Quatrième partie. La logique
Table des matières | Notions préliminaires. | Grammaire générale. |
Suite du cours de grammaire générale. |
3eme partie. Grammaire française. |
4eme partie. La logique. |
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4eme partie.
La logique ou les premiers développemens de l'art de raisonner.
Introduction.
dans l'origine des sociétés, il n'y avoit encore ni sciences ni arts. toutes les connoissances se bornoient à quelques observations que le besoin avoit fait faire, et qui étoient en trop petit nombre pour qu'on sentît la nécessité de les diviser en différentes classes.
lorsque les observations en tous genres se furent multipliées, on eut besoin d'y mettre de l'ordre, et c'est alors qu'on les distribua par classes. on fit une collection de celles qui appartenoient à l'agriculture, une autre de celles qui concernoient l'astronomie etc.
pour ne rien confondre dans ces collections, on réduisit à des principes généraux les observations que l'on avoit faites. par ce moyen, toutes les connoissances se trouverent exprimées d'une maniere abrégée, et il fut facile de les parcourir en descendant des plus générales aux moins générales.
ceux qui rédigerent ainsi les connoissances humaines parurent avoir créé les sciences. leur méthode étoit bonne pour eux et pour toutes les personnes qu'ils supposoient instruites. mais il est évident qu'elle exposoit les connoissances dans un ordre contraire à celui dans lequel on les avoit acquises. car enfin on n'avoit pas commencé |[169] par des principes généraux, on avoit commencé par des observations.
cependant, parce que cette méthode étoit claire, qu'elle étoit même la plus simple pour ceux qui avoient observé, on jugea qu'elle devoit être encore la plus propre à l'instruction, et on oublia que l'on s'étoit instruit par une autre méthode. au lieu donc de conduire les enfans d'observation en observation, comme des ignorans que l'on veut instruire, on commença avec eux comme s'ils avoient été instruits, et qu'il ne restât plus qu'à mettre de l'ordre dans leurs connoissances: ils ne purent rien comprendre aux principes généraux, et ce fut alors que l'on dit: ils ne sont pas capables de connoissances, il faut attendre qu'ils aient l'âge de raison. mais il n'y pas d'âge où l'on puisse comprendre les principes généraux d'une science, si l'on n'a pas fait les observations qui ont conduit à ces principes.
la nature a indiqué aux premiers hommes l'unique méthode des découvertes, puisqu'elle les a mis dans la nécessité d'observer; et, s'ils n'ont fait d'abord que des progrès bien lents, ce n'est pas que cette méthode soit lente par elle-même; c'est que l'instrument avec lequel ils observoient ne leur étoit pas assez connu.
ils se seroient servis de leur esprit avec la même facilité qu'ils se servoient de leurs bras, si, dès les commencemens, ils avoient connu les facultés de leur entendement aussi bien qu'ils connoissoient les facultés de leur corps. capables de régler toutes les opérations de la pensée, ils auroient bientôt appris à lui donner de nouvelles forces. ils auroient trouvé des méthodes comme ils ont trouvé des leviers; et nous remarquerions en eux des progrès rapides, toutes les fois qu'ils auroient senti le besoin d'employer les forces de leur esprit, comme ils ont senti le besoin d'employer les forces de leur corps.
les hommes se sont rarement trompés sur les moyens de satis-|[170]faire les besoins les plus pressans. s'ils ont jugé avant d'avoir fait assez d'observations, ou après les avoir mal faites, l'expérience les aura bientôt avertis de leurs méprises.
il n'en n'étoit pas de même des choses de spéculation. lorsqu'ils en jugeoient mal, l'expérience ne les éclairoit pas, ou ne les éclairoit que difficilement, et ils devoient rester dans leurs erreurs pendant des siecles.
les peuples n'ont fait des recherches que parce qu'ils ont senti la nécessité de s'instruire; et les connoissances, d'abord en petit nombre, parce qu'on avoit peu de besoins, se sont multipliées ensuite, à mesure que de nouveaux besoins ont fait faire de nouvelles études.
il devoit donc arriver un temps où les sociétés, assurées de leur subsistance, rechercheroient les choses qui pouvoient contribuer aux commodités et aux agrémens de la vie. ce fut alors que commencerent les beaux arts, et le goût commença avec eux.
un heureux instinct qu'on nommoit talent, c'est-à-dire une maniere de voir plus sure et mieux sentie, guidoit à leur insu les meilleurs esprits. leurs écrits devenoient des modeles, et on chercha, dans ces écrits, par quel artifice, inconnu même à eux, ils produisoient le plaisir et la lumière. plus ils étonnoient, plus on imagina qu'ils avoient des moyens extraordinaires, quand on auroit dû n'en chercher que de simples. on crut donc bientôt avoir deviné les hommes de génie; mais on ne les devine pas facilement: leur secret est d'autant mieux gardé, qu'il n'est pas toujours en leur pouvoir de le révéler.
on a donc cherché les regles de l'art de raisonner où elles n'étoient pas; et c'est là vraisemblablement que nous les chercherions |[171] nous-mêmes, si nous avions à commencer cette recherche. mais, en les cherchant où elles ne sont pas, on nous a montré où elles sont; et nous pouvons nous flatter de les trouver si nous savons bien observer.
or, comme l'art de mouvoir les grandes masses a ses lois dans les facultés du corps et dans les leviers dont nos bras ont appris à se servir, l'art de raisonner a les siennes dans les facultés de l'ame et dans les leviers, dont notre esprit a également appris à se servir: il faut donc observer ces facultés et ces leviers.
d'après l'analyse des facultés de l'ame, telle que nous l'avons donnée dans la 1ere partie de ce cours, il résulte qu'elles peuvent toutes se rapporter à deux facultés générales, dont l'une a pour objet le vrai, et l'autre, le bon. la premiere se nomme entendement, la seconde se nomme volonté.
les opérations de la volonté sont l'objet de la morale; celles de l'entendement sont celui de la logique, que l'on peut définir: l'art de diriger l'esprit humain dans la recherche et dans l'exposition de la vérité.
les opérations de l'entendement se réduisent à quatre principales, qui sont: l'idée, le jugement, le raisonnement et la méthode, ce qui divise la logique en autant de sections.
1ere section.
De l'idée.
comme nous avons déjà traité cette partie dans l'idéologie, nous ne ferons ici qu'une simple récapitulation.
en détachant de nos sensations la chaîne de nos connoissances, la philosophie en perdit le 1er anneau: tout commence pour nous à la sensation; c'est le tact qui la change en idée.
avant l'institution du langage, l'esprit avoit des images ou des idées sensibles. ces idées étoient nécessaires à l'institution des signes. mais |[172] l'esprit, en établissant le langage, se trouve naturellement conduit à obtenir de nouveaux genres d'idées. parmi ces idées, les unes sont dues à la décomposition de la pensée; les autres, à la combinaison.
idées abstraites. la pensée subit à l'occasion du langage une double décomposition. d'abord l'esprit démêle dans un faisceau de sensations chaque sensation particuliere; ensuite il considère une seule sensation sous différens rapports. le même travail s'opère sur les images, et de là naissent les idées abstraites. cette double décomposition résulte de la nécessité où l'individu se trouve de donner une suite de signes successifs et différens à chaque partie pour la faire comprendre. ainsi, la pensée se trouve analysée, à-la-fois, et par celui qui parle et par celui qui écoute.
idées complexes. l'esprit opère aussi sur les idées, à l'occasion du langage, d'une maniere absolument opposée: il exécute sur elles un double mode de composition. d'abord, il réunit sous un seul signe les impressions variées qu'un sujet lui avoit transmises: ces idées sont la copie, plus ou moins exacte, des objets extérieurs. ensuite, il forme des compositions toutes nouvelles, sur un plan de sa création, quoique déterminé par ses besoins: ces idées, sans modele extérieur, sont celles que Locke a nommées archetypes.
du 1er et du 2d ordre. quelque fois le faisceau des idées ainsi associées sous le même signe est assez peu composé pour que l'esprit puisse en appercevoir le détail d'un seul acte de l'attention, ce sont les composées du 1er ordre; quelque fois leur nombre excède l'étendue des forces de l'esprit; alors il se borne à réunir plusieurs signes sous un seul signe qui les lui rappelle. souvent il répète plusieurs fois cette opération; alors il n'a plus que les signes de ses idées, mais il peut s'en rendre compte à volonté. ces idées sont les complexes du second ordre.
diversement composées. d'abord, on peut réunir des images |[173] simples pour en former un tableau sensible; ainsi, en réunissant des idées de couleurs, de formes, d'odeurs, nous nous formons l'idée complexe d'un parterre. ensuite, nous pourrons unir ensemble des idées sensibles et des idées abstraites pour en former une combinaison qui ne sera proprement ni sensible ni abstraite, mais un mélange des deux especes; telle est l'idée d'un homme, par exemple, qui associe à celle d'une certaine forme et de plusieurs autres propriétés physiques celles de diverses facultés morales et intellectuelles.
nous nous bornons souvent aussi à former des combinaisons d'idées abstraites.
mais quelque fois ces idées abstraites seront variées entr'elles; c'est ainsi, par exemple, que nous composons l'idée de la sagesse, dans laquelle nous réunissons celles de diverses facultés de notre esprit.
quelque fois ces idées abstraites ne sont toutes proprement que la répétition d'une même idée simple; alors l'idée complexe n'est autre chose que cette idée simple souvent répétée; telles sont toutes les idées de l'espace, de la durée, des quantités: ce sont les idées auxquelles Locke a donné le nom d'idées complexes des modes simples.
de là résultent quatre classes d'idées complexes: celles des idées complexes sensibles, celle des idées complexes sensibles-abstraites, celle des idées complexes abstraites-mixtes, enfin celle des idées complexes des modes simples.
il est à remarquer que ces dernieres sont les plus faciles de toutes à déterminer, et que les jugemens qu'on en porte sont les moins sujets à l'erreur.
rapport du signe à l'idée. il faut distinguer dans le signe deux principales fonctions: l'une en vertu de laquelle il excite l'idée et en détermine la présence dans l'esprit; l'autre en vertu de laquelle il nous aide à remarquer une idée qui nous est offerte, et à nous en rendre compte. sous le 1er rapport, le signe est le ministre de l'imagination et de la mémoire, on peut l'appeler excitateur; sous le second, il est celui de |[174] l'attention, on peut lui donner la qualité de conducteur. ces fonctions s'exercent d'une maniere plus ou moins parfaite selon la nature de l'idée et selon la nature du signe.
2eme section.
Du jugement.
une perception isolée dans l'esprit n'est point encore un jugement. mais lorsqu'ayant à-la-fois la perception d'une sensation et celle du moi que cette sensation modifie, ou celle de l'objet étranger qui la produit, l'individu rapporte cette sensation, ou à cet objet comme à sa cause, ou à son moi comme à son sujet, la sensation devient un fait interne. ces perceptions associées deviennent une connoissance, et l'acte par lequel l'esprit les associe est un jugement.
je n'adopterai donc pas la définition que quelques philosophes donnent du jugement, lorsqu'ils disent qu'il consiste dans la comparaison de deux sensations.
sans doute, cette comparaison sert aussi de matiere à nos jugemens; mais une sensation très simple peut être déjà l'occasion d'un jugement. un individu qui n'auroit toute sa vie qu'une sensation pourroit cependant porter et répéter ce jugement: je sens.
je ne dirai pas même que le jugement est la comparaison de deux perceptions; car, la comparaison peut avoir lieu entre deux perceptions isolées l'une de l'autre. lorsque je dis: je sens, je ne me borne pas à comparer la perception de moi avec la perception d'une sensation. la comparaison abstraite de ces deux perceptions ne m'apprend rien; car, je puis fort bien exister sans avoir cette sensation, et cette sensation peut exister ailleurs qu'en moi. lorsque je dis: je sens, j'ajoute donc quelque chose encore, j'ajoute le lien d'une association mutuelle entre ces perceptions; cette association est fondée sur la connoissance que j'ai prise du concours de ces deux |[175] choses dans une existence commune.
il faut observer que l'ame juge par habitude ou par réflexion. elle juge par habitude lorsqu'elle le fait d'après une maniere de juger qui lui est devenue familiere, et ses jugemens sont alors si prompts qu'elle est incapable de remarquer dans le moment tous les motifs qui la déterminent.
l'ame juge par réflexion toutes les fois qu'elle observe des objets qui sont nouveaux pour elle. alors elle conduit les opérations de son entendement avec une lenteur qui lui permet de remarquer les motifs qui la déterminent; c'est ainsi que nous étudions les arts et les sciences.
toutes les habitudes du corps ont pour principes des jugemens d'habitude: quand j'évite une pierre dont je suis menacé, c'est que je juge de sa direction, du mal qu'elle me fera si elle m'atteint, et du mouvement que je dois faire pour l'éviter. tous ces jugemens sont en moi, et si je ne les remarque pas, c'est qu'il se font tous au même instant.
ces habitudes veillent efficacement à notre conservation; il est évident que la réflexion seroit trop lente.
si on ne comprend pas qu'il a fallu comparer, raisonner pour les acquérir, c'est que nous ne pouvons nous rappeller le temps où nous ne les avions pas. mais jugeons de ces habitudes par celles que nous nous souvenons d'avoir acquises, et qui ont demandé de notre part une longue étude; telle est, par exemple, l'habitude de lire.
il est à remarquer que dans les habitudes que l'esprit contracte les idées se lient entr'elles de deux manieres. si elles s'associent pour s'offrir toujours à nous toutes au même instant, nous avons de la peine à les observer les unes après les autres. si, au contraire, elle se lient pour former des suites, nous les voyons se succéder, et une seule suffit pour en rappeller successivement plusieurs. ces liaisons, quand elles devien-|[176]nent familieres, sont autant d'habitudes auxquelles la pensée obéit, sans aucune réflexion de notre part.
on voit par là que la liaison des idées est le principe de la mémoire: elle est, pour ainsi dire, l'unique ressort de la pensée. c'est elle qui lui donne cette rapidité qui nous étonne; et c'est par elle que l'imagination fait avec promptitude une multitude de combinaisons.
comme le corps paroît se mouvoir par instinct lorsqu'il obéit à ses mouvemens d'habitude, l'ame paroît juger par inspiration lorsqu'elle obéit à ses liaisons d'idées. l'un et l'autre doivent à leurs habitudes toutes les graces et tous les talens dont ils sont susceptibles.
c'est ainsi, par exemple, que le goût se forme d'après les habitudes que nous avons contractées. il n'est que le résultat de plusieurs idées que nous avons liées; et ces liaisons conservent en nous des modeles que nous n'examinons plus, et d'après lesquels nous jugeons rapidement du beau.
mais, quoique les habitudes se soient acquises par une suite de comparaisons et de raisonnemens, il ne s'ensuit pas que nous ayons toujours assez réfléchi avant de les contracter. la facilité avec laquelle nous les acquérions ne le permettoit pas; voilà pourquoi elles sont bonnes ou mauvaises. si elles sont le principe de toutes les graces et de tous les talens, elles sont aussi la cause de tous nos défauts et de toutes nos erreurs. Locke a remarqué que la folie vient uniquement de quelque association d'idées, c'est-à-dire de quelques faux jugemens, d'après lesquels nous nous sommes fait une habitude de juger. ce sont de pareilles associations qui nous font un mauvais goût et un esprit faux.
Du jugement exprimé.
un jugement exprimé par des mots s'appelle proposition.
l'idée qui est affirmée ou niée se nomme l'attribut de la proposition; l'autre idée en est le sujet.
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Des différentes especes de propositions.
comme nous avons considéré dans la grammaire la proposition sous différens rapports, nous ne la considérons ici que sous les rapports qui n'ont pas été examinés et qu'il importe de connoître.
la proposition est universelle, particuliere ou singuliere.
une proposition est appellée universelle lorsque le sujet de cette proposition a toute l'étendue qu'il peut avoir, et comprend tous les individus d'une espece sans aucune exception. les propositions universelles commencent ordinairement par les mots tout ou nul; comme, tout homme est sujet à l'erreur; nul homme n'est immortel.
quand le sujet a moins d'étendue, la proposition devient particuliere; comme, quelques hommes sont vertueux; quelques hommes ne sont pas méchans.
le sujet d'une proposition singuliere est un seul individu; comme, Aristote est le prince des philosophes.
ces propositions se rapportent aux propositions universelles, parce que, dans les unes comme dans les autres, le sujet est pris dans toute son étendue.
on ne peut pas toujours juger de l'universalité ou de la d'une proposition par les expressions seules; il faut souvent faire attention au but que se propose celui qui parle. personne n'entend tous les hommes sans exception quand on dit: tous les hommes savent telle ou telle chose.
deux propositions sont opposées quand elles ont le même sujet et le même attribut et que l'une est affirmative et l'autre négative: tous les turcs sont mahométans; tous les turcs ne sont pas mahométans.
on les appelle contradictoires quand une des propositions dit précisément ce qu'il faut pour contredire l'autre: tout homme est mortel, tout homme n'est pas mortel.
on les nomme contraires quand l'une dit plus qu'il ne faut pour |[178] contredire l'autre: tout homme est mortel, aucun homme n'est mortel.
les contradictoires ne peuvent être ni vraies ni fausses à-la-fois; car il est impossible que la même chose soit et ne soit pas.
les contraires ne peuvent pas non plus être vraies à-la-fois: si tout homme est juste, il est impossible qu'aucun homme ne soit juste; mais elles peuvent être fausses toutes les deux, comme on le voit évidemment par cet exemple: tout homme est juste, aucun homme n'est juste.
la proposition identique est celle où la même idée est affirmée d'elle-même; et par conséquent, toute vérité est une proposition identique. en effet, cette proposition: l'or est jaune, pesant, fusible, etc., n'est supposée vraie que parce qu'on s'est formé de l'or une idée complexe qui renferme toutes ces qualités. si, par conséquent, nous substituons l'idée complexe au nom de la chose, nous aurons cette proposition: ce qui est jaune, pesant, fusible est jaune pesant fusible.
en un mot, une proposition n'est que le développement d'une idée complexe, en tout ou en partie. elle ne fait donc qu'énoncer ce qu'on suppose déjà renfermé dans cette idée: elle se borne à affirmer que le même est le même.
cela est surtout sensible dans cette proposition et dans ses semblables: deux et deux font quatre. on le remarqueroit encore dans toutes les propositions de géométrie, si on les observoit dans l'ordre où elles naissent les unes des autres.
un enfant qui apprend à compter croit faire une découverte la premiere fois qu'il remarque que deux et deux font quatre. il ne se trompe pas; c'en est une pour lui. voilà ce que nous sommes.
quoique toute proposition vraie soit en elle-même identique, elle ne doit pas le paroître à celui qui remarque pour la premiere fois le rapport des termes dont elle est formée; c'est, au contraire, une proposition instructive, une découverte.
|[179] par conséquent, une proposition peut être identique pour l'un et instructive pour l'autre. le blanc est le blanc, est identique pour tout le monde et n'apprend rien à personne. les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits, ne peut être identique que pour un géomètre.
ce n'est donc point en elle-même qu'il faut considérer une proposition, pour déterminer si elle est identique ou instructive; mais c'est par rapport à l'esprit qui en juge.
une intelligence d'un ordre supérieur pourroit à ce sujet regarder nos plus grands philosophes comme nous regardons nous-mêmes les enfans: elle pourroit, par exemple, donner pour un des premiers axiomes de géométrie, le quarré de l'hypotenuse est égal aux quarrés des deux autres côtés. cependant que feroit-elle dans les sciences qu'elle se flatteroit d'avoir approfondies? un recueil de propositions où elle diroit, de mille manieres différentes, le même est le même. elle appercevroit au 1er coup d'œil l'identité de toutes nos propositions, parce que ses lumières seroient supérieures aux nôtres; et parce qu'il y auroit encore des ténèbres pour elle, elle feroit des analyses pour faire des découvertes, c'est-à-dire pour faire des propositions identiques. ce n'est qu'à des esprits bornés qu'il appartient de créer des sciences.
il y a deux raisons qui font qu'une proposition identique en elle-même est instructive pour nous. la premiere, c'est que nous n'acquérons que l'une après l'autre les idées partielles que nous avons renfermées dans une notion complexe.
tout un systeme peut n'être qu'une seule et même idée. tel est celui dans lequel la sensation devient successivement attention, mémoire, comparaison etc.: il renferme une suite de propositions instructives par rapport à nous, mais toutes identiques en elles-mêmes; et chacun remarquera que cette maxime générale, qui comprend tout le systeme, les connoissances et les facultés hu-|[180]maines ne sont dans le principe que sensation; peut être rendue par une expression plus abrégée, et tout-à-fait identique; car, étant bien analysée, elle ne signifie autre chose sinon que les sensations sont des sensations. si nous pouvions dans toutes les sciences suivre également la génération des idées, et saisir partout le vrai systeme des choses, nous verrions d'une vérité naître toutes les autres, et nous trouverions l'expression abrégée de tout ce que nous saurions dans cette proposition identique, le même est le même.
De la définition.
définir c'est expliquer. définir une chose c'est en faire connoître les propriétés.
pour qu'une définition soit bonne, il faut qu'elle indique le genre et la différence; c'est-à-dire, elle doit faire voir les rapports qui sont communs à la chose définie et à d'autres objets, voilà le genre; et faire voir les rapports qui lui sont propres, voilà la différence. prenons pour exemple la définition du verbe. le verbe est une espece de mot qui lie la qualité au sujet. une espece de mot exprime ce que le verbe a de commun avec les autres parties du discours; qui lie la qualité au sujet exprime ce qui lui est particulier.
je ne conclurai pas de là, comme Condillac, que définir un objet c'est dire que le même est le même. il est vrai que, pour qu'une définition soit bonne, le mot qui est défini et la définition de ce mot doivent être la même chose, puisqu'une définition n'est qu'une explication détaillée. je conclurai plutôt que c'est pour cette raison là même que l'on a dû définir ce mot, pour faire voir en quoi il consiste positivement, afin de le distinguer des autres especes de mots.
ainsi je conviendrai avec le célèbre écrivain, 1° que ce n'est pas par des définitions qu'il faut commencer à traiter une matiere; 2° qu'il y a des idées qu'on ne détermine point ou qu'au moins on ne détermine |[181] pas au gré de tout le monde, parce que les hommes n'ayant pu s'accorder à les composer de la même maniere, elles sont nécessairement indéterminées; telle est celle que nous désignons par le mot esprit.
on dit aussi qu'une définition, pour être bonne, doit convenir à tout le défini et au seul défini. ou la définition du verbe convient 1° à tout le défini, puisqu'elle convient à toute espece de verbes; 2° elle convient au seul défini, car elle ne convient à aucune autre espece de mots ni à aucun autre objet.
on distingue ordinairement deux sortes de définitions: l'une de mot, l'autre de chose.
la premiere peut se subdiviser; car ou l'on définit un mot pour soi et pour ceux avec qui l'on dispute, et alors elle est arbitraire; ou l'on indique les idées que le public attache à ce mot, et alors elle ne peut être arbitraire.
la définition de chose se subdivise aussi: on en distingue trois sortes. l'une explique la nature de la chose; les mathématiques et la morale en fournissent des exemples. l'autre ne remonte pas jusqu'à la nature de la chose; mais, parmi les propriétés connues, elle en saisit une d'où toutes les autres découlent; telle est celle-ci: l'ame est un être capable de sensation. ces sortes de définitions sont imparfaites; encore est-il rare d'en pouvoir faire d'aussi bonnes: car plus nous connoissons de propriétés dans un objet, plus il nous est difficile d'en découvrir une qui soit le principe des autres. il ne nous reste donc qu'à faire l'énumération de toutes ces propriétés, à décrire la chose comme nous la voyons; et c'est la derniere espece de définitions.
Des objets de nos jugemens.
il n'y a, à proprement parler, qu'une science; c'est l'histoire de la nature: science trop vaste pour nous, et dont nous ne pouvons saisir que quelques branches.
ou nous observons des faits, ou nous combinons des idées abstraites. ainsi l'histoire de la nature se divise en science de vérités sensibles, la physique, et |[182] en science de vérités abstraites, la métaphysique.
quand je distingue l'histoire de la nature en science de vérités sensibles et en science de vérités abstraites, c'est que je n'ai égard qu'aux principaux objets dont nous pouvons nous occuper. quel que soit le sujet de nos études, les raisonnemens abstraits sont nécessaires pour saisir les rapports des vérités sensibles, et les idées sensibles sont nécessaires pour se faire des idées abstraites et pour les déterminer. ainsi, l'on voit que, dès la 1ere division, les sciences rentrent les unes dans les autres: aussi se prêtent-elles des secours mutuels et c'est en vain que les philosophes tentent de mettre des barrières entr'elles. il est très raisonnable à des esprits bornés comme nous de les considérer chacune à part; mais il seroit ridicule de conclure qu'il est de leur nature d'être séparées. il faut toujours se ressouvenir qu'il n'y a véritablement qu'une science; et si nous connoissons des vérités qui nous paroissent détachées les unes des autres, c'est que nous ignorons le lien qui les réunit dans un tout.
la métaphysique est de toutes les sciences celle qui embrasse le mieux tous les objets de nos connoissances: elle est tout à-la-fois science de vérités sensibles, et science de vérités abstraites; science de vérités sensibles, parce qu'elle est la science de ce qu'il y a de sensible en nous, comme la physique est la science de ce qu'il y a de sensible au dehors; science de vérités abstraites, parce que c'est elle qui crée les principes généraux, qui forment les systemes et qui donne toutes les méthodes de raisonnement.
la métaphysique, lorsqu'elle a pour seul objet l'esprit humain, peut se distinguer en deux especes; l'une de réflexion, l'autre de sentiment. la premiere démêle toutes nos facultés; elle en voit le principe et la génération, et elle dicte en conséquence des regles pour les conduire: on ne l'acquiert qu'à force d'étude.
la seconde sent nos facultés; elle obéit à leur action, elle suit des principes qu'elle ne connoît pas: on l'a sans paroître l'avoir acquise, parce que d'heureuses circonstances l'ont rendue naturelle. elle est le partage des esprits justes; elle en est, pour ainsi dire, l'instinct. la métaphysique de |[183] réflexion n'est donc qu'une théorie qui développe dans le principe et dans les effets tout ce que pratique la métaphysique de sentiment. celle-ci, par exemple, sait les langues, celle-là en explique le systeme: l'une forme les orateurs et les poëtes; l'autre donne la théorie de l'éloquence et de la poësie.
Des motifs de nos jugemens.
je distingue trois sortes d'évidences: l'évidence de fait, l'évidence de sentiment, l'évidence de raison.
nous avons l'évidence de fait, toutes les fois que nous nous assurons des faits par notre propre expérience observation. lorsque nous ne les avons pas observés nous-mêmes, nous en jugeons sur le témoignage des autres, et ce témoignage supplée plus ou moins à l'évidence.
quoique vous n'ayez pas été à rome, vous ne pouvez douter de l'existence de cette ville; mais vous pouvez avoir des doutes sur le temps et les circonstances de sa fondation. parmi les faits dont nous jugeons d'après le témoignage des autres, il y a en donc qui sont comme évidens, ou dont nous sommes assurés, comme si nous les avions observés nous-mêmes; il y en a d'autres qui sont fort douteux. alors la tradition qui les transmet est plus ou moins certaine, suivant la nature des faits, le caractere des témoins, l'uniformité des rapport et l'accord des circonstances.
vous êtes capable de sensations; voilà une chose dont vous êtes sur par l'évidence de sentiment.
mais à quoi peut-on s'assurer d'avoir l'évidence de raison? à l'identité. deux et deux font quatre, est une vérité évidente d'évidence de raison, parce que cette proposition est pour le fond la même que celle-ci: deux et deux font deux et deux. elles ne different l'une de l'autre que par l'expression.
je suis capable de sensation; vous n'en doutez pas, et cependant vous n'avez à cet égard aucune des trois évidences. vous n'avez pas l'évidence de fait, car vous ne pouvez pas observer vous-même mes propres sensations. par la même raison, vous n'avez pas l'évidence de sentiment, puisque je sens |[184] moi seul les sensations que j'éprouve. enfin vous n'avez pas l'évidence de raison; car cette proposition: j'ai des sensations, n'est identique avec aucune des propositions qui vous sont évidemment connues.
le témoignage des autres supplée à l'évidence de sentiment et à l'évidence de raison, comme à l'évidence de fait. je vous dis que j'ai des sensations, et vous n'en doutez pas; les géomètres vous disent que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits, et vous le croyez également.
au défaut des trois évidences et du témoignage des autres, nous jugeons encore par analogie. vous observez que j'ai des organes semblables aux vôtres, et que j'agis comme vous en conséquence de l'action des objets sur mes sens. vous en concluez que, ayant vous-même des sensations, j'en ai également. or, remarquer des rapports de ressemblance entre des phénomènes qu'on observe, s'assurer par là d'un phénomène qu'on ne peut pas observer, c'est ce qu'on appelle juger par analogie.
voilà tous les moyens que nous avons pour acquérir des connoissances. car, ou nous voyons un fait, ou on nous le rapporte, ou nous nous en assurons par sentiment, ou enfin nous jugeons d'une chose par analogie avec une autre.
chacun de ces articles demande quelques développemens.
De l'évidence de raison.
pour bien raisonner, il faut savoir exactement ce que c'est que l'évidence, et pouvoir la reconnoître à un signe qui exclue absolument toute sorte de doutes.
une proposition est évidente, ou par elle-même, ou parce qu'elle est une conséquence évidente d'une autre proposition qui est par elle-même évidente.
une proposition est évidente par elle-même, lorsque celui qui connoît la valeur des termes ne peut douter de ce qu'elle énonce; telle est celle-ci: un tout est égal à ses parties prises ensemble.
|[185] or, pourquoi celui qui connoît exactement les idées qu'on attache aux différens mots de cette proposition ne peut-il pas douter de son évidence? c'est qu'il voit qu'elle est identique, ou qu'elle ne signifie autre chose sinon qu'un tout est égal à lui-même.
si l'on dit: un tout est plus grand qu'une de ses parties, c'est encore une proposition identique; car c'est dire qu'un tout est plus grand que ce qui est moins grand que lui.
l'identité est donc le seul signe auquel on reconnoisse qu'une proposition est évidente par elle-même; et l'on reconnoît l'identité lorsqu'une proposition peut se traduire en des termes qui reviennent à ceux-ci: le même est le même. par conséquent, une proposition évidente par elle-même est celle dont l'identité est immédiatement apperçue dans les termes qui l'énoncent.
de deux propositions, l'une est la conséquence évidente de l'autre lorsque l'on voit par la comparaison des termes qu'elles affirment la même chose, c'est-à-dire, lorsqu'elles sont identiques. une démonstration est donc une suite de propositions où les mêmes idées passant de l'une à l'autre ne different que parce qu'elles sont énoncées différemment; et l'évidence d'un raisonnement consiste uniquement dans l'identité. nous en donnerons des exemples dans la 3eme section.
De l'évidence de sentiment.
il se passe bien des choses en nous que nous ne remarquons pas; et, si nous voulons nous le rappeller, il a même été un temps où il y en avoit fort peu qui ne nous échappassent.
cependant nous sentons toutes les choses qui se passent en nous: car enfin elles ne sont que des manieres d'être de notre ame; et les manieres d'être de cette substance ne sont, à son égard, que ses manieres de sentir. cela vous prouve qu'il faut de l'adresse pour démêler par sentiment tout ce qui est en vous.
les carthésiens croient aux idées innées; les mallebranchistes s'imaginent |[186] voir tout en Dieu, et les sectateurs de Locke disent n'avoir que des sensations. tous croient juger d'après ce qu'ils sentent; mais cette diversité d'opinions prouve qu'ils ne savent pas tous interroger le sentiment.
nous n'avons donc pas le sentiment l'évidence de sentiment toutes les fois que nous pensons l'avoir. au contraire, nous pouvons nous tromper, soit en laissant échapper une partie de ce qui se passe en nous, soit en supposant ce qui n'y est pas, soit en nous déguisant ce qui y est.
nous laissons échapper une partie de ce qui se passe en nous. combien, dans les passions, de motifs secrets qui influent sur notre conduite! cependant nous ne nous en doutons pas: nous sommes intimement convaincus qu'ils n'ont pas de part à nos déterminations, et nous prenons l'illusion pour l'évidence.
chaque instant produit en nous des sensations que le sentiment ne fait pas remarquer, et qui, à notre insu, déterminant nos mouvemens, veillent à notre conservation. je vois une pierre prête à tomber sur moi, et je l'évite; c'est que l'idée de la mort ou de la douleur se présente à moi: je la sens et j'agis en conséquence.
actuellement que vous donnez toute votre attention à ce que vous lisez, vous ne vous occupez que des idées qui se présentent à vous, et vous ne remarquez pas que vous avez le sentiment des mots et des lettres.
vous voyez par ces exemples qu'il faut de la réflexion pour juger surement de tout ce que nous sentons. croire que nous avons toujours senti comme nous sentons aujourd'hui, c'est donc supposer que nous n'avons jamais été dans l'enfance; et par conséquent, c'est avoir laissé échapper bien des choses qui se sont passées en nous.
nous supposons en nous ce qui n'y est pas; car, dès que le sentiment laisse échapper une partie de ce qui se passe en nous, c'est une conséquence qu'il y suppose ce qui n'y est pas. si dans les passions, nous ignorons les vrais motifs qui nous déterminent, nous en imaginons qui n'ont |[187] point, ou qui n'ont que très peu de part à nos actions: il y a si peu de différence entre imaginer et sentir qu'il est tout naturel que l'on juge sentir en soi ce qu'on imagine devoir y être.
un manchot a le sentiment de la main qu'on lui a coupée; il y rapporte la douleur qu'il éprouve, et il diroit: il m'est évident que j'ai encore ma main. mais le souvenir de l'opération qu'on lui a faite prévient une erreur que la vue et le toucher détruiroient.
enfin nous nous déguisons ce qui est en nous. on prend, par exemple, pour naturel ce qui est habitude et pour inné ce qui est acquis; et un mallebranchiste ne doute pas que, lorsqu'il est près de tomber d'un côté, son corps ne se rejette naturellement de l'autre. est-il donc naturel à l'homme de marcher? et n'est-ce pas à force de tâtonnement que les enfans se font une habitude de tenir leur corps en équilibre? quoiqu'en dise Mallebranche, ce n'est pas la nature qui regle les mouvemens de notre corps, c'est l'habitude.
de tous les moyens que nous avons pour acquérir des connoissances, il n'en est point qui ne puisse nous tromper. en métaphysique, le sentiment nous égare; en physique, l'observation; en mathématiques, le calcul: mais comme il y a des lois pour calculer et pour bien observer, il y en a pour bien sentir et pour bien juger de ce que l'on sent.
à la vérité, il ne faut pas se flatter de démêler toujours tout ce qui se passe en nous; mais cette ignorance n'est pas une erreur. nous y découvrirons même d'autant plus de choses que nous éviterons plus soigneusement les deux autres inconvenients. car les préjugés qui supposent en nous ce qui n'y est pas, ou qui déguisent ce qui y est, sont un obstacle aux découvertes, et une source d'erreurs.
mais il n'arrivera jamais de supposer en soi ce qui n'y est pas, si on ne déguise jamais ce qui y est. nous ne donnons à nos actions des motifs qu'elles n'ont pas que parce que nous voulons nous cacher ceux qui nous déterminent. |[188] nous n'avons donc qu'à ne pas nous déguiser ce qui se passe en nous, et nous éviterons toutes les erreurs que le sentiment peut occasionner.
De l'évidence de fait.
vous remarquez que vous éprouvez différentes impressions que vous ne produisez pas vous-mêmes. or, tout effet suppose une cause. il y a donc quelque chose qui agit sur vous.
vous appercevez en vous des organes sur lesquels agissent des êtres qui vous environnent de toutes parts, et vous appercevez que ces sensations correspondent à cette action sur vos organes. vous ne sauriez douter que vous appercevez ces choses: le sentiment vous le démontre.
or, on nomme corps tous les êtres auxquels on attribue cette action.
réfléchissez sur vous-mêmes, vous reconnoîtrez que les corps ne viennent à votre connoissance qu'autant qu'ils agissent sur vos sens.
vos organes mêmes ne se font connoître à vous que parce qu'ils agissent mutuellement les uns sur les autres.
mais comment connoissez-vous les corps? vous voyez des surfaces, vous les touchez: la même évidence de sentiment qui vous prouve que vous les voyez, que vous les touchez, vous prouve aussi que vous ne sauriez pénétrer plus avant. vous ne connoissez donc pas la nature des corps, c'est-à-dire que vous ne savez pas pourquoi ils vous paroissent tels qu'ils vous paroissent.
cependant l'évidence de sentiment vous démontre l'existence de ces apparences, et l'évidence de raison vous démontre l'existence de quelque chose qui les produit. car, dire qu'il y a des apparences, c'est dire qu'il y a des effets; et, dire qu'il y a des effets, c'est dire qu'il y a des causes.
j'appelle fait tout ce que nous appercevons dans les corps; soit que ces choses existent dans les corps telles qu'elles nous paroissent, soit qu'il n'y ait rien de semblable dans les corps, et que nous n'appercevions que des apparences, produites par des propriétés que nous ne connoissons pas: c'est un fait |[189] que les corps sont étendus; c'en est un autre qu'ils sont colorés, quoique nous ne sachions pas pourquoi ils nous paroissent étendus et colorés.
l'évidence doit exclure toute sorte de doutes. donc l'évidence de fait ne sauroit avoir pour objet les propriétés absolues des corps; elle ne peut nous faire connoître ce qu'ils sont en eux-mêmes, puisque nous en ignorons tout-à-fait la nature.
mais, quels qu'ils soient en eux-mêmes, je ne saurois douter des rapports qu'ils ont à moi. c'est sur ces rapports que l'évidence de fait nous éclaire, et elle ne sauroit avoir d'autre objet.
il y a donc trois choses à distinguer dans nos sensations: 1° la perception que nous éprouvons; 2° le rapport que nous en faisons à quelque chose hors de nous; 3° le jugement que ce que nous rapportons aux choses leur appartient en effet.
il n'y a ni confusion ni erreur dans ce qui se passe en nous, non plus que dans le rapport que nous en faisons au dehors. si nous réfléchissons, par exemple, que nous avons les idées d'une certaine grandeur et d'une certaine figure, et que nous les rapportons à tel corps, il n'y a rien là qui ne soit vrai et distinct. voilà où toutes les vérités ont leur source. si l'erreur survient, ce n'est qu'autant que nous jugeons que telle grandeur et telle figure appartiennent, en effet, à tel corps. si, par exemple, je vois de loin un batiment quarré, il me paroîtra rond. y a-t'il donc de l'obscurité et de la confusion dans l'idée de rondeur ou dans le rapport que j'en fais? non: je juge ce batiment rond, voilà l'erreur.
d'où l'on peut conclure qu'à proprement parler, les sens ne nous trompent pas; l'erreur n'est que dans les jugemens libres que nous portons d'après les sensations qu'ils nous procurent. nous lirons néanmoins dans Mallebranche les erreurs qu'on attribue aux sens, et qu'il a démêlées avec tant de sagacité.
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De la maniere dont le témoignage des hommes supplée à l'évidence de fait.
il faut observer 1° que les hommes aiment naturellement la vérité, et qu'ils ne s'en écartent que par des motifs d'intérêt; mais ce qu'ils envisagent comme leur intérêt a beaucoup plus d'étendue qu'on ne se l'imagine ordinairement.
2° que le seul plaisir de tromper ne portera jamais les hommes à attester une chose fausse et préjudiciable à leur bien-être et à leur réputation; et qu'ils ne s'entendront jamais pour publier un fait public et important dont la fausseté seroit facilement découverte.
3° que certains faits ne peuvent se trouver faux sans que la nature humaine soit tout-à-fait altérée, c'est-à-dire, sans qu'il y ait un changement total dans les principes généraux d'après lesquels les hommes se conduisent naturellement.
4° que quelques conditions sont nécessaires pour que le témoignage des hommes supplée à l'évidence de fait: il faut que les témoins n'aient pu ni se tromper ni tromper les autres.
or, on est certain que les témoins n'ont pu être trompés,
1° quand ils assurent avoir examiné le fait avec attention, longtemps et de sang froid.
2° quand il s'agit d'une chose sensible, publique, importante, connue des témoins, et qui se passe en plein jour.
on sait aussi que les témoins n'en imposent pas,
1° lorsqu'ils n'ont pas intérêt à rapporter la chose; à plus forte raison, si elle leur est désavantageuse.
2° lorsque les témoins sont d'accord sur les principales circonstances et surtout lorsqu'ils le sont sur tous les points.
3° quand le fait n'est pas nié par ceux qui auroient intérêt d'en faire connoître la fausseté, particulierement s'ils sont cités comme témoins.
4° quand il n'y a aucune raison de croire que ce soit une affaire |[191] concertée, ou si un tel concert est impossible, comme s'ils sont de différens pays, de différentes religions et de différentes conditions. car alors il doit se trouver des préjugés, des passions et des intérêts opposés; et c'est ce conflit qui rend la fraude impossible.
5° s'ils ajoutent des circonstances que nous savons d'ailleurs être vraies, et qu'ils n'auroient pu savoir si le reste du narré n’étoit vrai aussi. nous ne doutons point, par exemple, de la vérité du voyage autour de l'afrique dont parle Hérodote, liv.4; et nous fondons même la vérité de ce voyage sur les choses qu'Hérodote a rejettées comme incroyables.
6° quand il y a des raisons de croire à leur sincérité; comme s'ils passent pour des hommes de probité, si leur narration est simple et claire, et surtout s'ils attestent les faits au péril de leur fortune, de leur réputation et même de leur vie.
toutes ces conditions ne sont pas nécessaires pour rendre un fait certain; mais au moins, quand elles se trouvent réunies, on ne peut plus avoir de doute.
de tout ce que nous avons dit, il résulte que la force du témoignage est plus ou moins grande selon la nature des faits et le caractere des témoins. on doit, par exemple, regarder comme suspect le témoignage d'un homme qui parle pendant qu'il est animé par quelque passion, ou qui rapporte un fait qui lui est avantageux.
si les faits sont déjà anciens, ils ne peuvent venir à notre connoissance que par la tradition, par l'histoire ou par les monumens. quand ils sont transmis par ces trois canaux, il est rare qu'on puisse les révoquer en doute. il y a plus de difficulté quand ils ne sont appuyés que sur la tradition.
on dit ordinairement qu'une tradition est vraie quand elle n'a pas été interrompue, quand, sur plusieurs lignes paralleles, elle s'élève jusqu'au temps où le fait a dû arriver. mais on ne peut savoir qu'il n'y a |[192] pas eu d'interruption qu'en recourant à l'histoire; et alors, ce n'est plus la tradition seule qui nous instruit. il convient donc d'indiquer d'autres signes auxquels on puisse distinguer la tradition vraie de la fausse.
il faut 1° que la tradition soit générale, qu'elle soit commune même à ceux pour qui le fait est désagréable.
2° qu'elle soit fondée non sur une rumeur incertaine, mais sur une persuasion intime.
3° que le fait soit public, sensible, important, et qu'il ne soit pas favorable aux passions.
pour que l'histoire mérite toute confiance, quelques conditions sont aussi requises:
1° celles relatives au fait doivent toujours être les mêmes, par quelle voie qu'il nous soit transmis.
2° il faut que les historiens soient contemporains, qu'il y en ait plusieurs et qu'ils soient célèbres.
quant aux monumens, il suffit qu'ils aient été érigés par l'autorité publique, pourvu que les faits réunissent les conditions déjà indiquées; car ces monumens seuls attestent la persuasion générale, comme le témoignage de quelques historiens célèbres représente celui de leurs contemporains.
un géomètre anglais, nommé Craig, a prétendu que la certitude des faits diminue à mesure qu'ils vieillissent; mais cette observation est dénuée de fondement: les faits de César et d'Alexandre suffisent pour le prouver. nous sommes aussi convaincus actuellement [?des] de l'existence et des conquêtes de ces deux grands capitaines qu'on l'étoit il y a 500 ans; et la raison en est bien simple, c'est que nous avons, relativement à ces faits, les mêmes preuves qu'on avoit alors.
quand le fait nous parvient par une seule ligne traditionnelle, plus cette ligne est prolongée, et plus l'erreur est à craindre; |[193] mais il n'en est pas de même quand le fait est transmis par plusieurs lignes paralleles: le fait alors est constamment attesté par un grand nombre d'hommes, dont les préjugés, les passions et les intérêts sont opposés, et qui, par conséquent, n'ont pu être amenés à la même opinion que par la force de la vérité.
en un mot, quand il s'agit de faits très importans, l'erreur ne peut se glisser dans aucune circonstance. en effet, dans tous les temps, 60 ou 80 générations existent ensemble. or ce mélange perpétuel de générations, qui se succedent insensiblement, rend la fraude impossible. supposez que tous les hommes âgés de 40 ans s'entendent, ce qui est impossible, pour tromper les plus jeunes; ceux qui ont passé cet âge, et à qui le fait est entierement inconnu, réclameroient aussitôt. supposez, ce qui est le plus favorable, que la derniere génération, c'est-à-dire, que les hommes âgés de 80 ans s'entendent pour en imposer aux autres; les générations qui les suivent immédiatement ne diroient-elles pas? nous avons longtemps vécu avec vos contemporains; ils ne nous ont jamais parlé de cet évenement, qui est de nature à faire beaucoup de bruit; il ne reste aucune vestige des effets qu'il a dû produire; il faut donc que vous l'ayez imaginé.
Des conjectures.
il est rare que l'on arrive tout-à-coup à l'évidence: dans toutes les sciences et dans tous les arts, on a commencé par une espece de tâtonnement.
d'après des vérités connues, on en soupçonne dont on ne s'assure pas encore; mais ces soupçons nous mettent souvent sur le chemin des découvertes, parce qu'ils nous apprennent ce que nous avons à observer. c'est là ce qu'on entend par conjecturer.
le plus faible degré de conjecture est celui où n'ayant pas de raison pour assurer une chose, on l'assure uniquement parce qu'on ne voit pas pourquoi elle |[194] ne seroit pas. si l'on se permet ces conjectures, ce ne doit être que comme des suppositions, et il ne faut pas négliger de faire les recherches propres à les détruire ou à les confirmer.
si l'on ne veille pas sur soi, on donnera à cette maniere de raisonner plus de poids qu'elle n'en a; car nous sommes portés à croire une chose quand on ne voit pas pourquoi on la nieroit.
c'est ainsi qu'aussitôt qu'on fut assuré que les planètes tournent autour du soleil, on supposa que leurs orbites étoient des cercles parfaits, dont le soleil occupoit le centre, et qu'elles les parcouroient d'un mouvement égal. on n'en jugeoit ainsi que parce qu'on n'avoit pas de raison d'en juger autrement; et on le croiroit encore si les observations n'avoient pas obligé de déplacer le soleil, de tracer de nouvelles routes aux planètes, de précipiter et de ralentir tour-à-tour leurs mouvemens.
les conjectures du second degré sont celles où, de plusieurs moyens dont une chose peut être produite, on préfère celui qu'on imagine le plus simple, sur cette supposition que la nature agit par les moyens les plus simples.
cette supposition est vraie en général, mais, dans l'application, elle peut occasionner des erreurs. il est certain que si une premiere loi suffit pour produire une suite de phénomènes, Dieu n'en a pas employé deux. mais cette loi agit différemment selon les circonstances, et de là il arrive qu'il y a nécessairement une multitude de lois subordonnées, et qu'il y a des effets compliqués, c'est-à-dire, produits par une multitude de causes qui se croisent ou qui se modifient. ainsi ce principe, la nature agit toujours par les voies les plus simples, est fort beau dans la spéculation, mais il est rare qu'on puisse l'appliquer.
ce degré de conjecture a d'autant plus de force qu'on est plus sur de connoître tous les moyens dont une chose peut être produite, et qu'on est plus en état de juger de leur simplicité; il y en a moins, au contraire, si l'on n'est pas |[195] sur d'avoir épuisé tous ces moyens, et si l'on n'est pas capable de juger de leur simplicité: c'est le cas ordinaire aux philosophes.
on ne doit s'arrêter à des conjectures qu'autant qu'elles peuvent frayer un chemin à de nouvelles connoissances. c'est à elles à indiquer les expériences à faire: il faut qu'on ait quelque espérance de pouvoir un jour les confirmer, ou de pouvoir y substituer quelque chose de mieux; et par conséquent il n'en faut faire qu'autant qu'elles peuvent devenir l'objet de l'évidence de fait et de l'évidence de raison.
De l'analogie.
l'analogie est comme une chaîne qui s'étend depuis les conjectures jusqu'à l'évidence; ainsi vous voyez qu'elle a plusieurs degrés: essayons de les apprécier.
les degrés de l'analogie sont plus ou moins forts suivant qu'elle est fondée sur des rapports de ressemblance, sur des rapports à la fin, ou sur des rapports des causes aux effets et des effets aux causes.
la terre est habitée, donc les planètes le sont. voilà la plus faible des analogies, parce qu'elle n'est fondée que sur un rapport de ressemblance.
mais, si on remarque que les planètes ont des révolutions diurnes et des révolutions annuelles et que par conséquent les parties en sont successivement éclairées et échauffées, ces précautions ne paroissent-elles pas avoir été prises pour la conservation de quelques habitans? cette analogie, qui est fondée sur le rapport des moyens à la fin, a donc plus de force que la premiere. cependant, si elle prouve que la terre n'est pas seule habitée, elle ne prouve pas que toutes les planètes le soient: car ce que l'auteur de la nature répète dans plusieurs parties de l'univers pour une même fin, il se peut qu'il ne le permette quelque fois que comme une suite du systeme général: il se peut encore qu'une révolution fasse un désert d'une planète habitée.
|[196] l'analogie qui est fondée sur le rapport des effets à la cause ou de la cause aux effets est celle qui a le plus de force: elle devient même une démonstration lorsqu'elle est confirmée par le concours de toutes les circonstances.
c'est une évidence de fait qu'il y a sur la terre des révolutions diurnes et des révolutions annuelles; et c'est une évidence de raison que ces révolutions peuvent être produites par le mouvement de la terre, par celui du soleil ou par tous les deux.
mais nous observons que les planètes décrivent des orbites autour du soleil, et nous nous assurons également , par l'évidence de fait, que quelques unes ont un mouvement de rotation sur leur axe plus ou moins incliné. or, il est d'évidence de raison que cette double révolution doit nécessairement produire des jours, des saisons et des années: donc la terre a une double révolution, puisqu'elle a des jours, des saisons et des années.
cette analogie suppose que les mêmes effets ont les mêmes causes; supposition qui, étant confirmée par de nouvelles analogies et par de nouvelles observations, ne pourra plus être révoquée en doute.
pour faire mieux sentir les différens degrés d'analogie, j'ajouterai encore un exemple.
je suppose deux hommes qui ont vécu si séparés du genre humain, et si séparés l'un de l'autre que chacun d'eux se croit seul de son espece (passez-moi la supposition). si la premiere fois qu'ils se rencontrent, ils se hâtent de porter l'un de l'autre ce jugement: il est sensible comme moi, c'est l'analogie dans le plus faible degré: elle n'est fondée que sur une ressemblance qu'ils n'ont point encore assez étudiée.
ces deux hommes, que la surprise a d'abord rendus immobiles, commencent à se mouvoir, et l'un et l'autre raisonnent ainsi: le mouvement que je fais est déterminé par un principe qui sent; mon semblable se meut: il y a donc en lui un pareil principe. cette conclusion est |[197] appuyée sur l'analogie qui remonte de l'effet à la cause; et le degré de certitude est plus grand que lorsqu'il ne portoit que sur une premiere ressemblance. cependant ce n'est encore qu'un soupçon: il y a bien des choses qui se meuvent et dans lesquelles il n'y a pas de sentiment; tout mouvement n'a donc pas avec le principe sentant le rapport nécessaire de l'effet à la cause.
mais si l'un et l'autre dit: je remarque dans mon semblable des mouvemens toujours relatifs à sa conservation; il emploie la même adresse que moi pour parvenir à ses fins; il fait, en un mot, tout ce que je fais avec réflexion. alors il lui supposera avec plus de fondement le même principe de sentiment.
s'ils considèrent ensuite qu'ils sentent et qu'ils se meuvent l'un et l'autre par les mêmes moyens, l'analogie s'élevera à un plus haut degré de certitude: car les moyens contribuent à rendre plus sensible le rapport des effets à la cause.
lors donc que chacun remarque que son semblable a des yeux, des oreilles, il juge qu'il reçoit les mêmes effets des mêmes organes.
cependant ils s'approchent, ils se communiquent leurs craintes, leurs espérances etc.; et ils se font un langage d'action. ni l'un ni l'autre ne peut douter que son semblable n'attache aux mêmes cris et aux mêmes gestes les mêmes idées que lui. l'analogie a donc ici une nouvelle force. comment supposer que celui qui comprend l'idée que j'attache à un geste, et qui, par un autre geste, en excite une autre en moi n'a pas la faculté de penser?
voilà le dernier degré de certitude où l'on peut porter cette proposition: mon semblable pense.
De la probabilité.
la probabilité consiste dans la vraisemblance d'une chose. tout ce qui peut contribuer à former une preuve, mais qui seul n'en forme pourtant pas une, fournit un degré de probabilité.
|[198] pour agir raisonnablement dans les cas qui ne sont que probables, il faut examiner attentivement le pour et le contre d'une opinion, et, après avoir examiné pesé les raisons de part et d'autre, on doit la rejetter ou l'admettre avec plus ou moins de confiance, selon que le parti que l'on adopte est plus ou moins fondé en raisons.
si une personne me dit, par exemple, qu'elle a vu en hollande un homme qui, au milieu d'un rude hyver, marchoit sur l'eau durcie par le froid, c'est une chose si conforme à ce que l'on voit arriver ordinairement que je suis disposé, par la nature même de la chose, à y donner mon assentiment. mais, si on rapporte le même fait à une personne qui n'ait jamais vu ni ouï dire rien de semblable, en ce cas, toute la probabilité se trouve fondée sur le témoignage du rapporteur; et le fait ne sera cru qu'autant que les témoins seront bien dignes de foi.
on voit par cet exemple que la probabilité peut se déduire ou de la considération de la chose même ou de la considération de l'argument sur lequel l'assertion est fondée. dans l'un et l'autre cas on se sert des mêmes regles.
pour déterminer la probabilité qui résulte de la nature de la chose, il faut assigner les cas possibles entre lesquels se trouve l'évenement dont on veut apprécier la probabilité. si ces cas sont composés, il faut les diviser de maniere que tous puissent arriver avec une égale facilité; et la probabilité sera à la certitude comme le nombre des cas dans chacun desquels l'évenement proposé a lieu est au nombre de tous les cas possibles.
par exemple, quelqu'un cherche combien il est probable qu'il amenera huit points avec deux dés; les cas possibles sont: 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12. mais ces onze cas n'arrivent pas avec la même facilité: 7 points peuvent être amenés de 6 manieres; et douze ainsi que deux, d'une seule maniere.
en divisant ces onze cas, on découvre que deux dés peuvent donner |[199] trente-six coups différens: car à chacune des faces d'un des dés peut répondre quelqu'une des six faces de l'autre.
parmi ces chances, toutes également probables, il y en a cinq qui donnent huit points; par conséquent la probabilité que l'on cherche est à la certitude comme 5 est à 36: ou cette probabilité vaut 5/36 de la certitude.
pour déterminer la probabilité qui se déduit de la considération de l'argument, il faut examiner combien de fois, dans un certain nombre de cas, cet argument n'a pas trompé; et le premier nombre sera au nombre total des cas comme la probabilité de l'argument à la certitude.
si j'entends raconter cent choses à un homme, qu'il assure avoir toutes vues, et qu'il n'ait dit la vérité que quatre-vingt-dix fois; quand il racontera quelque chose dans la suite, la probabilité de son témoignage vaudra 9/10: et cette probabilité de l'argument indique la probabilité de la chose qui n'est fondée que sur ce seul argument.
toute probabilité doit être distinguée de la certitude; car, comme nous voyons quelque fois arriver ce qui n'étoit guère probable, il se peut aussi qu'un évenement très probable n'arrive pas.
cependant la probabilité peut croître au point de ne pouvoir plus être facilement distinguée de la certitude. Pierre cherche Paul qui est caché. il se rend à la ville où est Paul; il entre dans une maison et va droit au lieu qui recèle celui qu'il cherche. je dis que ce lieu a été connu de Pierre; personne n'en disconviendra. cependant il n'y a en faveur de mon assertion qu'une très grande probabilité; car le contraire a quelque probabilité, quoique très petite: et cette derniere probabilité est à la certitude comme l'unité est au nombre de tous les lieux où Paul a pu être caché.
|[200] pour donner plus de développement à cette matiere nous lirons quelques articles des ouvrages de [?J] Gravesande et de Daniel Bernoully.
Des causes de nos erreurs.
on en compte un bon nombre, que l'on réduit ordinairement à deux classes: les unes sont internes, et dépendent du déreglement de la volonté; les autres sont externes, et dépendent de la nature des objets et des circonstances où nous nous trouvons. nous lirons ces détails dans la logique de port royal; nous lirons aussi, sur cet objet, plusieurs pages de l'introduction de [?J] Gravesande, où il y a de bonnes choses, particulierement sur le défaut d'examen suffisant et sur l'association des idées ou plutôt des jugemens.
De la principale cause de nos erreurs.
nous la trouverons, cette cause, dans l'habitude où nous sommes de raisonner sur des choses dont nous n'avons pas d'idées, ou dont nous n'avons que des idées peu exactes: en effet nous nous servons des mots avant d'en avoir déterminé la signification, et même sans avoir senti le besoin de la déterminer. voyons quelle est la cause de cette habitude.
nous n'arrivons à ce que l'on appelle l'âge de raison que longtemps après avoir contracté l'usage de la parole. si l'on excepte les mots destinés à faire connoître nos besoins, c'est ordinairement le hazard qui nous a donné occasion d'entendre certains sons plutôt que d'autres, et qui a décidé des idées que nous y avons attachées. pour peu qu'en réfléchissant sur les enfans que nous voyons, nous nous rappellions l'état par où nous avons passé, nous reconnoîtrons qu'il n'y a rien de moins exact que l'emploi que nous faisions ordinairement des mots. cela n'est pas étonnant: nous entendions des expressions dont la signification, quoique bien déterminée par l'usage, étoit si composée que nous n'avions ni assez d'expérience ni assez de pénétration pour la |[201] saisir. nous en entendions d'autres qui ne présentoient jamais deux fois la même idée, ou qui même étoient tout-à-fait vides de sens. pour juger de l'impossibilité où nous étions de nous en servir avec discernement, il suffit de remarquer l'embarras où nous sommes de le faire aujourd'hui.
cependant l'usage de joindre les signes aux choses nous est devenu si naturel, quand nous n'étions pas encore en état de peser la valeur des mots, que nous nous sommes accoutumés à rapporter les noms à la réalité même des objets, et que nous avons cru qu'ils en expliquoient la nature.
en rappellant nos erreurs à l'origine que je viens d'indiquer, on les renferme presque toutes /nous verrons que dans les sciences d'observation tout ne dépend pas de la détermination des idées./ dans une cause unique. en effet, si nos passions occasionnent des erreurs, c'est qu'elles abusent d'un principe vague, d'une expression métaphorique et d'un terme équivoque, pour en faire des applications d'où nous puissions déduire les opinions qui nous flattent. si nous nous trompons, les principes vagues, les métaphores et les équivoques sont donc des causes antérieures à nos passions. il suffira, par conséquent, de renoncer à ce vain langage pour dissiper tout l'artifice de l'erreur.
si l'origine de l'erreur est dans le défaut d'idées ou dans les idées mal déterminées, celle de la vérité doit être dans des idées bien déterminées. les mathématiques en sont la preuve. sur quelque sujet que nous ayons des idées exactes, elles seront suffisantes pour nous faire discerner la vérité; si, au contraire, nous n'en avons pas, nous aurons beau prendre toutes les précautions imaginables, nous confondrons toujours tout. en un mot, en métaphysique et en morale, on marcheroit d'un pas assuré avec des idées bien déterminées, et sans ces idées on s'égareroit même en arithmétique. mais il faut convenir que la langue de cette derniere science est bien plus facile à faire que celle des deux autres.
en arithmétique, toutes les idées complexes sont composées d'élémens de la même nature: il suffit de savoir combien de fois l'unité est contenue dans chaque nombre. en morale et en métaphysique, |[202] les idées sont composées d'élémens hétérogènes: il ne suffit pas de compter les élémens contenus dans l'idée, il faut aussi connoître la nature de chacun en particulier.
d'ailleurs, l'analogie, qui, comme nous le verrons dans Dégérando, joue un si grand rôle dans la langue des nombres, est presque nulle dans celle des idées des modes mixtes.
De la détermination des mots.
le seul moyen de fixer la signification des mots seroit de se placer d'abord dans des circonstances connues, et de choisir des termes pour exprimer les premieres idées; lorsqu'en réfléchissant sur celles-là on en acquerroit de nouvelles, on choisiroit de nouveaux termes, dont on détermineroit le sens en plaçant les autres hommes dans les circonstances où l'on se seroit trouvé, et en leur faisant faire les mêmes réflexions qu'on auroit faites. alors les expressions succederoient toujours aux idées: elles seroient donc claires et précises, puisqu'elles ne rendroient que ce que chacun auroit sensiblement éprouvé.
la signification des noms des idées simples est assez déterminée: le sens de ces termes est si bien marqué par toutes les circonstances que les enfans mêmes ne sauroient s'y tromper. pour peu qu'ils soient familiarisés avec leur langue, ils ne confondent pas les noms des sensations, et ils ont des idées aussi claires de ces mots: blanc, noir, mouvement, repos, plaisir, douleur, que nous-mêmes. quant aux opérations de l'ame, ils les distinguent également, pourvu qu'elles soient simples, et que les circonstances fassent l'objet de leur réflexion: on voit par l'usage qu'ils font de ces mots: oui, non, je veux, je ne veux pas, qu'ils en saisissent la vraie signification.
dès que les termes des idées simples sont exacts, il est possible de déterminer |[203] ceux qui expriment les autres idées. il suffit pour cela de fixer le nombre et la qualité des idées simples dont on forme une idée complexe; mais, pour y réussir, il faut d'abord ne réunir que très peu d'idées, et ne former de nouvelles collections que quand on est familiarisé avec les premieres. sans cette précaution, il nous arrivera de prendre les termes qui les expriment tantôt dans un sens et bientôt après dans un autre, parce que, n'ayant gravé que superficiellement dans notre esprit les collections d'idées, nous y ajouterons ou nous en retrancherons souvent quelque chose, sans nous en appercevoir. mais, si nous commençons par ne lier aux mots que peu d'idées et si nous ne passons à de plus grandes collections qu'avec beaucoup d'ordre, nous nous accoutumerons à composer nos notions de plus en plus, sans les rendre moins fixes et moins assurées.
vous en trouverez un exemple frappant dans l'analyse que je vous ai faite des opérations de l'ame. /voyez l'idéologie./ au lieu de commencer par définir ces opérations, je me suis appliqué à vous en faire remarquer le progrès; et à mesure que vous vous êtes fait des idées qui ajoutoient aux précédentes, je les ai fixées par des noms, en me conformant à l'usage, autant qu'il a été possible.
cet exemple seul suffit pour prouver qu'il est en notre pouvoir de fixer la signification des noms, parce qu'il dépend de nous de déterminer les idées simples dont nous formons des collections. on conçoit aussi que les autres entreront dans nos pensées, pourvu que nous les mettions dans des circonstances où les mêmes idées simples soient l'objet de leur esprit comme du nôtre, et où ils soient engagés à les réunir sous les mêmes noms que nous les avons rassemblées.
|[204]
3eme section.
Du raisonnement.
un jugement que je prononce peut en renfermer implicitement un autre: si, par exemple, je dis qu'un corps est pesant, je dis implicitement qu'il tombera s'il n'est pas soutenu. énoncer cette conséquence, ou même l'appercevoir, c'est faire un raisonnement. raisonner est donc déduire un jugement d'un autre.
quand le second n'est pas sensiblement renfermé dans le premier, il faut, en allant du connu à l'inconnu, passer par une suite de jugemens intermédiaires, et les voir tous nécessairement renfermés les uns dans les autres.
c'est une suite de propositions identiques, où la premiere est traduite par la seconde, la seconde par la troisieme, etc., de maniere que l'évidence passe, avec l'identité, depuis l'énoncé de la question jusqu'à la conclusion du raisonnement.
nous allons en donner un exemple, en prouvant que l'ame, qui compare ses sensations, est nécessairement simple.
dire qu'une substance compare deux sensations, c'est dire qu'elle a en même temps deux sensations.
dire qu'elle a en même temps deux sensations, c'est dire que deux sensations se réunissent en elle.
dire que deux sensations se réunissent en elle, c'est dire qu'elles se réunissent ou dans une partie d'elle qui est une proprement, ou dans une partie composée de plusieurs autres.
dire qu'elles se réunissent dans une partie qui est proprement une, c'est dire qu'elles se réunissent dans une substance simple, et il est démontré que l'ame est inétendue.
dire qu'elles se réunissent dans une partie composée de plusieurs autres, c'est encore dire qu'elles se réunissent dans une partie qui est simple, ou que l'une est dans une partie de |[205] ces parties, dans la partie A, par exemple, et l'autre, dans la partie B.
dire que de ces deux sensations l'une est dans la partie A, et l'autre dans la partie B, c'est dire que l'une est dans une substance, et l'autre dans une autre substance.
dire que l'ame est dans une substance, et l'autre dans une autre substance, c'est dire qu'elles ne se réunissent pas dans la même substance.
dire qu'elles ne se réunissent pas dans la même substance, c'est dire qu'une même substance ne les a pas en même temps.
dire qu'une même substance ne les a pas en même temps, c'est dire qu'elle ne les peut pas comparer.
il est donc démontré que l'ame, étant une substance qui compare, n'est pas une substance étendue: elle est donc simple.
raisonner est donc traduire une proposition, lui faire prendre différentes formes jusqu'à qu'elle devienne la proposition que l'on veut prouver.
on voit donc par cet exemple combien le raisonnement est simple quand la langue est bien faite; pour le faire mieux sentir, nous résoudrons un de ces problèmes que l'on ne résout d'ordinaire que par le secours de l'algèbre. voyez cette solution dans la logique de Condillac, 2de partie chap. 7; c'est le problème des jetons.
En quoi consiste tout l'artifice du raisonnement.
voyez le même ouvrage, chap.8. /tout ce chapitre nous a paru excellent./
Comment la certitude du raisonnement est modifiée par la nature des idées et par celle des signes.
d'abord, puisque les différentes especes d'idées sont plus |[206] ou moins difficiles à déterminer et à reconnoître, on conçoit que les jugemens dont elles sont l'objet seront plus ou moins sujets à l'erreur.
il faudra plus de soin pour s'assurer de l'exactitude des jugemens portés sur les rapports des idées abstraites que sur les rapports des idées sensibles; il en faudra davantage aussi pour les idées complexes que pour les idées simples, et parmi les idées complexes, on pourra se confier davantage aux jugemens portés à l'égard de celles qui appartiennent au premier ordre de combinaison, qu'à ceux qui se dirigent sur des idées d'un ordre supérieur.
en rappellant ici la distinction faite des quatre classes d'idées complexes, on trouvera que celles de toutes qui semblent ouvrir un plus vaste champ à l'erreur sont les idées complexes qui se composent d'idées abstraites mixtes, puisqu'à la difficulté qui naît de l'abstraction, elles joignent celle qui résulte de la variété de leurs élémens. ensuite viennent les idées complexes formées à la fois d'idées sensibles et d'idées abstraites, enfin, celles qui se composent seulement d'idées sensibles.
de toutes les idées complexes, celles qui demanderont moins de précaution, celles qui nous présenteront plus de sécurité, seront sans doute les idées complexes des modes simples; car ce sont celles qui imposent un moindre effort à l'attention, comme à la mémoire. il suffit à l'une de remarquer l'idée élémentaire, et à l'autre de rappeller combien de fois l'élément est répété.
en second lieu, puisque les diverses especes |[207] de signes présentent un secours plus ou moins efficace à l'attention et à la mémoire, et que l'art de se mettre en garde contre l'erreur consiste dans un usage plus ou moins parfait de ces deux facultés, le choix des signes ne sera pas non plus sans influence sur la certitude des jugemens.
les signes qui secondent plus puissamment ces deux facultés sont ceux qui réunissent dans un plus haut degré la propriété de conducteurs de l'attention à celle d'excitateurs des idées.
les signes figurés sont ordinairement conducteurs aussi imparfaits qu'ils sont puissants excitateurs. en leur qualité même d'excitateurs, quoiqu'ils réveillent les idées avec force, ils ne les évoquent point ordinairement avec exactitude; souvent ils en rappellent plus, souvent ils en rappellent moins qu'ils ne sont destinés à en représenter, et ils ne doivent même leurs autres propriétés qu'à ce défaut inhérent à leur nature.
si donc la poësie et l'éloquence, qui cherchent bien plus à charmer l'homme et à l'émouvoir qu'à l'éclairer, réclament les signes figurés comme leurs plus surs et plus utiles ministres, la philosophie les repousse comme de dangereux séducteurs.
la faculté excitatrice des signes arbitraires, ou presque arbitraires, n'est fondée, ainsi que leur faculté conductrice, que sur le simple pouvoir de l'habitude. ils ne tirent de leur nature aucun moyen pour aider l'attention ou la mémoire. ils nous abandonnent à nos propres forces, et s'ils n'y |[208] ajoutent rien, ils ne nous conduisent pas du moins à en abuser.
ils tiennent donc une sorte de milieu entre les signes figurés et les signes analogues. /ces différentes especes de signes ont été expliqués dans le cours de grammaire./ ceux-ci unissent les idées à leurs signes par un double lien; ils laissent voir toutes les opérations que l'on a faites; ils font disparoître à la fin les difficultés qui naissoient de l'abstraction des idées, et celles qui résultoient de leurs cumulation en idées complexes.
d'aussi grands avantages ne se réuniront cependant pas toujours au même degré; ils seront d'autant plus sensibles que l'analogie sera plus forte elle-même.
ils ne faut pas oublier au reste que toutes les idées ne sont pas également susceptibles de recevoir des signes également analogues; nous nous trouvons donc de nouveau reconduits à remarquer combien la nature de nos idées influe sur la certitude des jugemens dont elles sont l'objet, et à reconnoître que les idées complexes des modes simples sont celles qui comportent des jugemens plus surs, puisque ce sont celles de toutes qui peuvent faire jouir leur langage d'une plus parfaite analogie.
enfin il est à remarquer que l'influence des signes est moins considérable dans les sciences de fait et d'expérience que dans celles de pur raisonnement, c'est-à-dire que dans celles qui sont fondées sur la seule identité. en effet dans les sciences de fait et d'expérience, la premiere opération est d'observer avec soin un grand nombre de faits particuliers. or il est évident que le langage est pour très peu dans l'art d'observer.
la seconde opération consiste à classer les objets |[209] ou les phénomènes que l'on a observés. dès qu'il s'agit de généraliser, les signes doivent nécessairement avoir plus d'influence. cependant ce n'est point avoir créé une science que d'avoir tracé une nomenclature commode d'un certain nombre de phénomènes. à l'instant où cette nomenclature sera achevée, un nouveau fait viendra peut-être la détruire. l'ordre de nos conceptions n'est pas ici, comme dans les sciences de pur raisonnement, notre seul guide. le systeme le plus simple est souvent le moins analogue aux vrais rapports qu'il s'agit de peindre. la perfection de la science dépendra donc moins de la perfection des signes que de l'habileté avec laquelle on observera les rapports naturels qui existent entre les objets.
passons à la troisieme opération qui consiste à déterminer les lois que suivent les phénomènes. c'est ici, je crois, que se vérifie le mieux cette assertion, trop universellement énoncée, que tout l'art de penser se réduit à bien faire la langue de chaque science. car cette partie de la science participe à divers égards à la nature des sciences mathématiques, dont elle emprunte le secours.
ce n'est pas que je croie que pour comparer les phénomènes généraux et en déduire des lois, il ne faille qu'un langage parfait. jetez les yeux sur les ouvrages de Keppler; parcourez les savans et laborieux tâtonnemens, et voyez s'il ne lui manquoit qu'une expression correcte. non, cette expression ne manquoit pas à son génie. chaque loi qu'il tentoit d'appliquer au systeme du monde étoit très correctement |[210] exprimée; mais longtemps il manqua la vraie, et ce ne fut que par des efforts incroyables qu'il parvint à la rencontrer.
mais, à la vérité, ce n'est qu'en vertu d'un langage parfait qu'on parvient à énoncer les lois d'une maniere pleine et utile. tant que l'expression reste au dessous de la précision du langage mathématique, la loi ne se présente que sous une forme embarrassée.
toutefois cette perfection même du langage a ses inconvéniens. l'esprit, séduit par ces formules concises et générales, s'accoutume à les envisager comme les décrets d'une raison supérieure, et le philosophe lui-même peut oublier quelque fois qu'elles ne sont qu'une simple généralisation des phénomènes. il importe donc beaucoup, en posant les lois, et surtout en en faisant l'application aux phénomènes de détail, de ne point étendre cette généralisation au delà de l'expérience.
c'est surtout dans la quatrieme opération de la science que cette remarque a de l'importance. pour déterminer une cause, pour reconnoître un agent, les formules, qui dans leur enceinte comprennent tous les phénomènes, doivent être pleinement expliquées. mais aussi ce n'est sans doute que ce qui a été constaté par l'observation que l'on doit expliquer, et nullement les résultats d'une généralisation arbitraire.
en général la recherche des causes exige beaucoup d'attention aux faits particuliers. c'est même par ces faits-là que l'esprit d'invention se déploie, et parvient, par une |[211] suite d'essais, à des résultats intéressans. cette partie de la science, la plus importante de toutes, dépend assez peu du langage. elle le suppose, sans doute, et par les opérations qui doivent toujours la précéder, et parce que sans langage il n'est point de raisonnemens distincts et soutenus. mais les découvertes ne se proportionnent point ici à la perfection de l'art des signes. c'est un tout autre art que celui du philosophe qui remonte aux causes, qui découvre les agens secrets des phénomènes naturels; et il y auroit un grand abus de langage à confondre sous une seule dénomination des opérations aussi distinctes.
il résulte de là que ce seroit concevoir une fausse espérance que de s'attendre à mettre fin à toutes les disputes en se bornant à perfectionner l'art des signes. un seul exemple suffira pour le prouver. en physiologie, les uns envisagent comme volontaires des mouvemens que d'autres ne jugent point tels. pense-t'on que cette dispute seroit terminée si l'on perfectionnoit le langage? croit-on qu'en expliquant mieux le mot volontaire, on conciliât les sentimens opposés? ce seroit mal connoître les opinions de ces physiologistes que de réduire leurs discussions à de simples disputes de mots.
dans les sciences de cette nature, des signes parfaits préviendroient sans doute plusieurs contestations oiseuses; mais il n'y regnera jamais cet accord qu'on observe dans les sciences de pur raisonnement, parce que celles-ci dépendent des signes d'une maniere plus exclusive et plus immédiate.
nota. j'espère que la seconde partie de l'ouvrage |[212] de Dégérando jettera un grand jour sur le moyen de perfectionner les signes, et déterminera le degré d'influence que leur perfectionnement pourroit avoir, soit dans les sciences de fait, soit dans les sciences de pur raisonnement.
Des formes du raisonnement.
le raisonnement exprimé prend différentes formes, que l'on appelle argumens. parmi ceux-ci le syllogisme tient le premier rang. il est composé de trois propositions tellement liées que, les deux premieres étant vraies, la troisieme, qui en découle, l'est infailliblement.
la proposition que l'on veut prouver s'appelle la conclusion.
l'attribut de la conclusion s'appelle le grand terme; et la proposition dans laquelle ce terme est comparé avec l'idée moyenne forme la majeure de l'argument.
le sujet de la conclusion se nomme le petit terme; et on donne le nom de mineure de l'argument à la proposition dans laquelle ce terme est joint avec l'idée moyenne.
la majeure et la mineure de l'argument en sont appellées les prémisses.
pour que la conclusion soit juste, il faut, 1° que les prémisses, qui constituent la matiere de l'argument, soient vraies; 2° que la conclusion en soit bien déduite, c'est-à-dire que la comparaison de l'idée moyenne avec les termes de la conclusion démontre leur relation; ce qui appartient à la forme de l'argument.
or, pour que la conclusion soit bien déduite, il faut |[213] que la majeure contienne la conclusion, et que la mineure fasse voir que cette conclusion est contenue dans la majeure. voilà la regle générale.
ainsi c'est l'identité qui est le seul et véritable fondement du syllogisme.
la conclusion est, en d'autres termes, le même jugement qu'on a porté dans la majeure, avec la seule différence que la majeure est plus étendue et plus générale que la conclusion. un seul exemple suffira pour le faire sentir.
tous les hommes peuvent se tromper.
or vous êtes homme.
donc vous pouvez vous tromper.
cette proposition: tous les hommes peuvent se tromper, contient visiblement celle-ci: vous pouvez vous tromper. il est visible qu'homme est un mot générique qui contient tous les individus qui sont hommes; et qu'ainsi tout ce que je dis de l'homme, seulement en tant qu'homme, je le dis de vous; par conséquent, lorsque j'ai dit: tous les hommes peuvent se tromper, j'ai dit de vous que vous pouviez vous tromper.
la mineure fait voir que la conclusion est contenue dans la majeure, puisqu'elle dit que vous êtes homme.
dans les discours oratoires, dans la conversation familiere, on ne se sert pas du syllogisme [?informe]; ce seroit une maniere de parler trop dure et trop sèche: mais le syllogisme est toujours exprimé ou renfermé dans tout raisonnement. les orateurs prennent chaque proposition en particulier, et y donnent le développement convenable avant de passer à la conclusion. par exemple, le logicien dira:
tout le monde doit honorer les magistrats.
Pierre est magistrat.
donc tout le monde doit honorer Pierre.
l'orateur développera chacune de ces propositions. il fera |[214] voir que les lois naturelles, divines et humaines, que l'amour de la patrie, obligent les citoyens à honorer les magistrats. ensuite il passera à la seconde proposition, il admirera la prudence, la bonté, le zèle de Pierre etc. enfin, il conclura que les citoyens doivent l'aimer comme leur pere, le révérer comme leur magistrat, et l'honorer comme celui qui fait observer les lois.
l'oraison de Cicéron pour la défense de Milon n'est qu'un syllogisme tourné d'une maniere oratoire. un logicien auroit dit simplement:
il est permis de tuer celui qui nous dresse des embûches.
or Clodius a dressé des embûches à Milon.
donc il a été permis à Milon de tuer Clodius.
Cicéron développe d'abord la premiere proposition: il la prouve par le droit naturel, par le droit des gens, par des exemples etc. il descend ensuite à la seconde proposition: il examine l'équipage, la suite et toutes les circonstances du voyage de Clodius, et il fait voir que Clodius vouloit exécuter le projet d'assassiner Milon. d'où il conclut que Milon n'étoit point coupable d'avoir usé du droit que donne la nécessité d'une légitime défense.
le syllogisme est simple ou composé. il est simple quand le moyen terme n'est joint à-la-fois qu'à un des termes de la conclusion; tels sont ceux que nous avons déjà cités. le composé est celui où le moyen terme est joint à-la-fois aux deux autres termes; tel est le suivant: si le despotisme avilit les hommes, il est funeste etc.; puisque despotisme, qui est le sujet, et funeste, qui est l'attribut, sont contenus dans la majeure.
les syllogismes composés peuvent se réduire à trois classes: les conditionnels, les disjonctifs et les copulatifs.
le syllogisme conditionnel est celui dont la majeure est une proposition conditionnelle; tel est le suivant:
si le soleil est sur l'horizon, il fait jour.
or le soleil est sur l'horizon.
donc il fait jour.
cet argument est concluant quand on affirme l'antécédent dans la |[215] mineure et le conséquent dans la conclusion, comme dans l'exemple ci-dessus; ou quand on nie le conséquent dans la mineure et l'antécédent dans la conclusion, comme dans cet exemple. si le soleil est sur l'horizon, il fait jour. or il ne fait pas jour. donc le soleil n'est pas sur l'horizon.
voici le motif de ces deux regles: si la majeure est vraie, il y a une liaison étroite entre l'antécédent et le conséquent. donc si l'antécédent est vrai, le conséquent doit l'être; et si le conséquent est faux l'antécédent l'est aussi.
mais cet argument est vicieux quand on affirme le conséquent dans la mineure et l'antécédent dans la conclusion, ou quand on nie l'antécédent dans la mineure et le conséquent dans la conclusion. en effet, la majeure indique bien que le conséquent dépend de l'antécédent; mais elle n'indique pas qu'il ne puisse dépendre que de l'antécédent. on peut donc supposer le conséquent sans supposer l'antécédent, et on peut nier l'antécédent sans nier le conséquent.
le syllogisme disjonctif est celui dont la majeure est une proposition disjonctive; tel est le suivant:
ou le soleil tourne autour de la terre, ou la terre, autour du soleil.
or le soleil ne tourne pas autour de la terre.
donc la terre tourne autour du soleil.
cette maniere d'argumenter est bonne, quand une des parties de la majeure est niée dans la mineure et que l'autre est affirmée dans la conclusion; ou quand la mineure en affirme une partie et que la conclusion nie l'autre.
voici la base de ces deux regles: la majeure annonce que les deux parties de cette proposition sont opposées, et que l'une ou l'autre est vraie. donc de la fausseté de l'une suit la vérité de l'autre et réciproquement. d'où il suit que cet argument est vicieux si l'on affirme ou si l'on nie les deux parties ensemble, comme dans l'exemple suivant: ou il pleut ou il ne pleut pas. or il ne pleut pas. donc il pleut.
|[216] le défaut de cette espece de syllogisme vient ordinairement de ce que la division de la majeure n'est pas exacte; comme dans cette proposition: ou les autrichiens seront vainqueurs ou ils seront défaits completement.
le syllogisme copulatif est celui dont la majeure est copulative et en même temps négative; tel est le suivant:
on ne peut être à-la-fois serviteur de Dieu et esclave de l'argent.
or l'avare est esclave de l'argent.
donc il ne peut être serviteur de Dieu.
cet argument est bon quand une partie de la majeure est affirmée dans la mineure, et que l'autre partie est niée dans la conclusion; mais il est vicieux quand on nie une partie dans la mineure et que l'on affirme l'autre dans la conclusion. la raison de l'un et de l'autre est que la majeure énonce incompatibilité entre les deux parties, et par conséquent, si l'une est vraie, l'autre est fausse. mais de ce que l'une est fausse il ne suit pas que l'autre soit vraie: les deux peuvent être fausses à-la-fois.
Des autres especes d'argumens.
outre le syllogisme, il faut observer l'enthymème, le dilemme, le sorite et l'induction.
De l'enthymème.
l'enthymème est un syllogisme imparfait dans l'expression, parce qu'on y supprime une proposition qu'il est facile de suppléer. par exemple:
la vertu nous rend heureux.
donc il faut aimer la vertu.
la 1ere proposition se nomme antécédent; la seconde, conséquent. il est visible que l'on sous entend la majeure dans cet enthymème. le syllogisme seroit:
il faut aimer ce qui nous rend heureux.
or la vertu nous rend heureux.
donc il faut aimer la vertu.
|[217] on donne ordinairement pour exemple ce vers que Seneque faire dire à Médée:
j'ai bien pu te sauver, ne puis-je pas te perdre?
le syllogisme seroit:
il est plus facile de perdre quelqu'un que de le sauver.
or, je t'ai sauvé.
donc je peux te perdre.
tel est encore cet enthymème fameux:
mortel, ne garde point une haine immortelle.
le syllogisme seroit:
ce qui est mortel ne doit pas conserver une haine immortelle.
or, vous êtes mortel.
donc vous ne devez pas conserver une haine immortelle.
Du dilemme.
le dilemme est un raisonnement composé dans lequel, après avoir divisé un tout en ses parties, l'on conclut du tout ce que l'on a conclu de chaque partie, comme dans le suivant:
ou l'homme obéit à ses passions ou il y résiste.
s'il y obéit, il est malheureux; parce qu'il ne peut pas les satisfaire.
s'il y résiste, il est malheureux; parce qu'il est toujours en guerre avec lui-même.
donc tout homme est malheureux.
cet argument est également pressant quelque partie que l'on prenne.
la grande regle des dilemmes, c'est que le tout soit divisé exactement en toutes ses parties; car, si le dénombrement est imparfait, il est évident que la conclusion ne sera pas juste. par exemple, un philosophe prouvoit qu'il ne falloit pas se marier, parce que, disoit-il, « ou la femme que l'on épouse est belle, ou elle est laide; si elle est belle, elle causera de la jalousie; si elle est laide, elle déplaira. »
la division n'est pas exacte et la conclusion particuliere de chaque partie n'est pas nécessaire, car, 1° il y a des femmes qui ne sont pas belles au point de causer de la jalousie, ni si laides qu'elles déplaisent; 2° une |[218] femme peut être belle et en même temps si sage et si vertueuse qu'elle ne causera pas de jalousie, et une laide peut plaire par l'esprit et par le caractere.
il faut surtout dans le dilemme, plus que dans les autres argumens, se mettre à l'abri de la rétorsion. par exemple, un ancien prouvoit par ce dilemme qu'on ne devoit point se charger des affaires publiques:
ou l'on s'y conduira bien, ou l'on s'y conduira mal;
si l'on s'y conduit bien, on se fera des ennemis;
si l'on s'y conduit mal, on offensera les dieux.
on lui répliqua par cette rétorsion:
si l'on s'y gouverne avec adresse, on se fera des amis;
si l'on observe exactement la justice, on plaira aux dieux.
Du sorite.
le sorite est un argument composé de propositions disposées de maniere que l'attribut de la 1ere sert de sujet à la seconde et ainsi de suite, jusqu'à ce que le 1er sujet soit lié avec le premier attribut, comme dans le suivant:
les avares sont pleins de désirs;
ceux qui sont pleins de désirs manquent de beaucoup de choses;
ceux qui manquent de beaucoup de choses sont misérables;
donc les avares sont misérables.
pour que le sorite soit bon, il faut que les propositions soient liées de maniere que l'une explique l'autre: autrement elles ne seroient qu'autant de propositions détachées, dont aucune ne contiendroit la conclusion, comme on le voit dans ce singulier argument de Cyrano de Bergerac:
l'europe est la plus belle partie du monde.
la france est le plus beau royaume de l'europe.
paris est la plus belle ville de la france.
le collège de beauvais est le plus beau collège de paris.
ma chambre est la plus belle chambre du collège de beauvais.
je suis le plus bel homme de ma chambre.
donc je suis le plus bel homme du monde.
|[219]
De l'induction.
l'induction est un argument par lequel de l'observation des choses individuelles on tire une conclusion générale; tel est le suivant:
l'or, l'argent, le cuivre, etc., peuvent se fondre.
donc tous les métaux sont fusibles.
cette maniere de conclure est souvent fautive; pour qu'elle soit sure, il faut que l'énumération des individus soit complete, à moins cependant qu'il ne s'agisse d'une propriété essentielle à la chose en question.
Des sophismes.
on entend par sophismes certains argumens dont on sent bien la fausseté, sans pouvoir, quelque fois, en indiquer le défaut.
1er
l'ambiguité des termes ou l'amphibologie est indiquée comme la 1ere espece de sophismes; mais elle est, ordinairement, si grossière qu'elle ne mérite pas qu'on s'y arrête.
2.
Prouver autre chose que ce qui est en question.
ce sophisme consiste dans l'ignorance du sujet: il a lieu quand on prouve à son adversaire ce qu'il ne nie pas, ou ce qui est étranger à la question. les exemples n'en sont que trop fréquents dans les disputes et même dans les ouvrages didactiques.
3.
La répétition de principe.
ce sophisme consiste à supposer comme vrai ce qui est en question, ou à répéter en termes différens ce que l'on conteste.
on rapporte à ce sophisme le cercle vicieux, qui consiste à prouver le même par le même; telle est la maniere d'argumenter de ceux qui prouvent l'existence de Dieu par celle de la matiere et l'existence de la matiere par celle de Dieu.
on peut aussi rapporter à ce sophisme tous les raisonnemens où l'on prouve une chose incertaine par une autre qui est aussi ou plus incertaine.
|[220]
4.
Prendre pour cause ce qui n'est pas une cause.
rien ne coûte tant à l'homme que d'avouer son ignorance.
de là vient que, quand on voit un effet dont on ne peut pas rendre raison, on prend pour cause de cet effet ou ce qui est arrivé avant ou ce qui arrive en même temps, quoiqu'il n'y ait, souvent, aucun rapport entre l'effet et la prétendue cause. si, après qu'une comète a paru, la peste ou la guerre se déclare, le peuple regarde la comète comme la vraie cause de l'évenement.
5.
Dénombrement imparfait.
on tombe dans ce sophisme lorsque, connoissant une ou plusieurs manieres dont une chose se fait, on croit qu'elle ne peut pas se faire autrement, quoiqu'elle puisse avoir d'autres causes. ce sophisme est commun même parmi les hommes instruits.
on peut rapporter à ce sophisme l'induction défectueuse, qui consiste à tirer une conclusion générale d'un dénombrement imparfait de plusieurs choses particulieres; comme si quelqu'un disoit: les français, les anglais, les allemands et les italiens sont blancs; donc tous les hommes sont blancs.
6.
Passer de ce qui est vrai dans quelque rapport à ce qui est vrai simplement.
les historiens romains ont écrit quelques faits fabuleux. il seroit déraisonnable d'en conclure que tout ce qu'ils ont écrit est fabuleux.
la forme humaine est la plus belle par rapport aux animaux; de là les épicuriens concluroient que les dieux avoient la forme humaine.
Pierre est bon. Pierre est peintre. donc il est un bon peintre. on fait à-peu-près la même faute lorsque l'on juge d'une |[221] chose par ce qui ne lui convient que par accident; c'est ce que font ceux qui blâment les sciences et les arts, à cause de l'abus que quelques personnes en font. l'émétique mal appliqué produit de mauvais effets; donc c'est un mauvais remède. la conclusion n'est pas juste.
7.
Passer du sens divisé au sens composé, ou du sens composé au sens divisé.
une chose est prise dans un sens composé, quand elle est considérée conjointement avec une autre; et elle est prise dans le sens divisé, quand elle est considéré[e] séparément. Dieu justifie les impies: impies est pris dans le sens divisé; c'est-à-dire que Dieu les justifie en les séparant de leur impiété. au lieu que, si vous disiez: les impies n'entreront point dans le royaume du ciel, vous prendriez, impies dans le sens composé; c'est comme s'il y avoit: les impies, s'ils perséverent jusqu'à la mort dans leur impiété, n'entreront pas etc.
8.
Passer du sens collectif au sens distributif ou du sens distributif au sens collectif.
exemple:
l'homme pense; or l'homme est composé d'un corps et d'une ame: donc le corps et l'ame pensent.
l'homme dans le sens distributif pense, c'est-à-dire qu'une des parties dont il est composé pense; ce qui suffit pour faire dire en général que l'homme pense: mais l'homme dans le sens collectif ne pense pas, c'est-à-dire que la faculté de penser n'appartient pas aux deux parties qui le composent.
De la méthode.
la méthode est l'art de disposer ses idées et ses raisonnemens de la maniere la plus propre à découvrir la vérité et à la montrer aux autres.
|[222] on dit communément qu'il y a deux sortes de méthodes; l'une que l'on appelle analyse; et l'autre, synthèse.
l'analyse se fait lorsque par les détails on parvient à ce que l'on cherche; c'est une sorte d'induction: on l'appelle aussi méthode de résolution.
la synthèse consiste à commencer par les choses les plus générales pour passer à celles qui le sont moins. par exemple, expliquer le genre avant de parler des especes et des individus. on appelle aussi cette méthode, méthode de doctrine, parce que ceux qui enseignent commencent ordinairement par les principes généraux.
il suffit de considérer qu'une proposition générale n'est que le résultat de nos connoissances particulieres, pour sentir que ce n'est point par les principes généraux qu'il faut commencer quand on veut instruire.
en effet que penseroit-on d'un homme qui, sans démonter, sans même ouvrir une montre, établiroit de grands principes pour en expliquer le mécanisme? telle est cependant la conduite de ceux qui commencent par les propositions générales, ou qui ne suivent que la synthèse.
cette méthode, propre tout au plus à démontrer d'une maniere fort abstraite des choses qu'on pourroit prouver d'une maniere bien plus simple, éclaire d'autant moins l'esprit qu'elle cache la route qui conduit aux découvertes, il est même à craindre qu'elle n'en impose, en donnant de l'apparence aux paradoxes les plus faux; parce qu'avec des propositions détachées et souvent fort éloignées les unes des autres, il est aisé de prouver tout ce qu'on veut, sans qu'il soit facile d'appercevoir par où un raisonnement péche: on en trouve des exemples en métaphysique.
|[223] enfin elle n'abrège pas, comme on se l'imagine communément; car il n'y a point d'auteurs qui tombent dans des redites plus fréquentes et dans des détails plus inutiles que ceux qui s'en servent, sans en excepter les mathématiciens.
d'après ces observations nous allons chercher quelle méthode on doit suivre, et dans la recherche, et dans l'exposition de la vérité.
De la méthode à suivre dans la recherche de la vérité.
qu'on jette les yeux sur une campagne riche et variée. il se présente des objets qui appellent particulierement les regards: ils sont plus frappans, ils dominent; et tous les autres semblent s'arranger autour d'eux, pour eux.
on observe d'abord les premiers, on les compare pour juger des rapports qu'ils ont entr'eux. quand, par ce moyen, on en connoît la situation respective, on observe successivement tous ceux qui remplissent les intervalles; on les compare chacun avec l'objet principal le plus prochain, et on en détermine la position.
par cette méthode on parvient facilement à connoître cette campagne: on est en état d'en faire une description exacte. si, au contraire, on promène les regards indistinctement sur tous les objets, on brouille tout, et l'on ne fait que des tableaux où l'on ne peut rien reconnoître.
l'analyse d'une pensée ne se fait pas autrement que celle d'une campagne. on distingue d'abord les idées principales; on voit quels rapports elles ont entr'elles. on examine ensuite les idées subordonnées à chacune des premieres. après les avoir toutes passées en revue, on les réunit pour recomposer la pensée.
quand nous acquérons nos idées de cette maniere, elles s'arrangent |[224] avec ordre dans l'esprit; elles y conservent l'ordre que nous leur avons donné, et nous pouvons facilement nous les retracer avec la même netteté avec laquelle nous les avons acquises. si au lieu de les acquérir par cette méthode, nous les accumulons au hazard, elles seront dans une grande confusion, et elles y resteront. l'ordre analytique est le seul qui puisse leur donner toute la clarté et toute la précision dont elles sont susceptibles.
chacun peut se convaincre de cette vérité par la propre expérience. il n'y a pas même jusqu'aux plus petites couturières qui n'en soient convaincues: car si, leur donnant pour modele une robe d'une forme singuliere, vous proposez d'en faire une semblable, elles imagineront naturellement de défaire et de refaire ce modele, pour apprendre à faire la robe que vous demandez. elles sentent donc toute l'utilité de l'analyse.
cette méthode a cet avantage qu'elle n'offre que peu d'idées à-la-fois, et toujours dans la gradation la plus simple. elle est ennemie des principes vagues, et de tout ce qui peut être contraire à l'exactitude et à la précision. ce n'est point avec le secours des propositions générales qu'elle cherche la vérité, mais toujours par une espece de calcul; c'est-à-dire, en composant et décomposant les notions, jusqu'à ce qu'on les ait comparées sous tous les rapports que l'on a en vue. ce n'est pas non plus par des définitions, qui d'ordinaire ne font que multiplier les disputes, c'est en expliquant la génération de chaque idée. on voit par là qu'elle est la seule méthode qui puisse donner de l'évidence à nos raisonnemens, et par conséquent la seule que l'on doive suivre dans la recherche de la vérité.
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Découvertes que nous devons à l'analyse des idées ou aux jugemens abstraits.
lorsqu'on reçoit pour la premiere fois des idées simples ou des idées complexes du premier ordre, on apperçoit ordinairement d'une maniere suffisante, et ce qui constitue leur nature, et les élémens dont elles résultent; mais elles ont avec les autres idées des rapports que l'on ne peut découvrir qu'en les soumettant à une suite de comparaisons et d'analyses. ainsi, quand je me suis formé l'idée de deux et celle de quatre, j'ai sans doute assez bien remarqué ce qui constitue chacune d'entr'elles: cependant, lorsque venant à les rapprocher l'une de l'autre, j'observe que quatre est le double de deux, le résultat de cette comparaison est pour moi une véritable découverte.
ce que nous venons de dire sur les idées simples et sur le premier ordre d'idées complexes s'applique aussi, comme on voit, aux idées complexes du second ordre. mais celles-ci nous fournissent même après leur formation, le sujet d'une étude bien plus variée encore, et de bien plus nombreuses découvertes.
d'abord, bien différentes en ceci des idées d'un ordre inférieur, elles renferment souvent des élémens qu'on n'y a point apperçus, et dont on n'y soupçonne pas l'existence.
en effet, une idée complexe peut être très bien déterminée pour nous, quoique nous ignorions les élémens primitifs qui la constituent. c'est ainsi, par exemple, qu'en associant les deux mots cinquante et mille, je détermine le nombre cinquante mille, quoique je n'aie cependant point fixé, au moment même, l'idée de l'unité, ni même l'idée de cinq, qui sert de base à cette combinaison. |[226] on n'exécute donc, en quelque sorte, qu'une opération mécanique et grammaticale. les idées sont mises à notre disposition; mais nous n'en avons pas encore fait l'inventaire. nous sommes comme un marchand à qui on remet une balle dont il ignore le contenu.
ce sera donc pour nous une découverte, lorsqu'appellant à notre secours ces idées intermédiaires dont nous n'avions encore fait qu'associer les signes, nous viendrons à connoître que certaines idées élémentaires font partie de ce tout nous nous avions fixé les conditions.
on pourroit considérer, sous ce rapport, le langage comme une sorte d'algèbre, où l'on se contente d'abord d'indiquer les opérations sans les exécuter; on pourroit comparer les découvertes qu'il donne occasion de faire à ces résultats qu'on obtient en rétablissant les quantités premieres à la place des lettres dont on s'était servi pour les désigner.
tel est, par exemple, le raisonnement dont on se serviroit pour prouver qu'il est de l'essence d'un gouvernement sage d'avoir un caractere de modération. car, en décomposant l'idée de sagesse, on y trouve celle de ménager ces forces, afin d'en rendre l'usage plus durable; cette nouvelle idée nous reconduit au devoir de n'employer qu'avec réserve les moyens de la crainte et de la rigueur: on s'étoit contenté d'abord d'associer ensemble les signes des deux idées, sagesse, gouvernement; en les unissant ainsi, on n'avoit pas apperçu toutes les conditions dont la premiere se compose; et lorsqu'on vient à les reconnoître et à les rapporter à l'idée complexe d'un gouvernement sage, on obtient une vérité nouvelle, quoiqu'on n'ait fait qu'estimer la valeur des signes dont on faisoit usage.
en second lieu, les idées complexes du second ordre renferment aussi des idées intermédiaires qu'on n'avoit point apperçues en les |[227] formant, et qu'on vient à y rencontrer en les soumettant à l'analyse.
en effet une même idée complexe du second ordre peut être formée par plusieurs systemes de combinaisons très différens, c'est-à-dire les mêmes élémens peuvent se grouper en diverses manieres, avant de se réunir en un seul tout. mais comme, pour obtenir l'idée complexe, il suffit de suivre une seule de ces diverses méthodes, on pourra, en la décomposant, s'attacher à une autre méthode qu'on avoit négligée; et il restera autant d'idées intermédiaires nouvelles à découvrir qu'il y avoit de systemes possibles différens de celui qu'on a jugé à propos d'adopter.
supposons l'idée complexe N du second ordre, formée des quatre idées élémentaires, A, B, C, D, réunies par les deux intermédiaires A, B, de la maniere suivante:
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a b |
} A |
} N |
|
c d |
} B |
supposons aussi que, combinant les quatre idées élémentaires d'une autre maniere, j'en eusse formé deux idées complexes A', B', en faisant:
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a c |
} A' |
b d |
} B' |
par la comparaison de ces deux idées nouvelles A' et B' avec l'idée N et l'analyse de celle-ci, j'apprendrai qu'elle les contient toutes deux, ce que j'ignorois d'abord, puisqu'en la formant je n'avois apperçu en elle que les deux idées A et B très différentes de ces dernieres.
ainsi, lorsqu'en me formant pour la premiere fois l'idée |[228] de 9, je l'ai obtenue en répétant trois fois le nombre 3, elle est sans doute déterminée par mon esprit aussi exactement qu'elle peut l'être; cependant , je n'ai point apperçu en elle les idées des nombres 5 et 4 qu'elle contient comme celle de 3, idées que j'y rencontrerai cependant, en suivant le sentier d'une nouvelle analyse.
enfin, en analysant deux ou plusieurs idées complexes, nous découvrons entr'elles des rapports que nous n'avions point remarqués en les formant, que nous n'aurions même jamais pu appercevoir en nous en tenant à l'ordre observé dans leur formation.
en effet, tous les rapports de nos idées se réduisent à une identité totale ou partielle. on ne sauroit donc reconnoître les rapports de deux idées complexes du second ordre, qu'en les saisissant par des intermédiaires communs qui servent de fondement à cette identité totale ou partielle. c'est ainsi que pour comparer les idées de philosophie et de tolérance, je redescends à celle de justice qui est leur commun intermédiaire. si donc, en formant les diverses idées complexes qu'il s'agit de comparer entr'elles, je n'avois point eu recours à ces intermédiaires déterminés qui seuls peuvent en faire connoître l'identité, tant que je ne m'écarterai pas dans mes analyses du mode de combinaison que j'avois suivi, je ne parviendrai point à connoître ce que ces diverses idées sont les unes aux autres. mais cette vérité que je n'ai pas encore découverte, quoique j'en possède, sans doute, toutes les conditions, se dévoilera à mes yeux du moment où j'aurai su trouver un mode de décomposition plus favorable.
ces analyses ne nous découvrent pas seulement des rapports entre les idées, mais encore des rapports entre nos idées et les faits.
il est deux sortes d'instructions que nous pouvons |[229] recueillir à l'égard des faits; les unes consistent à apprendre l'existence de certains faits que nous ignorions; les autres, à découvrir, entre les faits qui nous étoient connus, des rapports que nous n'avions point encore observés.
les premieres m'apprennent, par exemple, qu'il existe des nains et des géants, ou bien encore qu'il y a dans le monde deux villes qu'on appelle rome et paris. les secondes m'enseignent que le géant est plus grand que le nain, ou bien encore que rome est une ville moins peuplée et plus ancienne que paris.
pour estimer avec exactitude tout ce que l'emploi des jugemens abstraits peut ajouter pour nous aux instructions recueillies sur les faits par le moyen de l'observation, il faut donc examiner quelles lumières nouvelles l'analyse et la comparaison de nos idées peuvent nous fournir ou à l'égard de l'existence des faits ou à l'égard de leurs rapports mutuels.
et d'abord, parmi les jugemens portés sur les idées simples ou complexes du premier ordre, il n'en est aucun qui puisse nous fournir quelque lumière nouvelle sur l'existence des faits, c'est-à-dire nous révéler l'existence d'un fait jusqu'alors inconnu.
car parmi les idées simples et les idées complexes du premier ordre, toutes celles qui sont acquises ne font que nous conserver les images des faits que nous avons observés. elles sont comme les feuillets du registre où la mémoire inscrit toutes les informations qu'elle nous transmet. et comme d'ailleurs leur nature est telle que l'esprit apperçoit du premier coup d'œil toute l'étendue, nous aurions beau les méditer éternellement, nous n'y trouverions jamais que les mêmes faits dont elles ont été formées, et que nous avons remarqués en les formant. |[230] et quant aux idées archétypes, ou de notre propre création, quoique d'après l'arbitraire qui préside à leur formation, elles puissent nous présenter l'image de mille faits nouveaux et inconnus, on ne trouvera jamais dans la seule étude de leur nature une raison suffisante d'admettre, comme réels, les faits dont elles nous offrent la peinture. on sait que les idées archétypes ne sont que des romans, que la folie et le sommeil seuls peuvent réaliser.
si la comparaison des idées simples et des complexes du premier ordre ne peut nous révéler l'existence d'aucun fait nouveau, elle peut du moins nous apprendre à mieux connoître les rapports des faits que ces idées représentent.
en effet, lorsque nous obtenons, par l'observation, la connoissance de deux ou de plusieurs faits, nous n'établissons pas ordinairement, à l'heure même, les comparaisons nécessaires pour découvrir tous les rapports qui existent entr'eux. car la comparaison est une connoissance simultanée, et le plus souvent nous n'aurons connu ces faits que dans des moments séparés; quelque fois même les observations dont ils auront été le sujet n'auront eu lieu qu'à de grands intervalles. mais lorsque l'imagination viendra nous reproduire les idées que nous avons conservées de chacun d'eux, et qu'elle les présentera en même temps à notre esprit, l'attention commune que nous y donnerons alors nous découvrira ces rapports qui nous avoient échappé en les observant; car elle nous montrera les rapports de nos idées et ceux-ci ne sont autres que les rapports des faits, puisque nos idées n'en sont elles-mêmes que les fidèles peintures.
ainsi j'aurai, par exemple, rencontré sur la carte la place des villes de rome et de paris, j'aurai rencontré leur nom dans |[231] l'histoire, sans songer à examiner laquelle de ces deux villes l'emporte sur l'autre en population ou en ancienneté. mais lorsque je viens à rapprocher dans mon esprit ce que j'ai lu de l'époque de leur fondation, ce que j'ai entendu dire du nombre d'habitans que contient chacune, je pourrai, quoique sans carte et sans livre, prononcer sur ce double rapport que je n'avois point encore évalué.
de même que la comparaison de nos idées acquises nous indique les rapports des faits que nous avons déjà observés, la comparaison de nos idées archétypes nous révèle aussi d'avance les rapports des faits que nous pourrons observer un jour, et elle prépare ainsi une voie sure à l'expérience.
en effet, lors même que nos idées ne nous représentent plus des faits passés ou actuels, ils nous représentent cependant encore, pour l'ordinaire, des faits possibles. les rapports que nous découvrons entre ces idées nous offrent le modele de ceux que nous devrons appercevoir entre ces faits, lorsqu'ils viendront à se réaliser. ainsi sans avoir vu ni géant ni nain, je puis dire: s'il existe des géants et des nains, le nain est à l'homme d'une taille ordinaire ce que celui-ci est au géant.
nous trouvons de nombreux exemples de ces manieres de raisonner soit dans les traités de morale, soit dans nos codes de lois; car le législateur et le moraliste doivent prévoir l'un et l'autre les actions diverses auxquelles les hommes doivent être conduits, et fixer d'avance les rapports de ces actions au bonheur général et au bonheur particulier: le premier, pour y appliquer des recompenses ou des peines; le second, pour nous indiquer les moyens de les éviter ou de les accomplir, suivant que les suites en seroient heureuses ou funestes.
|[232] deux conséquences principales résultent des réflexions que nous venons de faire. la premiere, c'est que si les jugemens abstraits portés sur les idées simples ou complexes du premier ordre paroissent ajouter quelque chose aux instructions recueillies par l'observation, ce n'est que parce qu'ils nous aident à mieux comparer nos observations elles-mêmes: ils ne créent pas la lumière, mais ils la dirigent plus heureusement.
la seconde conséquence, c'est que ces mêmes jugemens, quoiqu'ils nous fassent découvrir des vérités nouvelles, ne nous en révèlent cependant aucune qui, de sa nature, n'eût pu nous être apprise par l'observation toute seule. comme tous les faits que ces idées représentent sont assez simples pour pouvoir être embrassés par un seul axe de l'attention, il n'est aucun de leurs rapports qui n'eût pu être l'objet d'une perception immédiate, si toutefois les faits dont on estime le rapport s'étoient présentés ensemble à nos observations.
les jugemens abstraits relatifs aux idées complexes du second ordre ont à cet égard un grand avantage sur ceux dont nous venons de parler. car ils nous font découvrir, entre les faits, des rapports que l'observation seule n'eût jamais pu nous faire appercevoir.
il est des faits dont les circonstances sont trop nombreuses pour que nous puissions les embrasser d'un seul regard. nous sommes donc forcés, pour en avoir une connoissance complete, de fixer par des signes le dénombrement successif des conditions que nous y aurons reconnues, et de réunir ensuite tous ces signes intermédiaires sous un signe unique, qui puisse nous en représenter tout l'ensemble. or, comme l'estimation du rapport qui existe entre deux objets n'est autre que la double connoissance de ces objets mêmes, comme ce rapport ne peut s'apprécier qu'en embrassant la réunion de toutes les conditions dont se compose |[233] chacun d'eux, il est évident que nous ne saurions jamais l'obtenir par une observation immédiate; nous serons donc forcés, pour faire une comparaison exacte de ces deux objets faits, de comparer la valeur respective des deux idées qui les représentent, et de suivre tout le détail des raisonnemens que cette comparaison exige. nous redescendrons de chaque idée complexe du second ordre aux idées intermédiaires ou élémentaires dont elle résulte. nous les rapprocherons les uns des autres par une suite de comparaisons détaillées, et nous en rassemblerons ensuite les résultats, pour avoir dans un jugement unique l'évaluation du rapport composé que nous cherchons.
on comprend que cet avantage se trouve également dans les jugemens relatifs aux idées acquises et aux idées archétypes. si les 1ers nous apprennent à découvrir dans les faits existans certains rapports trop composés pour que l'observation immédiate pût les atteindre, les seconds nous apprennent à attribuer d'avance les mêmes rapports aux faits qui n'existent pas encore, et que nous jugeons possibles.
comme presque tous les faits qu'il nous importe de comparer appartiennent à la classe de ceux que nous ne pouvons nous représenter que par des idées complexes du second ordre, il est facile de voir à quelle triste situation nous serions réduits, si nous n'avions le secours des raisonnemens abstraits pour estimer les rapports qui existent entr'eux. d'abord il seroit impossible d'effectuer dans le commerce des échanges un peu considérables, et toutes les opérations mercantiles seroient nécessairement réduites au plus petit détail. car, comme on ne pourroit embrasser par l'attention ni une certaine somme d'argent ni une certaine quantité de marchandises, et que, d'un autre côté, par la supposition admise, on ne pourroit évaluer les idées complexes qui en avoient été formées, on seroit forcé d'échanger |[234] presque une à une chaque pièce d'argent avec la quantité de marchandise que la convention lui auroit rendue égale en valeur. mais si j'admets deux idées complexes auxquelles ces valeurs égales serviroient d'élémens, je n'aurai besoin que d'un instant de méditation pour connoître quelle est la somme nécessaire pour acheter telle quantité de marchandise, ou bien quelle est la quantité de marchandise que je puis acheter avec l'argent que je possède. car je comparerai mes idées complexes, l'une à l'autre, en les rappellant par l'analyse à leurs élémens primitifs, et le rapport d'égalité que j'aurai reconnu entr'elles me garantira l'égalité réelle des valeurs totales qu'elles représentent dans mon esprit.
dans les affaires publiques, comme dans les affaires privées, nous sommes presque toujours contraints, pour être en état d'agir, de comparer entr'eux des faits très complexes, et de recourir par conséquent à des raisonnemens abstraits sur nos idées, qui seuls peuvent nous rendre cette comparaison possible.
il en est de même dans toutes les sciences, puisqu'il n'y a qu'un petit nombre de nos connoissances qui aient pour objet des faits assez simples pour être saisis dans leur ensemble par un seul regard de l'esprit.
le second avantage que nous tirons des raisonnemens sur nos idées complexes du second ordre est bien plus étonnant encore. non seulement ils nous découvrent les rapports des faits que nous avions observés, mais souvent ils nous apprennent même des faits que nous n'avions point apperçus.
lorsque nous prenons connoissance d'un fait complexe, nous n'observons pas toutes les especes de faits intermédiaires dont il se compose. car, après avoir observé toutes les circonstances simples |[235] et élémentaires, nous les rassemblons par un seul mode de combinaison, et nous n'examinons pas sur l'heure tous les autres systemes de combinaisons dont elles seroient susceptibles. soient les 8 circonstances données a, b, c, d, e, f, g, h, qui se sont offertes à moi réunies, et dont j'ai observé d'abord les 4 1eres, puis les 4 autres, pour les rassembler en un seul fait complexe N. outre les deux faits a b c d et e f g h, que j'ai remarqués dans le fait N, il en renfermoit une foule d'autres, tels que ceux-ci, par exemple: a b e f, e d g h, a f g h, b c d e, etc., dont je n'ai point pris connoissance. car, quoique j'aie remarqué chacune des circonstances dont ils se forment, je n'en ai point remarqué la liaison et le concours, je ne les ai point considérés comme formant un seul ensemble.
le moment où je viendrai à connoître ces faits particuliers, a b e f, c d g h etc., renfermés dans le fait complexe, mais que je n'y ai point apperçus, sera donc celui où groupant les circonstances d'une autre maniere que je n'avois fait d'abord, je remarquerai la rencontre de ces 4 circonstances a, b, e, f, ou de ces 4 autres c, d, g, h, qui ne s'étoient offertes à moi que dans deux faisceaux séparés.
or cette rencontre, comment parviendrai-je à l'appercevoir? si ce n'est en analysant l'idée complexe du fait N, et en l'analysant dans un ordre différent de celui qui m'avoit guidé dans la composition, en la comparant enfin aux idées des faits a b e f, c d g h. si cette comparaison m'apprend que ces deux dernieres idées sont renfermées dans celle du fait N, je serai fondé à conclure que les faits qu'elles représentent font aussi partie de celui-ci, et je serai convaincu de l'existence des faits a b e f, c d g h, quoique je ne les aie pas d'abord observés.
pour donner l'exemple le plus simple de cet emploi que nous |[236] faisons du raisonnement, je suppose que je reçoive d'un côté cinq écus dans ma main droite, et quatre dans ma main gauche, et que d'un autre j'aie à payer six écus à une personne, et trois à une seconde; je ne m'apperçois pas au moment même où je reçois les deux sommes, qu'elles me fourniront précisément les deux autres dont j'ai besoin pour satisfaire à ce que je dois. mais, rassemblant, par une combinaison de l'esprit, les idées des deux membres 4 et 5 en une idée complexe, et redécomposant celle-ci pour la comparer aux idées 6 et 3, je me dis en secret 5 et 4 égalent 9, 9 à son tour est égal à 6 plus 3; la somme que j'ai reçue suffit donc à acquitter mes dettes.
il n'est rien de si fréquent en morale, en politique, en physique que des déductions de cette espece. on soumet à une nouvelle analyse les idées complexes des faits que l'histoire a recueillis, ou que l'expérience nous a découverts, et on en extrait, si je puis dire ainsi, mille connoissances qui s'y trouvoient comme en dépôt. nous invitons un ministre qui se fait d'abord présenter les tableaux exacts des productions de chaque province, de son étendue, de sa population, de son industrie, de ses richesses, et qui, lorsque par la réunion de tous ces tableaux, il a acquis la notion complete des ressources de l'état, se demande ensuite si les productions du sol peuvent suffire à nourrir la population, si la pauvreté d'une province est compensée par la richesse de l'autre etc.
lorsque nous apprenons d'un côté, qu'un meurtre a été commis, de l'autre, qu'un homme public en a été la victime, nous ne voyons encore dans cet évenement que le meurtre d'un magistrat. mais si, décomposant les idées de meurtre et de magistrat, nous retrouvons dans la premiere celle d'un crime, dans la seconde, celle d'une personne précieuse à la société; si nous rapprochons ces deux idées l'une de l'autre, nous reconnoîtrons que l'action qui a été faite est un délit contre la société toute entiere.
|[237] chaque science qui se rapporte à des faits un peu composés a donc besoin de l'art de raisonner sur les idées, pour apprendre à retrouver dans l'expérience les faits particuliers qu'on n'y avoit point apperçus d'abord, parce que les circonstances qui les composent n'avoient point fait partie des mêmes observations, n'avoient point été remarquées ensemble.
on dira peut-être: « mais puisque les faits que les raisonnemens abstraits nous conduisent à découvrir ne sont composés que de circonstances élémentaires déjà connues et remarquées, ce ne sont donc pas des faits nouveaux. » je réponds: tout ce que notre esprit n'avoit point encore apperçu, est nouveau pour lui lorsqu'il vient à l'appercevoir. or, quoiqu'il eût été instruit de l'existence de chacune de ces circonstances en particulier, il n'en avoit point encore remarqué la réunion et le concours. or, c'est précisément le concours des circonstances qui constitue un fait; le fait n'est apperçu que lorsqu'on a remarqué la liaison qui existe entr'elles.
il résulte de tout ce que nous venons de dire que chaque vérité abstraite peut être pour nous un nouveau moyen d'obtenir quelque connoissance utile sur les faits, en nous aidant à donner une nouvelle forme aux résultats de nos expériences.
ainsi, quoique la découverte d'une verité abstraite ne soit pas une chose utile par elle-même, elle le devient cependant par la liaison avec les vérités de l'expérience.
il nous est facile maintenant de dire en quoi consiste l'abus qu'on a fait des principes abstraits, et de concevoir aussi l'injustice du discrédit absolu dans lequel ils sont tombés de nos jours. les premiers philosophes |[238] qui réfléchirent sur les opérations de notre esprit remarquerent que l'usage des principes abstraits nous conduisoit à quelques découvertes; ils ne douterent point qu'ils ne pussent nous conduire à toutes. ils remarquerent que les vérités abstraites étoient immuables, nécessaires, par cela seul qu'il est nécessaire que toute idée soit identique à elle-même, et qu'au contraire, les vérités d'observation étoient locales et contingentes; ils n'hesiterent point à regarder les premieres comme devant être la source éternelle des secondes; ils voulurent donc fonder toutes les sciences sur des principes abstraits. ils ne s'apperçurent pas que, puisqu'une vérité abstraite n'est que l'identité des idées reconnues sous la variété des signes, elle ne fait que nous ramener à des instructions antérieures; qu'elle ne peut être qu'un moyen, qu'un passage; que se borner à affirmer le même du même, sans supposer rien au-delà, seroit se perdre dans un cercle vicieux; qu'en un mot subordonner l'observation aux principes abstraits, ce seroit renverser l'ordre naturel des choses, par cette raison très simple, que l'identité, ne pouvant servir qu'à nous faire reconnoître ce que nous possédons déjà, ne peut jamais être l'origine véritable de nos richesses.
mais lorsque Bacon eût rétabli pour l'esprit humain cet ordre légitime que la philosophie avoit interverti; lorsque Locke, après lui, nous eût répété que toutes nos connoissances ont leur origine dans nos sens, on tomba bientôt dans un extrême opposé. on accusa les principes abstraits d'une entiere stérilité; on crut qu'ils ne pouvoient engendrer que les ténèbres. on ne réfléchit pas que le fond des connoissances acquises par l'observation devoit être élaborée par notre esprit, et que les raisonnemens abstraits sont les seuls moyens qu'il peut employer pour ce travail, parce que, les observations se convertissant en idées, c'est par la comparaison et l'analyse de nos idées |[239] que nous apprenons à retrouver dans nos observations tout ce qu'il nous est utile d'y découvrir.
en un mot, de même que sans les observations il n'y auroit aucun raisonnement abstrait qui pût devenir pour nous le principe d'une véritable instruction, sans les raisonnemens abstraits, il y auroit fort peu d'observations qui pussent être susceptibles d'une application convenable. les raisonnemens abstraits sont en quelque sorte à nos observations ce que le commerce est à nos richesses.
Fécondité particuliere aux jugemens relatifs
aux idées complexes des modes simples.
quoique les principes que nous venons d'observer dans l'article précédent s'appliquent à toutes les especes d'idées complexes, cependant la classe des idées complexes des modes simples mérite que nous y donnions une attention particuliere, car ces principes y reçoivent un développement bien plus étendu.
1° si nous n'avions que des idées simples il n'y auroit aucune déduction à établir sur la comparaison qui en seroit faite, tout seroit d'intuition. d'où l'on peut conclure que la comparaison de nos idées donnera lieu à des déductions d'autant plus étendues que ces idées elles-mêmes se réuniront en faisceaux plus complexes.
or, où trouverons-nous de plus vastes combinaisons de nos idées que dans ces modes simples qui rassemblent en un instant un si grand nombre d'élémens qu'ils nous rendent capables, en quelque sorte, d'embrasser l'espace et de mesurer l'éternité.
2° nous n'établissons de rapport entre nos idées que par |[240] le moyen des conditions communes que nous rencontrons entr'elles. les rapports que pourra présenter la comparaison de différentes idées seront d'autant plus nombreux et plus variés que ces mêmes idées auront entr'elles plus d'élémens communs.
or les idées complexes des modes simples jouissent à cet égard d'un avantage spécial puisqu'elles sont toutes composées d'élémens parfaitement identiques. les idées de nombres par exemple, ne se composent que de la répétition de l'unité.
lorsqu'on divise l'unité, on la considère comme un composé formé d'unités plus petites et identiques entr'elles.
toute étendue déterminée se compose de parties égales entr'elles, et qui présentent les mêmes propriétés; il en est de même des idées du temps.
d'où il résulte 1° qu'il n'y a pas une idées complexe de modes simples qui ne puisse donner un rapport par la comparaison avec une autre idée quelconque de son espece, et qu'ainsi il n'y a pas une seule comparaison possible de laquelle on ne doive attendre quelque découverte plus ou moins utile.
2° que pour obtenir deux idées complexes identiques l'une à l'autre, il suffira d'avoir exécuté à l'égard de chacune les mêmes combinaisons, c'est-à-dire d'avoir répété en nombre égal les opérations; au lieu que pour obtenir l'identité de deux idées mixtes, il faudroit encore, outre la similitude des combinaisons, s'assurer que les élémens de l'une seroient bien précisément les élémens employés dans l'autre.
puisqu'une seule condition suffit ici pour fonder l'identité des idées complexes, nous aurons le double avantage de rencontrer bien plus souvent l'identité entre les idées totales ou intermédiaires, de l'appercevoir aussi plus facilement, et de nous trouver ainsi |[241] dispensés, de redescendre sans cesse, comme on le fait par rapport aux autres idées, aux moindres détails des comparaisons; de là cette aisance avec laquelle nous semblons nous jouer des idées les plus étendues.
3° il résulte qu'il n'est aucune idée de mode simple qui ne puisse être portée à l'égalité parfaite d'une autre idée de son espece, en y ajoutant une 3eme idée qui soit dans un certain rapport avec elle; comme aussi il n'est aucune idée, quelque complexe qu'elle puisse être, qui ne soit réductible en une autre idée plus simple, pourvu qu'on en retranche un certain complément déterminé. cette vérité sert de fondement à la théorie des équations.
en un mot les idées des quantités se contiennent toutes mutuellement; et de l'idée élémentaire de l'unité, la chaîne de l'identité suffit pour conduire aux idées les plus variées et les plus complexes. or c'est de l'identité des idées que le jugement abstrait tire toute la fécondité dont il jouit. il est donc évident qu'à l'égard des idées complexes des modes simples, le jugement abstrait doit être bien plus fécond, doit conduire à des découvertes bien plus nombreuses; il y conduit même d'une maniere toute particuliere.
on se rappelle que, si les jugemens portés sur les idées complexes des modes mixtes nous font découvrir de nouveaux faits, c'est uniquement parce qu'ils nous conduisent à assembler en des collections nouvelles des circonstances déjà observées séparément; ils supposent donc la connoissance particuliere de chacune de ces circonstances; ils ne font que réunir en un foyer ces connoissances éparses. il n'en est pas de même des jugemens sur les idées des modes simples; ils nous apprennent a découvrir un fait, lors même que nous n'avons pu atteindre les élémens dont il se compose. un seul exemple suffira pour le prouver.
|[242] soient quatre personnes dont les fortunes, différentes entr'elles, se trouvent cependant en proportion géométrique. si je puis connoître la fortune des trois premieres, je connoîtrai bientôt celle de la quatrieme, sans qu'il me soit nécessaire de faire la visite de sa caisse. pourquoi suis-je dispensé de cet examen? c'est que, d'un côté, je connois les élémens dont se compose cette somme, puisqu'ils sont les mêmes que ceux dont résultent les trois autres; c'est que, d'un autre côté, je possède aussi les conditions d'après lesquelles doit se former la combinaison, puisque je sais combien de fois l'une des trois autres sommes doit être ajoutée à elle-même pour engendrer celle-ci.
mais si ces idées complexes étoient mixtes, l'une ne pourroit me conduire à l'autre, ni me dispenser d'en étudier séparément les parties constitutives.
les jugemens portés sur les idées complexes des modes simples jouissent donc, sous tous les rapports, d'une étonnante fécondité; privilège attaché à la nature de ces idées mêmes, et que nous chercherions en vain dans les jugemens d'une autre espece. si nous nous rappellons que ces idées sont de toutes les plus faciles à déterminer, que ces jugemens sont de tous aussi les moins sujets à l'erreur, nous trouverons dans cette classe d'idées la réunion des trois plus précieux avantages auxquels notre esprit puisse aspirer dans ses opérations; je veux dire, la facilité du travail, la solidité de l'ouvrage et la richesse des résultats.
De la méthode à suivre dans l'exposition de la vérité.
il faut dans l'exposition comme dans la recherche de la vérité, commencer par les idées les plus faciles, par celles qui |[243] viennent immédiatement des sens, et s'élever ensuite, par degrés, à des idées plus simples ou plus composées. il me semble, si l'on saisissoit bien le progrès des vérités, il seroit inutile de chercher des raisonnemens pour les démontrer, et que ce seroit assez de les énoncer. car elles se suivroient dans un tel ordre que ce que l'une ajouteroit à celle qui l'auroit immédiatement précédée seroit trop simple pour avoir besoin de preuve. de la sorte, on arriveroit aux plus compliquées, et l'on s'en assureroit mieux que par toute autre voie. on établiroit même une si grande subordination entre toutes les connoissances qu'on auroit acquises qu'on pourroit à son gré, aller des plus composées aux plus simples ou des plus simples aux plus composées. à peine pourroit-on les oublier, ou du moins, si cela arrivoit, la liaison qui seroit entr'elles faciliteroit les moyens de les retrouver.
mais pour exposer la vérité dans l'ordre le plus parfait, il faut avoir remarqué celui dans lequel elle a pu naturellement être trouvée; car la meilleure maniere d'instruire les autres, c'est de les conduire par la route qu'on a dû tenir pour s'instruire soi-même. par ce moyen on ne paroîtroit pas tant démontrer des vérités déjà découvertes, que faire chercher et trouver des vérités nouvelles. par ce moyen on mettroit l'éleve en état de se rendre raison de toutes ses démarches: il sauroit toujours où il est, d'où il vient, où il va: il pourroit donc juger par lui-même de la route que son guide lui traceroit, et en prendre une plus sure, toutes les fois qu'il verroit du danger à le suivre.
la nature elle-même indique l'ordre que l'on doit tenir dans l'exposition de la vérité: car, si toutes nos connoissances viennent des sens, il est évident que c'est aux idées sensibles à préparer |[244] l'intelligence des notions abstraites. est-il raisonnable de commencer par l'idée du possible pour venir à celle de l'existence? les élémens des sciences ne seront simples et faciles que quand on aura pris une méthode toute opposée. si les philosophes ont de la peine à reconnoître cette vérité, c'est parce qu'ils se laissent prévenir par un usage que le temps paroît avoir consacré.
les géomètres mêmes, qui devroient mieux connoître les avantages de l'analyse que les autres philosophes, donnent souvent la préférence à la synthèse. aussi, quand il sortent de leurs calculs, pour entrer dans des recherches d'une nature différente, on ne leur trouve plus la même clarté, la même précision ni la même étendue d'esprit. Descartes, Mallebranche et Leibnitz, tous trois géomètres, sont bien inférieurs à Locke, qui ne l'étoit pas.
concluons que si l'analyse est la méthode que l'on doit suivre dans la recherche de la vérité, elle est aussi la méthode dont on doit se servir pour exposer les découvertes qu'on a faites.
Harmonisations
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deuxiéme, troisiéme, quatriéme,... > deuxieme troisieme, quatrieme,...
moi, lui, elle, soi, nous, vous, eux mêmes > moi-, lui-, elle-, soi-, nous-, vous-, eux-mêmes
1.°, 2.°,... > 1°, 2°,...
1.e, 1e, 1re,1.re > 1ere
1.er > 1er
2e (3e, 4e,...); 2.e (3.e, 4.e,...); 2.eme (3.eme, 4.eme,...) > 2eme (3eme, 4eme,...)
4me > 4eme
4. > 4
§. > §
& > et
&c, &c > etc.
a (préposition) > à
à la fois > à-la-fois
achéter > acheter
alphabetique > alphabétique
âme > ame
anglois > anglais
appelle (participe passé) > appellé
apportèrent > apporterent
arguments >argumens
assujetti (adj. / -s, -es), (verbe / -t) > assujéti (-s, -es), (-t)
au quel, aux quel(le) > auquel, auxquel(le)s
audessus > au dessus
aulieu > au lieu
aussitot > aussitôt
aye > aie
bâtiment(s) > batiment(s)
bisare > bizarre
bisarrerie(s) > bizarerrie(s)
caractere(s) > caractere(s)
célebre(s) > célèbre(s)
celui, celle(s), ceux ci / là > celui-, celle(s)-, ceux-ci / là
c'est à dire > c'est-à-dire
circonflexe > circonflêxe
commencèrent > commencerent
complement > complément
complements, compléments > complémens
complète > complete (adjectif)
complètement > completement
complètive > complétive
connaissance(s) > connoissance(s)
connaissions > connoissions
connaissoi(en)t > connoissoi(en)t
connaître, connoitre > connoître
connoit > connoît
considerant > considérant
considere(nt) > considère(nt)
considerer > considérer
coté > côté
courier > courrier
dé là, de-là > de là
definir > définir
dégré(s) > degré(s)
demaniere > de maniere
dependance > dépendance
dernière > derniere
designer > désigner
devais > devois
diffère(nt), différe(nt) (verbe) > differe(nt)
différents > différens
disparoitre > disparoître
dixsept > dix-sept
doutèrent > douterent
du (participe passé) > dû
du quel, des quel(le)(s) > duquel, desquel(le)s
echapper >échapper
ecrire > écrire
ecrit > écrit
ecriture >écriture
elémens, élemens, éléments > élémens
elémentaire(s) > élémentaire(s)
élevation > élévation
éléve(s), élève(s) > éleve(s)
éléver > élever
elle, lui, nous même(s) > elle-, lui-, nous-même(s)
enfants > enfans
enlévé > enlevé
enonce(r), enoncé(e)(s) > énonce(r), énoncé(e)(s)
ensorte > en sorte
entière(ment) > entiere(ment)
entre elles/eux > entr'elles/eux
equivalent > équivalent
equivaut > équivaut
espèce > espece
etoit > étoit
etre > être
etudie > étudie
eut (auxiliaire de formation du passé antérieur) > eût
événements > évenemens
éxacte(ment) > exacte(ment)
éxactitude > exactitude
éxacts > exacts
éxamine > examine
éxaminons > examinons
éxecute(r), éxécute(r) > exécute(r)
éxemple > exemple
éxige > exige
éxistans > existans
existants > existans
éxiste(nt) > existe(nt)
éxistence > existence
éxister > exister
éxpérience > expérience
familière(s) > familiere(s)
fesant > faisant
fesoi(en)t > faisoi(en)t
fesons > faisons
françois(e) > français(e)
frère > frere
gout > goût
grâce(s) > grace(s)
groupper > grouper
guères > guère
habitants > habitans
hasard > hazard
hésitèrent > hésiterent
ignorants > ignorans
incomplète > incomplete
inconvénient(s) > inconvenient(s)
indeterminé(e/s) > indéterminé(e/s)
instruments > instrumens
intéressants > intéressans
jetera > jettera
jugements > jugemens
le quel, la quelle, les quel(le)s > lequel, laquelle, lesquel(le)s
l'égislateur > législateur
longtems > longtemps
lors qu'elle > lorsqu'elle
lumiere(s) > lumière(s)
manière(s) > maniere(s)
matière > matiere
mechanisme, méchanisme > mécanisme
méconnaissable > méconnoissable
meme > même
mère > mere
métaphisique(s) > métaphysique(s)
modèle(s) > modele(s)
monuments > monumens
mouroit (conditionnel) > mourroit
mouvements > mouvemens
nait > naît
nazale(s) > nasale(s)
ou (pronom relatif) > où
paraitront > paroitront
parallèle(s) > parallele(s)
parceque, par ce que > parce que
parconséquent, parconsequent > par conséquent
par-là > par là
paroit > paroît
paroitre > paroître
particulière(s) > particuliere(s)
particulièrement > particulierement
père > pere
periode > période
peut être > peut-être
phisique(s) > physique(s)
plutot > plutôt
poésie > poësie
poète >poëte
pour ainsi-dire, pour-ainsi-dire > pour ainsi dire
poura > pourra
pouroit > pourroit
pourvuque > pourvu que
ppoon > proposition
précede, précéde > précède (verbe)
précédents > précédens
précedés > précédés (participe passé)
préferant > préférant
prémier(e)(s) > premier(e)(s)
pû > pu
quatre vingt-dix > quatre-vingt-dix
quelquefois > quelque fois
raisonnements > raisonnemens
récèle > recèle
recoivent > reçoivent
reconnaître, reconnoitre > reconnoître
reconnoit > reconnoît
réçue > reçue
reflexion > réflexion
régarde(nt) > regarde(nt)
règle(nt) > reglent
régle(s), règle(s) > regle(s)
régneroit > regneroit
rejète > rejette
rejetées > rejettées
rejeter > rejetter
remarquérent > remarquerent
renfermait > renfermoit
réprésente(r) > représente(r), réprésenté > représenté
result(en)t > résult(en)t
sans-doute > sans doute
sçait > sait
sçavans, savants > savans
sçavant > savant
sçavons > savons
scène > scene
sentiments > sentimens
serait > seroit
siécle(s), siècle(s) > siecle(s)
sillabe(s) > syllabe(s)
singulière(s) > singuliere(s)
sintaxe(s) > syntaxe(s)
sistème, sistême(s), systhême(s), systême(s), système(s) > systeme(s)
soryte > sorite
sous-entend > sous entend
sousentend(u)e > sous entend(u)e
sousentendre > sous entendre
succèdent > succedent
succéderoient > succederoient
suivants > suivans
sûr(e)(s) > sur(e)(s)
sûrement > surement
talents > talens
tâtonnements > tâtonnemens
tems > temps
toute fois > toutefois
trema > tréma
trente six > trente-six
trouvèrent > trouverent
verbe(s)-adjectif(s) > verbe(s) adjectif(s)
vingt cinq > vingt-cinq
Document conservé au Centre historique des Archives nationales, Paris, Cote :
F17/1344/2