Suite du cours de grammaire générale
Table des matières | Notions préliminaires. | Grammaire générale. |
Suite du cours de grammaire générale. |
3eme partie. Grammaire française. |
4eme partie. La logique. |
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Finistère
Suite du cours
de grammaire générale
Ollitrault []
[An 8/1799–1800]
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Articles
omis dans la 2de partie de ce cours.
1
Analyse de l'instrument vocal.
l'instrument vocal est l'assemblage des organes dont l'homme se sert pour manifester ses idées par la parole et ses sensations par la voix et par le chant.
ces organes composent un instrument très compliqué, qui réunit tous les avantages des instrumens à vent, tels que la flûte; des instrumens à cordes, tels que le violon; des instrumens à touches, tels que l'orgue, avec lequel il a le plus de rapport.
comme l'orgue, l'instrument vocal a des souflets, une caisse, des tuyaux, des touches. les souflets sont les poumons; les tuyaux, le gosier et les narines; la bouche est la caisse, et les parois de la bouche sont les touches.
l'air qui sort des poumons est la matiere de la voix. lorsque la poitrine s'élève par l'action de certains muscles, l'air extérieur entre dans les vésicules des poumons; quand elle s'affaisse, l'air en sort.
à l'extrémité de la trachée artère est le principal organe de la voix, qu'on nomme larinx. il est terminé par une ouverture oblongue, à bords très tendres, nommé glote. selon que cette ouverture est resserrée ou dilatée, la voix est grêle ou pleine: elle produit des sons aigus ou graves, suivant que le larinx est plus ou moins tiré en avant.
|[85] tel est le mécanisme de cet organe que nous pouvons, à notre gré, fortifier la voix, l'affaiblir, l'accélérer, la ralentir, la rendre seche ou moelleuse, sifflante ou chantante. cette faculté est pour nous la source d'une infinité d'avantages: elle nous suffit pour peindre tous nos besoins avec une précision admirable.
tout air qui sort de la trachée artère ne forme pas de sons; il faut, pour produire cet effet, que l'air soit poussé par une impulsion particuliere, et que, dans le temps de son passage, il soit rendu sonore par les organes de la parole; ce qui peut arriver de deux manieres: par la seule situation ou se trouvent les organes, ou par l'action de quelqu'un d'eux.
la formation des voyelles n'exige que la situation convenable des organes, mais celle des consonnes exige que quelqu'un de ces organes agisse.
tant qu'il y a de l'air et que l'organe est dans le même état, on entend toujours la même voix; il n'en est pas de même des consonnes ou articulations: comme elles ne sont que l'effet d'une pression momentanée, elles n'ont que la durée d'un instant. en sorte que l'on peut comparer la voyelle au son qui résulte d'un tuyau d'organe, et la consonne à l'effet que produit le coup d'archet sur une corde de violon.
la diversité des climats cause des différences dans la prononciation. il y a des peuples qui ne mettent pas en action certains organes ou certaines parties d'organe dont les autres font usage. de là vient qu'il y a des lettres que certains peuples ne peuvent pas prononcer. en vain chercheroit-on chez les chinois des mots sous la lettre R, et chez les latins, sous le son che. mais on trouvera chez les chinois, sous la lettre L, les mots qui commencent ailleurs par R; et, chez les latins, sous ca, les mots qui dans le français commencent par che.
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2
De l'étymologie.
l'art étymologique fait connoître l'origine et la valeur des mots.
cette connoissance fait sentir l'énergie des expressions, et facilite l'étude des langues: elle réduit les mots au plus petit nombre possible, en les classant par familles et en les rapportant au mot principal dont ils sortent.
selon Court de Gebelin, quand on a ôté des langues tous les mots composés et les dérivés, il ne reste dans chacune d'elles qu'un petit nombre de monosyllabes, qui composoient la langue primitive, et dont toutes les autres se sont formées. de sorte que, quand on connoît ces monosyllabes, on sait le fond des différentes langues, qui ne sont, pour ainsi dire, que des dialectes de la même.
l'art étymologique a un second avantage très précieux; c'est qu'on trouve dans l'arrangement des mots, par familles, la maniere dont les peuples ont procédé dans la formation de leurs idées: on distingue celles qu'ils ont eues de la nature de celles qui ont été l'effet de la réflexion.
par l'étymologie, on voit que tout ce qu'une langue doit à chacune des autres; on voit aussi les liaisons que les peuples ont eues entr'eux: on remonte à leur origine commune; on peut même par leur langue juger de l'étendue de leurs connoissances respectives.
3
De la pasigraphie ou de la langue universelle.
Leibnitz conçut le projet d'une langue universelle; mais, ce qui devoit en empêcher la réussite, c'est qu'il vouloit créer une langue parlée. en effet, il est impossible de faire prononcer de la même |[87] maniere, à toutes les nations, tous les sons de l'organe de la voix humaine, puisque l'organe lui-même change d'un pays à l'autre.
il suit donc que, pour créer une langue universelle, il faut qu'elle soit écrite et non parlée: on écrit la langue de l'algèbre, et on ne la parle pas.
ce qui distingue une écriture qui n'est qu'une écriture d'une écriture qui est une langue, c'est que celle-ci est une langue par elle-même et que l'autre représente seulement une langue.
l'une ne réveille immédiatement que des sons ou des mots; l'autre réveille immédiatement des choses et des idées.
la pasigraphie est la représentation des choses; par conséquent c'est une langue.
en donnant quelques combinaisons aux douze caracteres pasigraphiques, on fixe sous les yeux une multitude de choses et d'idées; c'est aussi le principal avantage de l'algèbre, avec laquelle la pasigraphie a plus d'un rapport.
cette nouvelle écriture est commune à toutes les langues: c'est une maniere uniforme d'écrire les pensées exprimées dans les langues les plus différentes.
ce qui doit faire désirer que cette écriture-langue réussisse, c'est qu'elle est très facile à apprendre, et qu'elle deviendroit, en peu de temps, le moyen de communication entre tous les peuples civilisés; quand il faudroit plusieurs générations pour la perfectionner, encore devroit-on encourager l'auteur de cette belle conception.
4
Des figures.
les manieres de parler dans lesquelles on ne remarque d'autre propriété que celle de faire connoître ce qu'on pense sont appellées |[88] simplement phrases, expressions; mais celles qui expriment des pensées énoncées d'une maniere particuliere se nomment figures, parce que ces pensées paroissent comme sous une forme empruntée.
on peut donc dire que les figures sont des manieres de parler distinctes des autres par un caractere particulier, qui fait qu'on les réduit chacune à une espece à part, et qui les rend ou plus vives ou plus nobles ou plus agréables que les manieres de parler qui expriment le même fond de pensée, sans avoir d'autre modification particuliere.
on distingue les figures de pensées des figures de mots. les figures de pensées dépendent uniquement du tour de l'imagination; en sorte que la figure demeure toujours la même, quoiqu'on vienne à changer les mots qui la composent: en effet de quelque maniere que l'on fasse parler un mort ou une chose inanimée, ce sera toujours une prosopopée. au contraire les figures de mots sont telles que si vous changez les paroles, la figure disparoît.
[?entre] les différentes figures de mots, nous ne parlerons que de celles où les mots prennent des significations différentes de leur signification propre et ordinaire, comme, quand on appelle jeune plante une jeune personne, lion un homme courageux.
ces sortes de figures s'appellent tropes, mot qui signifie changement, transport.
il y a autant de tropes qu'il y a de manieres différentes de donner à un mot une signification qui n'est pas précisément la signification propre du mot.
il n'y a peut-être pas d'expression qui ne se prenne en quelque sens figuré. les mots les plus usités sont ceux qui ont un plus grand nombre de ces sortes de sens, tels sont corps, ame, couleur, etc.; et on |[89] ne peut savoir la langue sans distinguer ces différens sens.
les rapports qui se trouvent entre les objets sont la source et le principe des divers sens figurés que l'on donne aux mots. de là le signe pour la chose signifiée, la cause pour l'effet, l'effet pour la cause, la partie pour le tout, le contenant pour le contenu, etc.; /note en marge: exemples dans les tropes de Dumarsais./ comme l'une de ces idées ne peut être réveillée sans exciter l'autre, il arrive que l'expression figurée est aussi facilement entendue que si l'on se servoit du mot propre.
un des plus fréquents usages de tropes, est de réveiller une idée principale par le moyen de quelque idée accessoire; c'est ainsi que l'on dit: cent voiles pour cent vaisseaux, cent feux pour cent maisons, etc.
les tropes donnent aussi plus d'énergie et de grace à nos expressions quand ils se présentent naturellement; mais il ne faut pas les aller chercher. rien de plus ridicule en tout genre que l'affectation et le défaut de convenance. Molière, dans les précieuses ridicules, nous fournit un grand nombre d'exemples de ces expressions recherchées et déplacées.
il est difficile en parlant et même en écrivant d'apporter toujours l'attention et le discernement nécessaire pour rejeter les idées accessoires qui ne conviennent pas aux idées principales; de là il est arrivé, dans tous les temps, que les écrivains se sont souvent servis d'expressions d'expressions figurées, qui ne doivent pas être prises pour modèles.
chaque langue a des expressions figurées qui lui sont particulieres; soit parce que les expressions sont tirées de certains usages établis dans un pays et inconnus dans un autre; soit pour quelque autre raison, peut-être arbitraire. alors le traducteur doit avoir recours à quelque expression figurée de sa propre langue qui réponde, s'il est possible, à celle de son auteur.