orientales répetent le même nom dans ces phrases: siecle des siecles, flâme de flâme, pour |72 désigner un temps sans fin, une flâme prodigieuse.

ces formules sont un reste de la langue primitive où les noms faisoient aussi les fonctions de qualificatifs.

quand la surabondance des mots est tout à fait inutile, Beausée veut qu'on l'appelle périssologie. il observe avec raison qu'une beauté et un défaut ne doivent pas porter le même nom.

3° il arrive que les mots sont arrangés dans un ordre opposé à l'ordre grammatical. c'est alors une figure de changement, ou d'inversion, ce qui est la même chose; car inversion vient du mot invertere qui signifie changer.

il n'est pas rare que cet ordre qui s'écarte de l'ordre grammatical se rapproche d'autant de celui de la nature, en plaçant les mots dans l'ordre même des idées, d'où leur vient cette forme que ne leur donneroit pas l'ordre grammatical qui est rarement celui des divers mouvemens de l'ame.

exemple.

« ils meurent donc, comme le reste des mortels, ces héros comblés de gloire, ces foudres de guerre, qui ont fait trembler les peuples, au bruit de leurs exploits, ces arbitres des destinées humaines qui donnoient la paix aux nations, ou la leur refusoient à leur gré. »

le grammairien froid et monotone s'exprimeroit ainsi: ces héros comblés de gloire, ces foudres de guerre, ces arbitres des destinées humaines meurent donc comme le reste des mortels.

cette maniere feroit, sans doute, comprendre ce qu'on veut dire; mais l'inversion le fait sentir. elle nous montre frappé du glaive de la mort, celui dont elle se propose de nous détailler les grandeurs passées, pour nous montrer d'avance la juste mesure de ces grandeurs passageres.

c'est surtout dans les langues qui ont des cas, qu'on peut employer, au gré de tous les mouvemens de l'ame, cette figure dont l'usage est si difficile et si rare dans les langues modernes.

ce seroit ici le moment de présenter un morceau bien écrit, où nous ferions remarquer l'application de tous les principes que nous avons développés. ce morceau, pour nous servir d'exemple, devroit renfermer une ou plusieurs périodes, où nous trouverions des propositions composées qui, dans l'analyse, nous fourniroient des propo-|73-sitions simples, lesquelles contiendroient les divers élémens de la parole que nous avons examinés. mais comme en parlant de la syntaxe, nous avons déjà traité des différentes especes de propositions, de leur formation et de celle de la période; et que nous avons fait, pendant tout le cours, un grand nombre d'analyses grammaticales et logiques, nous emploierons le peu de temps qui nous reste à écrire quelques principes de ponctuation.

d'ailleurs Condillac, Dumarsais, et surtout Gebelin nous fourniront des analyses très détaillées et très bien faites; il suffira d'y faire quelques légers changemens relatifs aux nouvelles dénominations des parties du discours. /note en marge: Condillac [?I.vol.179] Dumarsais [?I.vol.178.] Gebelin [?546.]/

 

 

De la ponctuation.

 

les anciens peuples ignoroient l'art de ponctuer; les monumens qui nous en restent n'offrent aucune distinction entre leurs phrases: ils en avoient moins besoin, il est vrai, parce qu'on n'écrivoit que ce qui étoit consacré à l'utilité publique, et que des personnes savantes étoient établies pour en donner l'explication.

on trouve néanmoins dans les écrits des anciens une suite de témoignages qui démontrent que la nécessité de cette distinction raisonnée s'étoit fait sentir de bonne heure, qu'on avoit établi des caracteres à cette fin, et que la tradition s'en conservoit d'âge en âge; d'après cela il est probable qu'on auroit porté l'art de ponctuer à sa perfection, si l'imprimerie si favorable à la propagation des lumières, eût dès lors existé.

un grammairien célèbre définit la ponctuation: « l'art d'indiquer les endroits où l'on se repose pour reprendre la respiration. » nous pensons que la ponctuation a une destination plus noble. on s'en apperçoit bien quand on décompose une période. c'est alors qu'on sent la nécessité de différens signes. aussi ne soyons plus surpris de la difficulté que trouvent dans la ponctuation tant de personnes instruites. c'est que pour bien faire connoître les regles de la ponctuation, il faut connoître la théorie de la période, en savoir bien distinguer les membres et les différentes parties de chaque membre. rien sans |74 doute de plus facile que de distinguer les signes qu'on emploie pour couper les périodes et les terminer; mais les employer à propos, c'est une véritable science dont les principes, a dit judicieusement Beausée, « sont nécessairement liés à une métaphysique très subtile que tout le monde n'est pas en état de saisir et de bien appliquer. »

« la ponctuation, dit le même auteur, est l'art d'indiquer dans l'écriture, par les signes reçus, la proportion des pauses qu'on doit faire en parlant. » on peut ajouter qu'elle sert surtout à distinguer les sens partiels qui constituent un discours et la différence des degrés de subordination qui conviennent à chacun de ces sens.

les signes reçus dans la ponctuation sont: la virgule qui marque la moindre des pauses, une pause presque insensible; le point et la virgule qui désignent une pause un peu plus grande; les deux points qui désignent un repos encore plus considérable; le point absolu, soit interrogatif, soit exclamatif, qui caracterise une pause plus complete; et l'alinea qui fait recommencer une autre ligne, afin d'indiquer la plus grande des pauses. on peut ajouter à ces signes, les points suspensifs, ce sont plusieurs points mis de suite qui annoncent une interruption, et par conséquent une distinction considérable; et les guillemets, ce sont deux virgules unies qu'on met à côté du mot qui commence chaque ligne, pour avertir que c'est une citation, un discours qui n'est pas de la personne qui écrit.

en général on ne doit rompre l'unité du discours que le moins qu'il est possible: on doit conserver, autant qu'on le peut, l'ensemble de la pensée dont la parole doit présenter une image fidèle.

ainsi la ponctuation la plus faible, la virgule, doit être employée seule, partout où l'on ne fait qu'une division des sens partiels, sans aucune sousdivision subalterne. s'il y a dans un sens total deux divisions subordonnées, il faut employer les deux ponctuations les plus faibles, la virgule et le point avec la virgule: il faut y ajouter les deux points, s'il y a trois divisions subordonnées.

|75 d'après ces observations on conclura sans doute que ce n'est pas au besoin de respirer, mais aux différens sens du discours, qu'on doit avoir égard dans la distribution des signes de la ponctuation.

quelque perfectionnée que paroisse notre maniere de ponctuer, nous serions encore loin de l'art de bien lire, si dans cet exercice, nous nous contentions des pauses indiquées par le petit nombre de signes que les anciens nous ont transmis. il nous manque encore des signes pour indiquer divers mouvemens de l'ame, tels que la pitié, la tendresse, l'horreur, l'agitation, le désespoir.

des grammairiens philosophes imaginerent, sans doute, les signes qui nous manquent, et remarquerent que ceux que nous avons déjà pourroient être placés d'une maniere plus utile. le point exclamatif, entr'autres, est souvent trop éloigné de l'endroit où commence l'exclamation. en attendant ces changemens si désirables, tachons de tracer ces regles pour bien user des signes connus.

les regles relatives à la virgule peuvent se réduire à six.

1ere regle. les parties semblables d'une même proposition composée, tels que les sujets, les attributs etc., doivent être séparées par des virgules, pourvu qu'aucune de ces parties ne soit sous divisée en d'autres parties subalternes. exemple pour plusieurs sujets: les biens, les talens, les graces, ne sont rien auprès de la vertu. chacun de ces sujets est distingué par une virgule, parce que chaque sujet, réuni à l'attribut, forme une proposition complete.

il en est de même de plusieurs attributs, de plusieurs objets d'action etc. il est aussi à remarquer que le dernier sujet est distingué, comme les autres, de l'attribut par une virgule; parce que l'attribut ne tombe pas plus sur le dernier que sur les autres, et ne doit pas avoir avec lui une liaison plus forte.

2eme regle. quand deux parties semblables d'une proposition sont liées par une conjonction, on ne met pas de virgule: la conjonction suffit pour marquer la diversité des parties; et la virgule romproit mal-à-propos l'unité du tout qu'elles constituent.

|76 3eme regle. on ne met que la virgule entre les deux membres d'une phrase, quand aucun d'eux n'est divisé en deux parties. exemple, si César eût eu la justice de son côté, Caton ne se seroit pas déclaré pour pompée.

4eme regle. dans une suite de propositions qui se succedent rapidement, si les propositions sont completes, sans être divisibles en plusieurs parties, on place la virgule après chaque proposition. exemple: le feu brille dans leurs yeux: ils se raccourcissent, ils s'allongent, ils se baissent, ils se relevent, ils s'élancent, ils sont altérés de sang.

on remarquera sans doute deux points, au lieu d'une virgule, après la premiere proposition; c'est qu'elle est plus générale que les autres, elle les renferme toutes équivalemment.

chacune de ces dernieres propositions est sans doute un tout complet, et par conséquent doit être séparée des autres: mais chacune d'elles faisant partie d'un sens unique et principal, elles ne doivent être distinguées que par le signe indiquant la séparation la plus légere possible.

mais quelque longue que soit une proposition, quand elle n'est pas divisible, il ne faut en suspendre le sens par aucun signe de ponctuation. exemple: l'amour de la justice ne permet pas d'exprimer les suites que peut avoir l'accomplissement d'un devoir de premiere nécessité.

5eme regle. il faut mettre, entre deux virgules, toute proposition incidente purement explicative, et écrire de suite, sans virgule, toute proposition incidente déterminative.

nous avons vu qu'on peut retrancher la proposition incidente explicative de la principale, sans altérer le sens de celle-ci, et qu'on ne pourroit au contraire retrancher la déterminative, sans altérer le sens de la principale. il y a donc, pour séparer l'explicative de l'antécédent, une raison qui n'a pas lieu quand il s'agit de la déterminative. il faut donc écrire avec la virgule: les plus grands talens, qui sont des dons du ciel, ne valent pas les qualités du cœur. |77 il faut écrire sans virgule: l'homme dont vous m'avez vanté les talens est encore au dessus de sa renommée.

6eme regle. tout ce que l'on ajoute à une proposition doit être séparé par des virgules, quand on peut l'ôter sans nuire à la construction grammaticale, soit que l'addition soit à la tête de la phrase, soit qu'on l'insere dans la proposition. exemple: pour votre frere, il paroît trop instruit de son mérite. ces mots, pour votre frere, doivent être distingués du reste par la virgule, parce qu'ils ne peuvent se lier grammaticalement à aucune partie de la proposition suivante, et qu'ils doivent en conséquence être regardés comme tenant à une autre proposition dont l'ellipse a fait disparoître une partie. la proposition entiere seroit: quant à ce qui regarde votre frere.

l'ellipse, comme nous l'avons déjà dit, se trouve presque partout et c'est l'ignorance des tours elliptiques qui rend la ponctuation si difficile dans la pratique. en voici un autre exemple: ô homme! la derniere heure va sonner pour toi, et tu vis comme si tu étois éternel. il faut un signe de ponctuation après ô homme. ces deux mots forment, eux seuls, une phrase entiere, et n'ont aucun lien de syntaxe avec la proposition qui les suit. c'est comme s'il y avoit: ô homme écoute moi.

nous dirons à cette occasion qu'il y a dans les périodes des liens grammaticaux et des liens logiques. on doit séparer toute proposition qui n'a avec les propositions de la même période, aucun lien grammatical, et cette séparation se fait seulement par une virgule, quand il n'y a pas d'exclamation, et qu'entre ces propositions, il reste un lien logique, un lien de sens.

on pourroit sans doute multiplier les observations sur l'usage de la virgule, mais celles que nous venons de faire suffiront pour diriger dans les cas dont nous n'avons point parlé.

la plupart des hommes ne font guère usage de la période: ils ne s'expriment qu'en phrases simples, ou tout au plus, en périodes à deux membres: la virgule et le point sont donc les seuls signes usuels du commun des hommes; c'est pourquoi nous traiterons du point |78 immédiatement après la virgule.

le point sert à marquer les sens indépendans et absolus. peu importe que la proposition soit plus ou moins longue; quand elle est terminée, c'est-à-dire quand tous les complémens sont exprimés, le point est là pour l'indiquer. nous n'en donnerons point d'exemple. la regle est facile à saisir. il y a cependant des écrivains qui multiplient trop l'usage du point, et qui tombent par là dans l'inconvenient de morceler leurs pensées.

outre le point simple et ordinaire, il y a encore dans la ponctuation deux autres points: l'interrogatif et l'exclamatif. énoncer la qualité de ces points, c'est les définir; et il ne reste plus rien à en dire quand on les a nommés.

il est seulement à remarquer que si la phrase interrogative est tellement enchassée dans la proposition principale, qu'elle soit une de ses incidentes, le point interrogatif n'a pas lieu, comme dans cet exemple: quand un enfant bien élevé fait une faute, un instituteur attentif lui demande par quel motif il s'est laissé déterminer.

on a recours à l'alinea pour distinguer les diverses preuves d'une même vérité; les diverses considérations que l'on peut faire sur un même fait; les différentes affaires dont on parle dans une lettre, dans un mémoire; en un mot toutes les fois qu'il se trouve dans l'esprit, entre ce que l'on vient de traiter et ce que l'on va traiter, un repos assez considérable pour que ce signe de ponctuation ne soit pas déplacé.

il nous reste à parler des deux autres signes dont l'emploi suppose plus de connoissances que nous n'avons pu en donner dans un cours de grammaire. ce sont le point avec la virgule et les deux points.

nous allons essayer de tracer des regles sures qui fixent l'emploi de ces deux signes, de maniere que sans avoir étudié l'art d'écrire, et avec les simples notions du mécanisme de la période, on puisse nous comprendre.

commençons par exclure tous les cas où l'usage de ces deux signes ne peut avoir lieu. cette exclusion sera un pas de plus vers la connoissance de ceux où leur emploi est de rigueur.

quand la proposition conserve la simplicité originelle, les |79 signes de ponctuation se réduisent au point qui la termine. il en est de même d'une proposition où les deux sujets sont liés par une conjonction.

si la proposition renferme plusieurs sujets ou plusieurs objets, sans avoir plus d'un membre, on a recours à la virgule.

dans aucun de ces cas on ne peut employer ni les deux points ni le point avec la virgule. il pourroit même y avoir deux membres dans la proposition, sans qu'on fût obligé d'employer de nouveaux signes, comme dans cet exemple: le courage fait les héros, la vertu fait les sages. la raison de cette regle, c'est que chacun de ces deux membres est une proposition simple où l'on ne peut rien diviser. mais si chaque membre se composoit d'une autre idée et exigeoit la virgule, il faudroit alors un signe de plus, la virgule avec le point, comme on le voit dans l'exemple suivant: le courage fait les héros, en leur faisant affronter les plus grands dangers; la vertu fait les sages, en les rendant supérieurs aux passions.

on remarquera que les deux membres de cette période ne sont plus aussi simples qu'ils l'étoient; que chacun a un complément. on remarquera aussi qu'il y a une séparation plus grande entre chaque membre, qu'entre la proposition de chaque membre et son complément. aussi voit-on le point et la virgule entre les deux membres, tandis que les propositions ne sont séparées de leur complément que par la virgule.

enfin en s'élevant jusqu'à la période la plus étendue, on parvient à lier ensemble plusieurs propositions; et comme ces différentes parties sont plus ou moins séparées entr'elles, il faut aussi différens signes de séparation. de là, outre le point et la virgule, l'invention des deux points, et du point avec la virgule.

quelle différence y a-t'il entre ces deux signes? quand doit-on employer l'un de préférence à l'autre?

pour résoudre cette question qui a tant occupé les grammairiens, prenons pour exemple la période suivante, qui, comme nous le ferons voir, peut facilement se décomposer en six propositions.

|80 « l'amour est une passion de pur caprice, qui attribue du mérite à l'objet aimé, mais qui ne fait pas aimer le mérite: à qui la reconnoissance est inconnue; parce que, chez lui, tout se rapporte à la volupté, et que rien n'y est lumière, ni ne tend à la vertu. »

dans cette période, on distingue deux membres. le premier est composé de tout ce qui précède ces mots: à qui la reconnoissance etc.; le second comprend tout le reste. ces deux membres doivent être séparés par les deux points, en voici la raison: il y a toujours une séparation plus grande entre les deux membres d'une période, qu'entre les parties de chaque membre; ainsi dès qu'on a employé la virgule pour la distinction des parties d'un membre, il faut au moins la virgule avec le point pour la distinction des membres eux-mêmes. mais comme dans cette période, la virgule a été employée pour la séparation de la seconde premiere partie du premier membre, et la virgule avec le point pour la séparation de la seconde partie, on doit, pour observer la gradation proportionnelle des sens, indiquer par deux points la séparation des deux membres.

si la phrase principale du premier membre étoit seulement accompagnée de la premiere incidente, et qu'on ne conservât du second membre que la phrase principale, au lieu des deux points qui séparent les deux membres, on ne devroit mettre que le point avec la virgule. exemple: « l'amour est une passion de pur caprice, qui attribue du mérite à l'objet aimé; à qui la reconnoissance est inconnue. »

si la période étoit ainsi réduite: l'amour est une passion de pur caprice, à qui la reconnoissance est inconnue, alors la virgule suffiroit, on pourroit même s'en passer, si l'on disoit seulement: l'amour est une passion à qui la reconnoissance est inconnue.

c'est en composant et en décomposant ainsi des périodes qu'on peut apprendre, d'une maniere sure, à employer, à propos, les divers signes de la ponctuation; c'est ainsi qu'on en pourroit |81 créer les regles, si elle n'étoient pas déjà fixées.

pour nous rendre ces regles plus familieres, nous en ferons l'application à différens exemples.

en général, quand on a employé dans la ponctuation d'un des membres d'une période, le point avec la virgule, il faut deux points entre les deux exemples: l'esprit, les talens, le génie, procurent la célébrité; c'est le premier pas vers la renommée: mais les avantages en sont peut-être moins réels que ceux de la réputation d'honneur.

« si un membre de la période, dit Beausée, renferme plusieurs incises sous divisées en parties subalternes, il faudra distinguer entr'elles, par la virgule, ces parties subalternes; les incises, par un point et une virgule, et les deux membres par les deux points. »

exemple.

« si vous ne trouvez aucune maniere de gagner honteuse, vous qui êtes d'un rang pour lequel il n'y en a point d'honnête; si tous les jours c'est quelque fourberie nouvelle, quelque traité frauduleux, quelque tour de fripon, quelque vol; si vous pillez et les alliés et le trésor public; si vous mandiez des testamens qui vous soient favorables, ou si même vous en fabriquez: (premier membre avec quatre incises) dites-moi, sont-ce là des signes d'opulence ou d'indigence? (second membre). »

le point avec la virgule ne peut être employé que dans la phrase composée et dans la période: mais les deux points servent à différentes fins. outre qu'on les emploie, comme le point avec la virgule, dans la période et dans la phrase composée, on s'en sert encore quand on annonce un exemple, un discours. d'où il suit que si une énumération est précédée d'une proposition détachée qui l'annonce, ou ce qui en montre l'objet sous un point de vue général, cette proposition doit être distinguée du détail par deux points. exemple: « il y a dans la nature de l'homme deux principes opposés: l'amour propre, qui nous rappelle à nous, et la bienveillance, qui nous répand. »

|82 il nous semble aussi que dans une énumération de maximes relatives à un point capital de sentences adaptées à la même fin, si elles sont toutes construites à-peu-près de la même maniere, elles doivent être distinguées par les deux points.

exemples.

« l'heureuse conformation des organes s'annonce par un air de force: celle des fluides par un air de vivacité: un air fin est comme l'étincelle de l'esprit: un air doux promet des égards flatteurs: un air noble marque l'élévation des sentimens: un air tendre semble être le garant d'un [?reland] d'amitié. »

ici se termine cet essai de grammaire générale auquel le temps et les circonstances ne nous ont pas permis de donner plus d'étendue et de plus grands développemens.

ceux qui auront saisi ces principes généraux pourront apprendre facilement différentes langues. en effet les grammaires particulieres ne sont que les principes de la grammaire générale, modifiés par le génie particulier de chaque langue. en sorte que partout où ce génie cesse d'agir, on retrouve la grammaire universelle, et que partout où il agit, il est encore tenu de se conformer aux lois qu'elle lui impose. il ne manque à ceux qui voudront bien connoître les richesses et le génie de leur langue, que de la comparer avec quelqu'autre langue, et de se rendre raison des regles particulieres à chacune d'elles.